Nous fêtons aujourd’hui l’entrée dans le neuvième mois de notre expédition. Mais je n’ai pas le cœur à la fête. Nous avons réintégré le vaisseau il y a à peine trois jours et je... [+]
Oreille interne
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La moustache au ras du sol, presque allongé, Gérard scrutait les lames de son parquet. Tous ses sens en éveil, aux aguets, il cherchait. Son regard détaillant chaque fibre, chaque tâche, chaque rainure du parquet. De ses dix doigts attentifs, il interrogeait chaque aspérité du vernis, doucement, précautionneusement. Ses oreilles guettaient, attendant de percevoir le moindre petit bruit, si infime soit-il. Son cristallin d'un choc contre une pièce délicate de métal, glissement sur le parquet, micro-brouhaha. Il était preneur de tout indice, si difficilement décelable soit-il.
Ainsi concentré, il évoluait lentement, rampant tout doucement dans son salon qui lui semblait soudainement gigantesque. Ainsi avachi par terre, mélange étrange entre un chien flairant une piste et un gecko étendant doucement ses pattes adhésives, Gérard Notrier offrait un spectacle grotesque.
Pourtant, quelques heures plus tôt, il était encore installé confortablement dans son bureau, dirigeant son entreprise. Indice de cette activité passée, il portait encore sa tenue de travail, pantalon de toile, chemise et cravate. Tenue parfaitement inadaptée à sa position reptilienne, l'handicapant dans ses mouvements et gênant ses recherches, le doux bruissement de la cravate traînant sur le sol étouffant, il le craignait, les bruits tant recherchés.
Mais que faisait-il exactement ? Comment un homme d'affaire tout à fait respectable, un parfait bipède bien intégré dans la société qu'il a lui-même bâtie, pouvait se retrouver dans la nécessité absolue d'adopter une position si contre-nature ?
C'était très simple. Plus tôt dans l'après-midi, il était rentré chez lui comme à son habitude, et après s'être défait de sa veste, il avait voulu téléphoné à sa fille. Jusque là, rien de bien sorcier. Au cours de son appel, sans y faire attention, il s'était gratté l'oreille. Anodin. Même en l'an 2128, se gratter l'oreille reste ce genre de mouvements propre à l'humain, qu'il effectue sans y penser, sans vraiment trop savoir pourquoi non plus. Mais ce geste anodin, associé aux vibrations régulières du véhicule qui l'avait ramené chez lui, aux micro-chocs entraînés par chaque pas, à quelques mouvements de tête un peu brusques et enfin et surtout à la façon dont il s'était cogné la tête le matin avait délogé son micro-téléphone, ou Mictel dans le langage courant. Cette petite puce si minuscule qu'il ne la sentait pas n'avait jamais quitté son oreille depuis sa mise en fonction et avait d'ailleurs vocation à ne jamais la quitter pendant la totalité de sa durée de vie. Mais aujourd'hui, le Mictel était sorti de sa position initiale et petit à petit, au gré des mouvements de Gérard, s'était déplacé vers la sortie de l'orifice auriculaire jusqu'à en être expulsé par ce grattement d'oreille.
Voilà comment Gérard s'était retrouvé au défi de retrouver dans son salon la minuscule puce presque indécelable par ses sens.
Soudain, il stoppa net sa progression. Il avait cru percevoir quelque chose. L'homme d'affaire tendit un peu plus ses oreilles déjà proches de l'écartèlement. C'était infime. Une minuscule rumeur que le moindre mouvement d'air pouvait dissiper. Il se concentra. Ce que le silence lui paraissait bruyant tout à coup, étouffant dans son infini mutisme la faible piste de Gérard.
Doucement, il inclina la tête vers la gauche. Mais quel vacarme que la mécanique du corps humain ! Il retourna à son immobilisme. Il entendait son sang circulait dans les minuscules vaisseaux de ses oreilles, brouillant sa faible piste. Il attendit. Le bruit semblait bien venir de sa gauche. Scrutant le parquet, ses doigts le palpant attentivement, il avança dans cette direction. Tout doucement. S'arrêtant pour laisser le gré à son ouïe de retrouver la piste. Un bon quart d'heure s'écoula quand son regard s'arrêta sur une aspérité du sol, un peu plus loin. Cette minuscule bosse était un peu plus proéminente que les autres et surtout, surtout, elle scintillait d'un éclat métallique sous la caresse des rayons lumineux du soleil.
Le visage de Gérard se tordit en un sourire carnassier. Il l'avait trouvé. C'est alors qu'un vrombissement vint le faire sursauter. Un vrombissement continu, non-violent mais qui résonnait dans le salon silencieux comme le puissant accord d'un orgue dans une immense cathédrale. L'aspirateur automatique entra dans le salon et, sous les yeux ahuris de Gérard, engloutit le précieux Mictel l'air de rien avant de poursuivre sa route.
La vidéo s'arrêta sur l'image de l'homme bouche-bée, suivant des yeux la machine infernale, comme pétrifié dans sa position de gecko.
