
Seul ami
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En compétition
Il était seul !... Le vide immense, cruel, s’était fait autour de lui ; personne maintenant pour l’aimer sur la terre ; nul être pour porter son fardeau de souvenirs.
Au dehors, la bise pleurait, bise de décembre, froide, perçante, trop souvent meurtrière... le ciel était bas, terne. Et lui, assis dans un mauvais fauteuil, débris des splendeurs passées, restait affaissé, brisé, sans un mouvement.
Une rafale plus violente vint ébranler les vitres de la croisée ; l’homme eut un frisson, il jeta un regard à la cheminée... rien !... Depuis la veille, le feu s’était éteint sans que personne ait songé à le rallumer. Mais que lui importait ? ce n’était rien d’endurer un peu de froid comparé à tout ce qu’il avait souffert... en lui-même, il comparait les cendres du foyer, à celles qui s’étaient amoncelées dans son cœur, cendres adorées des tendresses chaudes, sincères, qui avaient rempli sa vie.
Il se voyait petit enfant, souriant sur les genoux d’une femme jeune et belle, qui lui murmurait de doux noms de tendresse. Il était heureux alors : les caresses de sa mère, les gâteries de son père, le cheval mécanique, suffisaient à son bonheur.
Puis, un jour, subitement, on l’avait vêtu de noir ; les chants, les rires, s’étaient tus dans la maison, si animée jadis... il avait vu pleurer son père.
Il avait grandi, regrettait celle qui n’était plus, adorait celui qui restait, ce père qui ne vivait que pour lui. Il avait quinze ans, lorsque, de nouveau, la mort frappa à ses côtés : son père, son unique soutien, fut emporté par une attaque foudroyante. Il était resté seul, orphelin à quinze ans !
Il s’était tourné vers les études corps et âme, avait passé brillamment ses examens et lorsque, devenu homme, mis en possession de la magnifique fortune que lui avait laissé son père, il s’était associé avec un ami plus âgé, qu’il croyait bon, sincère, comme il l’était lui-même, et ils avaient fondé une société.
Il avait vingt-six ans ; l’heure du rêve, de l’idéal avait sonné pour lui. Il était las de sa solitude et sentait, impérieux, le besoin de voir, près de lui, un visage aimé lui sourire, d’entendre une douce voix lui parler tout bas, d’avoir une faiblesse à protéger, de s’identifier enfin dans un autre lui-même.
Et soudain, un sourire avait illuminé ses yeux, une vision radieuse était passée dans son souvenir. Il s’arrête un moment à cette page de sa vie, il revoit tout en souvenir. Comme il l’aimait cette enfant de vingt ans, aux yeux de velours, à la lèvre rieuse... que de songes d’avenir il avait formé pour elle !...
Pauvre rêveur, ne savais-tu donc pas que la base du bonheur humain est d’argile, qu’il suffit d’un souffle pour l’ébranler ; qu’ici-bas rien ne dure, car l’homme ne dure pas lui-même...
Le grand jour était venu ; devant l’autel ils avaient échangé leurs serments. Le grand nœud était formé pour toujours. Qu’il leur semblait long ce mot « toujours » et pourtant qu’il devait être court... Il avait murmuré : « Je suis trop heureux ! »
Trop heureux... il ne devait pas l’être longtemps...
Deux ans plus tard, pendant qu’il s’était absenté quelques jours, son associé s’était enfui, emportant des sommes énormes et laissant après lui un déficit considérable.
Que faire ? que devenir ?... Il fut atterré d’abord ; puis, en homme d’honneur, voulant garder pur de toute tache le nom qu’il portait, il se dit qu’il n’appartenait qu’à lui de combler ce déficit.
Il vendit sa propriété, ses meubles de prix, s’installa dans une maison étroite, voulant faire face à l’orage et lutter toujours. Mais une épreuve vient-elle seule ? Hélas ! la perte de sa fortune n’était rien comparée au sacrifice demandé six mois plus tard.
Oui, sous ses yeux il avait vu languir et se consumer, peu à peu, la femme bien-aimée dont le seul nom pour lui résumait l’univers... elle s’était affaiblie lentement. Les larmes, ses supplications brûlantes, sa lutte terrible, tout fut inutile. Un soir, elle s’était éteinte dans ses bras. Le cœur broyé, l’âme désespérée, il l’avait accompagné là-bas, dans le sombre jardin, dernière demeure des humains.
Et maintenant, de retour dans sa petite maison glacée, il continue à faire revivre ses tristes souvenirs. Seul... oui, tout seul ! personne pour le rattacher à la vie.
Soudain, un soupir plaintif se fait entendre à la porte de la pièce qu’il occupe et, d’un bond, un caniche noir, se trouve près de lui. Il reste une seconde à regarder son maître ; puis poussant un nouveau gémissement, ses yeux débordants de tendresse, il pose ses pattes sur le bras et se met à lui lécher les mains.
