سرود زهره به رقص آورد مـسیحا را''حافظ''
« Sorude Zohreh ba raghs avarad masihara » Hafez
« Quand Vénus chante le Christ lui-même se met à danser » Hafez... [+]
Saudade da Verdade
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“Não há saudades mais dolorosas do que as das coisas que nunca foram.” Fernando Pessoa
Fraichement arrivé de Paris, je commençais ma carrière de détective privé au Cap Vert, loin de me douter que je devrai résoudre une affaire aussi étonnante que celle de la Cimboa Grande. Présenté au musée ethnographique de Praia, cet instrument à cordes frottées typique du folklore de l’île de Santiago, a longtemps servi à introduire les mélodies entrainantes des danses et chants de Batuku.
Seulement voilà, la Cimboa avait disparu, sans qu’aucun signe d’intrusion n’ait pu être constaté. Autrement dit, le coupable ne pouvait qu’être parmi les membres du personnel du musée. Ils étaient au nombre de cinq au moment du vol : Rosalinda, la directrice, était une belle et jeune métisse dynamique et passionnée. Luz rayonnait d’une tout autre manière. Vieille femme à la peau très noire, atteinte d’un cancer en phase terminale, elle avait souhaité travailler au musée jusqu’à son dernier souffle. Guide depuis soixante ans, elle restait, au-delà des expositions matérielles, l’âme véritable du musée, que Mateo, l’agent de sécurité nouvellement embauché, s’attelait à protéger. Quant à Dolores, la femme de ménage, son physique solide et sa grande taille contrastaient avec son naturel timide et effacé, surtout depuis l’arrivée de Leonor, jeune stagiaire tout droit débarqué de Lisbonne pour l’été.
Au bout de la première semaine, deux nouvelles firent considérablement avancer l’enquête. D’abord, la mort de la vieille Luz semblait confirmer la probité de cette dame qui avait consacré sa vie au musée et qui n’avait ni l’intérêt ni la force de s’enfuir avec l’instrument. Par ailleurs, Mateo, l’agent de sécurité, sans famille et accablé par de nombreuses dettes, avait disparu dans la nature, tandis que des témoins l’avaient vu cheminer avec un gros sac au dos, susceptible d’avoir contenu la Cimboa.
Non satisfait de l’apparente simplicité de la situation, je prenais le temps d’en apprendre plus sur les trois personnes toujours à ma disposition. Je découvris en Leonor un être pâle et tourmenté, en Rosalinda une passionnée de musique qui ne savait pas chanter, et en Dolores, une femme simple et polie très intégrée dans la communauté de femmes de Sao Pedro, qui se retrouvait chaque soir pour de grandes cérémonies de Batuku. Elle partageait avec la défunte Luz un goût pour ces danses venues du continent africain avec les esclaves que les Portugais acheminaient vers le Brésil pour y travailler dans les champs de canne à sucre. Certains, jugés trop faibles pour les conditions abominables de la traversée, étaient restés au Cap Vert, île de l’entre-monde où une culture créole avait émergé. Bercées par cette langue de mélanges, la nostalgie de jours heureux et le rythme du frappé cadencé des mains sur leurs cuisses, les joueuses de Batuku avaient porté des générations de capverdien.
C’est ce que m’expliqua Rosalinda ce soir-là avant d’éclater en sanglots. C’était elle qui avait payé Mateo pour partir avec la Cimboa. Elle-même incapable de chanter, Rosalinda avait toujours été fascinée par Luz et son talent au Batuku. Depuis qu’elle était venue pour diriger le musée, elle avait toujours considéré la guide comme sa propre mère. Petit à petit, elle avait appris tous ses secrets. Et parmi eux : celui de cette grande Cimboa qui avait jadis appartenu à Luz, avant que les autorités coloniales ne la confisquent puis ne l’exposent dans le musée. Le Batuku, jugé trop « africain » et trop « sauvage » par les portugais avait été interdit de longues années malgré la ferveur populaire qu’il suscitait. La vieille Luz avait souffert de la violence de cette séparation avec son instrument. À l’heure de sa mort, Rosalinda l’avait ensevelie avec le plus absolu de ses amours. Pour que, dans l’éternité de son repos, elle puisse continuer à bercer la terre aride de Santiago du rythme de la Saudade.
“Não há saudades mais dolorosas do que as das coisas que nunca foram.” Ah, il n’y a pas de nostalgies plus douloureuses que celles des choses qui n’ont jamais été.
J'ai envie de relire plusieurs fois.
Tu as ma voix.
Si tu as 4 mins, viens me lire aussi pour faire tes apports.
https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/morte-par-amour-1
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