Depuis que je le contemplais...
J’en connaissais chaque touche, millimètre, nuance, blessure, excès de soleil...depuis qu’il accompagnait mes regards de mon enfance jusqu’à maintenant, je n’avais jamais remarqué la particularité de ce tableau. En fin de journée, alors que les ultimes nuages viraient du rose au rouge orangé, puis au violet, un dernier rayon a frôlé la toile et je l’ai vu, ce visage.
Je ne dirai pas, traditionnellement, que je n’en ai pas cru mes yeux, oh ! non, je n’en ai pas douté un instant. Sous les couches de poussière et de crasse, j’ai aperçu ce nouveau paysage.
Je suis dépositaire, non pas propriétaire, de biens familiaux. Lorsque les héritiers des Romaincourt sont partis vivre leur vie de façon moins austère et plus lucrative, j’ai décidé de rester au château.
L’espace ne me manquait pas, mais le choix de ma chambre s’est imposé en fonction de l’emplacement de ce chef d’œuvre. Au sein de collections hétéroclites, ce portrait de vierge à l’enfant datant, en principe, du XVIIIe, représentait le legs que je chérissais le plus. Je n’ai pas envisagé un instant de le déplacer, non par crainte de laisser sur le mur l’empreinte de sa désertion, mais parce qu’il faisait corps avec cette chambre depuis que moi je le connaissais. Je l’ai contemplé pendant si longtemps, à toutes les heures et les nuances du jour, quel mystère pouvait-il encore receler ? Je ne délirais pas sous l’effet d’une lubie, elles étaient là, ces figures que je n’avais jamais observées auparavant.
Sous le manteau bleu Nattier de la madone, j’ai d’abord distingué le panache du chapeau à plume, puis la main qui le tenait, et, bouleversée, le personnage devant qui il s’inclinait ainsi, évanescente telle un elfe, la toute jeune femme qui méritait cet hommage.
Malgré le caractère fantastique de la découverte, j’excluais de tenter une opération de nettoyage qui risquait d’endommager la toile, mais je me devais de connaître à tout prix l’origine de cette apparition.
Lorsque à titre de conservateur des biens d’une illustre famille on habite un lieu si fortement atypique, on a eu l’occasion de rencontrer nombre de spécialistes, antiquaires, artisans d’art ou marchands. Épargné par la Révolution, le domaine a traversé le temps et garde sa superbe. J’ai aussitôt contacté le musée départemental. Il fait partie de ces reconstitutions en région des plus prestigieux établissements nationaux, pour demander une expertise.
Les rayons X ont révélé la vérité.
Les moyens scientifiques ont mis à jour la troublante histoire de Prisca Bonneville avec Charles de Romaincourt.
Entre la jeune fille aussi ravissante que modeste et le panache du futur comte, l’amour n’a pas connu la raison. À cette seule et radicale différence qui opposait son interdit, s’en ajoutait une plus effrayante. Pour avoir pu capter les sentiments de ce seigneur, elle fut accusée et soupçonnée de sorcellerie.
Les registres d’état civil en gardent trace et ont permis de reconstituer leur cheminement de vie. Un mystérieux garçon fut baptisé en 1786. Curieusement, l’extrait note bien son sexe, son prénom, le patronyme du père, le prestigieux Charles de Romaincourt, mais pas celui de la dame.
Sous la mise à nu des rayons X l’histoire qui a uni les jeunes gens en secret est révélée. La vierge à l’enfant qui dissimule la scène restée invisible pendant quatre siècles soustrait la présence des amants aux regards. La mère tient dans ses bras le fruit de leur amour et, à ses pieds, un document où se déchiffre l’acte de baptême de leur fils, Charles Ismaël et celui de leur mariage. La date de leur union s’avère postérieure de vingt ans à celle du baptême. Il confirme ce que l’on devine sur l’œuvre picturale : il souligne qu’en dépit de tous les interdits, le couple a vécu, sous le manteau peut-être, mais en parfaite harmonie leur attachement réciproque.
En ce qui me concerne, je n’ai pas tenté de demander une restauration mettant au jour un secret si bien enfoui sous le palimpseste*, et je garde pour moi la complicité de cet amour.
*Parchemin sous lequel a été inscrit un nouveau texte. En matière de peinture, on dit plutôt un repentir.