Le slogan retentit en parallèle de la présentation de la nouvelle innovation :
« C'est parce que le Mictel vous mettait parfois dans des situations humiliantes que Beantel vous propose l'Intel. Encore plus petit et directement injecté sous votre peau, près de votre oreille. Une tenue parfaite et un fonctionnement sans faille en toute circonstance ! »
Ainsi concentré, il évoluait lentement, rampant tout doucement dans son salon qui lui semblait soudainement gigantesque. Ainsi avachi par terre, mélange étrange entre un chien flairant une piste et un gecko étendant doucement ses pattes adhésives, Gérard Notrier offrait un spectacle grotesque.
Pourtant, quelques heures plus tôt, il était encore installé confortablement dans son bureau, dirigeant son entreprise. Indice de cette activité passée, il portait encore sa tenue de travail, pantalon de toile, chemise et cravate. Tenue parfaitement inadaptée à sa position reptilienne, l'handicapant dans ses mouvements et gênant ses recherches, le doux bruissement de la cravate traînant sur le sol étouffant, il le craignait, les bruits tant recherchés.
Mais que faisait-il exactement ? Comment un homme d'affaire tout à fait respectable, un parfait bipède bien intégré dans la société qu'il a lui-même bâtie, pouvait se retrouver dans la nécessité absolue d'adopter une position si contre-nature ?
C'était très simple. Plus tôt dans l'après-midi, il était rentré chez lui comme à son habitude, et après s'être défait de sa veste, il avait voulu téléphoné à sa fille. Jusque là, rien de bien sorcier. Au cours de son appel, sans y faire attention, il s'était gratté l'oreille. Anodin. Même en l'an 2128, se gratter l'oreille reste ce genre de mouvements propre à l'humain, qu'il effectue sans y penser, sans vraiment trop savoir pourquoi non plus. Mais ce geste anodin, associé aux vibrations régulières du véhicule qui l'avait ramené chez lui, aux micro-chocs entraînés par chaque pas, à quelques mouvements de tête un peu brusques et enfin et surtout à la façon dont il s'était cogné la tête le matin avait délogé son micro-téléphone, ou Mictel dans le langage courant. Cette petite puce si minuscule qu'il ne la sentait pas n'avait jamais quitté son oreille depuis sa mise en fonction et avait d'ailleurs vocation à ne jamais la quitter pendant la totalité de sa durée de vie. Mais aujourd'hui, le Mictel était sorti de sa position initiale et petit à petit, au gré des mouvements de Gérard, s'était déplacé vers la sortie de l'orifice auriculaire jusqu'à en être expulsé par ce grattement d'oreille.
Voilà comment Gérard s'était retrouvé au défi de retrouver dans son salon la minuscule puce presque indécelable par ses sens.
Soudain, il stoppa net sa progression. Il avait cru percevoir quelque chose. L'homme d'affaire tendit un peu plus ses oreilles déjà proches de l'écartèlement. C'était infime. Une minuscule rumeur que le moindre mouvement d'air pouvait dissiper. Il se concentra. Ce que le silence lui paraissait bruyant tout à coup, étouffant dans son infini mutisme la faible piste de Gérard.
Doucement, il inclina la tête vers la gauche. Mais quel vacarme que la mécanique du corps humain ! Il retourna à son immobilisme. Il entendait son sang circulait dans les minuscules vaisseaux de ses oreilles, brouillant sa faible piste. Il attendit. Le bruit semblait bien venir de sa gauche. Scrutant le parquet, ses doigts le palpant attentivement, il avança dans cette direction. Tout doucement. S'arrêtant pour laisser le gré à son ouïe de retrouver la piste. Un bon quart d'heure s'écoula quand son regard s'arrêta sur une aspérité du sol, un peu plus loin. Cette minuscule bosse était un peu plus proéminente que les autres et surtout, surtout, elle scintillait d'un éclat métallique sous la caresse des rayons lumineux du soleil.
Le visage de Gérard se tordit en un sourire carnassier. Il l'avait trouvé. C'est alors qu'un vrombissement vint le faire sursauter. Un vrombissement continu, non-violent mais qui résonnait dans le salon silencieux comme le puissant accord d'un orgue dans une immense cathédrale. L'aspirateur automatique entra dans le salon et, sous les yeux ahuris de Gérard, engloutit le précieux Mictel l'air de rien avant de poursuivre sa route.
La vidéo s'arrêta sur l'image de l'homme bouche-bée, suivant des yeux la machine infernale, comme pétrifié dans sa position de gecko.
Le slogan retentit en parallèle de la présentation de la nouvelle innovation :
« C'est parce que le Mictel vous mettait parfois dans des situations humiliantes que Beantel vous propose l'Intel. Encore plus petit et directement injecté sous votre peau, près de votre oreille. Une tenue parfaite et un fonctionnement sans faille en toute circonstance ! »
https://short-edition.com/fr/oeuvre/nouvelles/a-chacun-sa-justice
Merci.