A ce contact, il sort enfin de sa triste rêverie, ses doigts se mettant à errer dans la toison frisée de l’animal. « Pauvre Fido ! gémit-il, je n’ai plus personne, je suis seul, mon bon chien. »
Au dehors, la bise pleurait, bise de décembre, froide, perçante, trop souvent meurtrière... le ciel était bas, terne. Et lui, assis dans un mauvais fauteuil, débris des splendeurs passées, restait affaissé, brisé, sans un mouvement.
Une rafale plus violente vint ébranler les vitres de la croisée ; l’homme eut un frisson, il jeta un regard à la cheminée... rien !... Depuis la veille, le feu s’était éteint sans que personne ait songé à le rallumer. Mais que lui importait ? ce n’était rien d’endurer un peu de froid comparé à tout ce qu’il avait souffert... en lui-même, il comparait les cendres du foyer, à celles qui s’étaient amoncelées dans son cœur, cendres adorées des tendresses chaudes, sincères, qui avaient rempli sa vie.
Il se voyait petit enfant, souriant sur les genoux d’une femme jeune et belle, qui lui murmurait de doux noms de tendresse. Il était heureux alors : les caresses de sa mère, les gâteries de son père, le cheval mécanique, suffisaient à son bonheur.
Puis, un jour, subitement, on l’avait vêtu de noir ; les chants, les rires, s’étaient tus dans la maison, si animée jadis... il avait vu pleurer son père.
Il avait grandi, regrettait celle qui n’était plus, adorait celui qui restait, ce père qui ne vivait que pour lui. Il avait quinze ans, lorsque, de nouveau, la mort frappa à ses côtés : son père, son unique soutien, fut emporté par une attaque foudroyante. Il était resté seul, orphelin à quinze ans !
Il s’était tourné vers les études corps et âme, avait passé brillamment ses examens et lorsque, devenu homme, mis en possession de la magnifique fortune que lui avait laissé son père, il s’était associé avec un ami plus âgé, qu’il croyait bon, sincère, comme il l’était lui-même, et ils avaient fondé une société.
Il avait vingt-six ans ; l’heure du rêve, de l’idéal avait sonné pour lui. Il était las de sa solitude et sentait, impérieux, le besoin de voir, près de lui, un visage aimé lui sourire, d’entendre une douce voix lui parler tout bas, d’avoir une faiblesse à protéger, de s’identifier enfin dans un autre lui-même.
Et soudain, un sourire avait illuminé ses yeux, une vision radieuse était passée dans son souvenir. Il s’arrête un moment à cette page de sa vie, il revoit tout en souvenir. Comme il l’aimait cette enfant de vingt ans, aux yeux de velours, à la lèvre rieuse... que de songes d’avenir il avait formé pour elle !...
Pauvre rêveur, ne savais-tu donc pas que la base du bonheur humain est d’argile, qu’il suffit d’un souffle pour l’ébranler ; qu’ici-bas rien ne dure, car l’homme ne dure pas lui-même...
Le grand jour était venu ; devant l’autel ils avaient échangé leurs serments. Le grand nœud était formé pour toujours. Qu’il leur semblait long ce mot « toujours » et pourtant qu’il devait être court... Il avait murmuré : « Je suis trop heureux ! »
Trop heureux... il ne devait pas l’être longtemps...
Deux ans plus tard, pendant qu’il s’était absenté quelques jours, son associé s’était enfui, emportant des sommes énormes et laissant après lui un déficit considérable.
Que faire ? que devenir ?... Il fut atterré d’abord ; puis, en homme d’honneur, voulant garder pur de toute tache le nom qu’il portait, il se dit qu’il n’appartenait qu’à lui de combler ce déficit.
Il vendit sa propriété, ses meubles de prix, s’installa dans une maison étroite, voulant faire face à l’orage et lutter toujours. Mais une épreuve vient-elle seule ? Hélas ! la perte de sa fortune n’était rien comparée au sacrifice demandé six mois plus tard.
Oui, sous ses yeux il avait vu languir et se consumer, peu à peu, la femme bien-aimée dont le seul nom pour lui résumait l’univers... elle s’était affaiblie lentement. Les larmes, ses supplications brûlantes, sa lutte terrible, tout fut inutile. Un soir, elle s’était éteinte dans ses bras. Le cœur broyé, l’âme désespérée, il l’avait accompagné là-bas, dans le sombre jardin, dernière demeure des humains.
Et maintenant, de retour dans sa petite maison glacée, il continue à faire revivre ses tristes souvenirs. Seul... oui, tout seul ! personne pour le rattacher à la vie.
Soudain, un soupir plaintif se fait entendre à la porte de la pièce qu’il occupe et, d’un bond, un caniche noir, se trouve près de lui. Il reste une seconde à regarder son maître ; puis poussant un nouveau gémissement, ses yeux débordants de tendresse, il pose ses pattes sur le bras et se met à lui lécher les mains.
A ce contact, il sort enfin de sa triste rêverie, ses doigts se mettant à errer dans la toison frisée de l’animal. « Pauvre Fido ! gémit-il, je n’ai plus personne, je suis seul, mon bon chien. »