La maison me déplut d’emblée. Pas seulement à cause de son aspect lugubre, mais parce qu’il s’en dégageait quelque chose de malsain, comme si un venin l’imbibait jusqu’aux poutres... [+]
Je déteste les voitures. Je déteste la vitesse. Je déteste les pilotes. Je me déteste. C’est pour cette dernière raison que j’ai grimpé sans hésiter. Au volant du bolide, une « Venom F5 » de chez Hennessey, le pilote, casqué, taciturne, m’attend sans me regarder. C’est un prototype usiné spécialement. Tout à l’heure, un type en casquette dans une combinaison a murmuré : « j’espère qu’on n’a pas trop gonflé le moulin, le modèle de base était déjà le plus puissant du monde ». Il a parlé de moteur d’avion, de technique américaine, d’éléments « peut-être un peu costauds pour la carrosserie » et puis il s’est mis à jargonner à voix basse avec un type très maigre dans un costume étroit. Si je résume, ces tarés ont « préparé » la voiture la plus rapide du monde. Dans quel but ? Pour en faire un dragster ? Je vis mes derniers instants de cette vie de con, allez, vaille que vaille. Avant de monter, j’admire une dernière fois la carrosserie jaune poussin signée Umberto Forze. En général, plus c’est criard, plus ça va vite. Là, c’est carrément fluo. Je claque la portière douce comme du feutre, le pilote hoche la tête, se tourne vers moi, je hoche aussi sans trop savoir pourquoi et ça démarre aussi sec. B***** de m**** de p***** de sa r*** de sa m*** la p*** ! C’est parti tellement vite que je suis aveugle, les dents dans le cou. Mon corps est liquéfié, fondu dans le siège. Je regarde le compteur : 288 km/h. J’ai littéralement les deux yeux collés à l’arrière du crâne. Comment a-t-on pu passer de 0 à 288 km/h en une seconde trente ? C’est pas possible ! On va mourir, je veux descendre. JE VEUX DESCENDRE ! Aucun son ne sort ne sort de ma bouche plus sèche qu’un vieux vagin. Je récupère un peu de vision, le pilote fixe la route malgré les grosses gouttes qui irritent ses yeux de rat. 326 km/h. Il s’essuie calmement et continue de plus belle. Il est assez beau, typé italien. Je me laisse gentiment fasciner par sa nuque qui frise, les femmes aiment ça, paraît-il. J’essaie de me regarder dans le rétro, pour comparer nos gueules, mais ma grosse tête de belge refuse de bouger. 387 km/h. La vitesse a tout avalé : route, maisons, forêts, rien que des traits lumineux. J’ai peur. J’ai peur et viens de réaliser que je ne veux pas mourir. C’était des simagrées, du mou, du flan. La vitesse est le meilleur antidépresseur du monde, sachez-le. 399 km/h. En revanche, à voir comment ce con aborde le viraaaaage, je me demande si c’est pas plutôt lui, le suicidaire. 352 km/h. Comment peut-on tourner aussi vite ? La science dit que ça n’est pas possible, Ricardo prouve que si. Je sens ma graisse se déporter partout dans l’habitacle, comme un gros blob lâché d’une boîte. J’ai l’impression d’être des loukoums dans une centrifugeuse tellement mes bourrelets font de raffut. Il tapent à droite, à gauche, à gauche, à droite, dans la gueule du pilote, ça lui fait un triple-menton par intermittence. Je suis pourtant pas si gros, si ? Mon grec-frites, lourd et copieux, m’escalade l’œsophage. Je hurle : « je vais vomir, laissez-moi descendre ! ». Mais toujours pas le moindre son. J’essaie de le frapper, ce fou-furieux, mais impossible de bouger le moindre membre à cause de la vitesse. Le pilote reste focus, maxillaires crispés en s’en briser les dents. Il est vraiment beau ce con. 402 km/h. Il marmonne, « attention, j’accélère ». Hein ? C’est une blague ? On n’était pas à fond, là ? Oh, non ! Je veux pas, t’entends ? JE VEUX PAS ! Il ajuste ses petits gants d’enculé en pécari et se cale vers l’arrière. RHAAAAAAA PITIIIIIIIEEEEE ! La nouvelle poussée est si forte que ma couille droite est partie taper la lunette arrière, bon, je suis en short. 452 km/h. J’ai plus forme humaine, rien que des longs fils nerveux qui vibrent comme des algues. 474 km/h. Je suis une créature post-humaine, un gars du turfu. Un mec de dans cent ans. 496 km/h. –––––––– Le pilote, lui, est nickel, frais comme une pile de linge propre. Il décélère d’un coup, mes yeux se refixent dans les orbites, je le regarde et il me lâche un clin d’œil : « alors, Excellence, elle vous plaît ? ».
– Je la prends, lui dis-je en remontant dans mon jet.
– Je la prends, lui dis-je en remontant dans mon jet.
je concours aussi avec un texte : "de roues en roues"