J’en connaissais chaque touche, millimètre, nuance, blessure, excès de soleil...depuis qu’il accompagnait mes regards de mon enfance jusqu’à maintenant, je n’avais jamais remarqué la particularité de ce tableau. En fin de journée, alors que les ultimes nuages viraient du rose au rouge orangé, puis au violet, un dernier rayon a frôlé la toile et je l’ai vu, ce visage.
Je ne dirai pas, traditionnellement, que je n’en ai pas cru mes yeux, oh ! non, je n’en ai pas douté un instant. Sous les couches de poussière et de crasse, j’ai aperçu ce nouveau paysage.
Je suis dépositaire, non pas propriétaire, de biens familiaux. Lorsque les héritiers des Romaincourt sont partis vivre leur vie de façon moins austère et plus lucrative, j’ai décidé de rester au château.
L’espace ne me manquait pas, mais le choix de ma chambre s’est imposé en fonction de l’emplacement de ce chef d’œuvre. Au sein de collections hétéroclites, ce portrait de vierge à l’enfant datant, en principe, du XVIIIe, représentait le legs que je chérissais le plus. Je n’ai pas envisagé un instant de le déplacer, non par crainte de laisser sur le mur l’empreinte de sa désertion, mais parce qu’il faisait corps avec cette chambre depuis que moi je le connaissais. Je l’ai contemplé pendant si longtemps, à toutes les heures et les nuances du jour, quel mystère pouvait-il encore receler ? Je ne délirais pas sous l’effet d’une lubie, elles étaient là, ces figures que je n’avais jamais observées auparavant.
Sous le manteau bleu Nattier de la madone, j’ai d’abord distingué le panache du chapeau à plume, puis la main qui le tenait, et, bouleversée, le personnage devant qui il s’inclinait ainsi, évanescente telle un elfe, la toute jeune femme qui méritait cet hommage.
Malgré le caractère fantastique de la découverte, j’excluais de tenter une opération de nettoyage qui risquait d’endommager la toile, mais je me devais de connaître à tout prix l’origine de cette apparition.
Lorsque à titre de conservateur des biens d’une illustre famille on habite un lieu si fortement atypique, on a eu l’occasion de rencontrer nombre de spécialistes, antiquaires, artisans d’art ou marchands. Épargné par la Révolution, le domaine a traversé le temps et garde sa superbe. J’ai aussitôt contacté le musée départemental. Il fait partie de ces reconstitutions en région des plus prestigieux établissements nationaux, pour demander une expertise.
Les rayons X ont révélé la vérité.
Les moyens scientifiques ont mis à jour la troublante histoire de Prisca Bonneville avec Charles de Romaincourt.
Entre la jeune fille aussi ravissante que modeste et le panache du futur comte, l’amour n’a pas connu la raison. À cette seule et radicale différence qui opposait son interdit, s’en ajoutait une plus effrayante. Pour avoir pu capter les sentiments de ce seigneur, elle fut accusée et soupçonnée de sorcellerie.
Les registres d’état civil en gardent trace et ont permis de reconstituer leur cheminement de vie. Un mystérieux garçon fut baptisé en 1786. Curieusement, l’extrait note bien son sexe, son prénom, le patronyme du père, le prestigieux Charles de Romaincourt, mais pas celui de la dame.
Sous la mise à nu des rayons X l’histoire qui a uni les jeunes gens en secret est révélée. La vierge à l’enfant qui dissimule la scène restée invisible pendant quatre siècles soustrait la présence des amants aux regards. La mère tient dans ses bras le fruit de leur amour et, à ses pieds, un document où se déchiffre l’acte de baptême de leur fils, Charles Ismaël et celui de leur mariage. La date de leur union s’avère postérieure de vingt ans à celle du baptême. Il confirme ce que l’on devine sur l’œuvre picturale : il souligne qu’en dépit de tous les interdits, le couple a vécu, sous le manteau peut-être, mais en parfaite harmonie leur attachement réciproque.
En ce qui me concerne, je n’ai pas tenté de demander une restauration mettant au jour un secret si bien enfoui sous le palimpseste*, et je garde pour moi la complicité de cet amour.
*Parchemin sous lequel a été inscrit un nouveau texte. En matière de peinture, on dit plutôt un repentir.
J'aime beaucoup votre plume.
Je me délecte de vos écrits, de vos textes.
Il y a tant à lire, et autant de plaisir.
Cordialement