« Le souvenir se nourrit du regret qui nous enchaîne à ceux que nous ne pouvons plus faire revivre » (Norman Manea)
C’était pourtant un jour comme un autre. Comme des tas... [+]
Les montagnes russes
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Jury
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Je me souviens des montagnes russes, quand j’étais gosse.
Le grand train, bleu et blanc. Le parcours sinueux. Les corps qui montent, qui descendent. En redemandent.
À 100 à l’heure, et 90 degrés.
Cette musique kitch, improbable, en fond sonore. Les « Vous en voulez encore ? » de la foraine, qui explosent le tympan.
Ambiance barbe à papa, peluches géantes et pêches aux canards. Les grands, pas si grands, qui s’amusent.
« Fais-moi peur. »
À six ans, c’était bien les montagnes russes.
Plus tard, un peu moins.
Les montées. Les descentes.
Les descentes. Les montées.
De plus en plus tôt, les descentes, que les descentes.
La tête en bas. La tête en vrac.
Sans harnais. Sans filet. Sans petit train.
90 degrés, dans la gorge.
La musique. La guitare. Électrique. Les « boum boum ».
Qui martèlent.
Les matins. Qui chantent.
Faux.
Les jours sans nuit. Les nuits sans jour.
Les draps, les bras, jamais les mêmes. Toujours les mêmes.
Les « je t’aime », palliatifs.
L’émoi, les « moi », et les mois. Qui filent, s’effilent, jusqu’à perdre le fil.
À 100 à l’heure. Écorchés. Décousus. Recousus.
De travers.
La fermeture éclair.
Qui déraille.
Puis, ralentissement. Accalmie. Stabilisation.
Les jours funambules.
Figés.
Anesthésiés.
Reposants.
Rapiécés.
Trop courts.
« Vous en voulez encore ? »
C’est reparti. Nouveau tour.
Gratuit.
Vitesse.
Sensation.
Lâché de papillons.
Dans mon ventre.
Battements de cœur.
Boum-Boum. Boum-Boum. Boum-Boum.
Grande vitesse.
Looping.
Boum-boum. Boum-Boum. Boum.
Dans la boite crânienne.
Les freins qui lâchent.
Boum-Boum. Boum-Boum. Boum-Boum.
Puis les voies.
Les voix.
Chut.
Chut.
Chute.
Trou noir.
Au réveil. Les murs blancs. Pas immaculés. Juste aseptisés. Stériles. Qui glacent, jusqu’à l’échine.
De force, la vie qui s’égoutte. Aux tuyaux. Dans les bras.
Pas de guimauve. Pas de ballons. Pas de de bonbons.
Pas de churros. Juste la soupe. Dégueulasse. À 18h30.
Plus de foraine. La dame blonde, ses cheveux mal coupés, mal peignés, qui rentre, qui sort, comme chez elle. Son air compatissant, désolé, dégoulinant. Mon envie de lui balancer tous ses plateaux. En pleine gueule.
Ses menaces, ses gros yeux. Marrons. Moches. Qui agressent, qui transpercent.
La carapace, fissurée.
Ses séances piscine, art thérapie et autre connerie.
Ses cachets, blanc et bleu.
L’espoir qu’elle les change un jour, les cachets. Qu’elle m’en donne des roses, à paillettes, comme une baguette magique. Qui remplissent, qui transforment, en princesse, de contes de fées.
Qui stoppent le train, en montée. Avec un goût de pomme d’amour.
Mais les mots sont bloqués, étouffés, mort-nés.
Quand l’air manque, que les murs blancs deviennent trop oppressant, je ferme les yeux.
Je tiens une main.
De toutes mes forces.
Celle de ma mère.
Je sens le vent, qui fouette mes joues.
Le brouhaha des rires se mêlant, s’emmêlant, au creux de mes oreilles.
J’ai un peu froid, je joue à cache-cache, dans mon pull en grosse laine, que Mamie m’a tricoté. Pour Noël.
J’ai 6 ans.
Je suis debout.
Fascinée.
Émerveillée.
Juste bien.
Aux prémices, de la vie.
Devant le grand 8.
Le grand train, bleu et blanc. Le parcours sinueux. Les corps qui montent, qui descendent. En redemandent.
À 100 à l’heure, et 90 degrés.
Cette musique kitch, improbable, en fond sonore. Les « Vous en voulez encore ? » de la foraine, qui explosent le tympan.
Ambiance barbe à papa, peluches géantes et pêches aux canards. Les grands, pas si grands, qui s’amusent.
« Fais-moi peur. »
À six ans, c’était bien les montagnes russes.
Plus tard, un peu moins.
Les montées. Les descentes.
Les descentes. Les montées.
De plus en plus tôt, les descentes, que les descentes.
La tête en bas. La tête en vrac.
Sans harnais. Sans filet. Sans petit train.
90 degrés, dans la gorge.
La musique. La guitare. Électrique. Les « boum boum ».
Qui martèlent.
Les matins. Qui chantent.
Faux.
Les jours sans nuit. Les nuits sans jour.
Les draps, les bras, jamais les mêmes. Toujours les mêmes.
Les « je t’aime », palliatifs.
L’émoi, les « moi », et les mois. Qui filent, s’effilent, jusqu’à perdre le fil.
À 100 à l’heure. Écorchés. Décousus. Recousus.
De travers.
La fermeture éclair.
Qui déraille.
Puis, ralentissement. Accalmie. Stabilisation.
Les jours funambules.
Figés.
Anesthésiés.
Reposants.
Rapiécés.
Trop courts.
« Vous en voulez encore ? »
C’est reparti. Nouveau tour.
Gratuit.
Vitesse.
Sensation.
Lâché de papillons.
Dans mon ventre.
Battements de cœur.
Boum-Boum. Boum-Boum. Boum-Boum.
Grande vitesse.
Looping.
Boum-boum. Boum-Boum. Boum.
Dans la boite crânienne.
Les freins qui lâchent.
Boum-Boum. Boum-Boum. Boum-Boum.
Puis les voies.
Les voix.
Chut.
Chut.
Chute.
Trou noir.
Au réveil. Les murs blancs. Pas immaculés. Juste aseptisés. Stériles. Qui glacent, jusqu’à l’échine.
De force, la vie qui s’égoutte. Aux tuyaux. Dans les bras.
Pas de guimauve. Pas de ballons. Pas de de bonbons.
Pas de churros. Juste la soupe. Dégueulasse. À 18h30.
Plus de foraine. La dame blonde, ses cheveux mal coupés, mal peignés, qui rentre, qui sort, comme chez elle. Son air compatissant, désolé, dégoulinant. Mon envie de lui balancer tous ses plateaux. En pleine gueule.
Ses menaces, ses gros yeux. Marrons. Moches. Qui agressent, qui transpercent.
La carapace, fissurée.
Ses séances piscine, art thérapie et autre connerie.
Ses cachets, blanc et bleu.
L’espoir qu’elle les change un jour, les cachets. Qu’elle m’en donne des roses, à paillettes, comme une baguette magique. Qui remplissent, qui transforment, en princesse, de contes de fées.
Qui stoppent le train, en montée. Avec un goût de pomme d’amour.
Mais les mots sont bloqués, étouffés, mort-nés.
Quand l’air manque, que les murs blancs deviennent trop oppressant, je ferme les yeux.
Je tiens une main.
De toutes mes forces.
Celle de ma mère.
Je sens le vent, qui fouette mes joues.
Le brouhaha des rires se mêlant, s’emmêlant, au creux de mes oreilles.
J’ai un peu froid, je joue à cache-cache, dans mon pull en grosse laine, que Mamie m’a tricoté. Pour Noël.
J’ai 6 ans.
Je suis debout.
Fascinée.
Émerveillée.
Juste bien.
Aux prémices, de la vie.
Devant le grand 8.
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