« Au miel !? »
Tes yeux ont la couleur du miel. Tes cheveux ont la couleur du miel. Pas blonds, ni roux, ni châtains : miel !
Ton visage blanc est constellé de taches de rousseur qui... [+]
Je déteste faire les courses !
Quand je vois une petite mémé qui va faire ses courses toute seule, je ne peux pas m'empêcher de penser à quel point la vie d'une femme peut être pourrie : Tu rencontres un mec, tu te maries, tu fais des enfants, ils grandissent, quittent la maison; ton mari meure avant toi, si on en croit les statistiques d'espérance de vie, et tu te retrouves veuve. Si par bonheur, bien-sûr, il ne t'a pas quittée pour faire trois gosses à sa secrétaire qui a quinze ans de moins que toi ! Ou bien tu ne rencontres personne, tu ne te maries jamais, tu n'as pas d'enfants, tu te consacres à ta carrière. Quoi qu'il arrive, dans tous les cas, tu finis vieille et seule à tirer ton petit panier à roulette pour aller faire ton marché sur le Cours Lafayette, qu'il neige, vente ou pleuve....
Quand j’étais petite, chaque samedi après-midi, ma mère et moi allions à la supérette du quartier pour faire les courses. Ce samedi-là, comme d’habitude, Maman avait fait une liste avant de partir et comme souvent elle l’avait oubliée à la maison. Elle se doutait de cet oubli mais elle a tout de même sorti la quasi-totalité de son sac à main sur la petite chaise orange rabattable du chariot qui sert normalement à accueillir des petites fesses de bébés : « Oh là là ! C’est pas vrai ! » Elle était complétement affolée, comme si notre vie dépendait de cette liste. « Maman, c’est pas grave, je vais t’aider ! Je me souviens de ta liste : il faut du lait, du beurre... Et tu peux m'acheter des bonbons ? »
Elle remit à la hâte ses affaires dans son sac, tout en laissant virevolter un mouchoir en papier, et quelques tickets de caisse. Elle ne m'écoutait pas. Elle semblait si mal. Je ne comprenais pas pourquoi elle se mettait dans un tel état pour une liste de courses.
Tremblante, elle se lança enfin à l’assaut des rayons. Elle prenait des articles dans sa main, en lisait l’étiquette, les reposait aussitôt. Des tas de trucs dont on n’avait pas besoin et qui, j’en étais sûre, n’étaient pas sur sa liste.
Je ne comprenais pas son inquiétude mais je voulais l’aider : « Maman ! Je te dis que je me souviens de ce que tu as écrit sur ta liste ! Reste ici, je vais chercher ce qu'il nous faut ! » Elle lâcha un petit merci sans même se l'entendre dire.
Je parcourais les rayons un à un, essayant de me rappeler au mieux de la liste. J’en profitais pour choisir quelques merdouilles, comme disait Maman. Une fois les mains pleines, il fallait que je la retrouve dans le labyrinthe des rayons pour tout poser dans le chariot.
Je savais qu’elle était toujours très lente donc je m'attendais à la trouver là où je l’avais laissée, encore plongée dans la lecture des ingrédients et des tableaux caloriques, mais je ne vis dans ce rayon qu'une vieille dame demander à un employé du magasin de l'aider à attraper une boîte de conserve. Cela me fit penser un peu à ma grand-mère, ma Nanette. Avant qu’elle meure, nous étions toujours avec elle, sans l'ombre d'un homme à l'horizon à part le portrait de mon grand-père dans le salon. Mon père a quitté ma mère quand il a su qu’elle était tombée enceinte. « Tomber » enceinte comme tomber dans un piège ! Quand il a su que j'étais là, dans le ventre de ma mère, il a pris peur et l'a larguée du jour au lendemain... Prendre peur d'un embryon en dit long sur le pauvre type qu'il doit être ! Tout ça je le sais, car c'est ma petite Nanette chérie qui me l'a raconté. Je n'en ai jamais parlé avec ma mère...
Alors pour ne pas pleurer, je me suis interdit de penser à Nanette, et j’ai continué à chercher Maman. J’imaginais qu’elle râlait, furieuse de ne pas savoir où j’étais passée. Je l’aperçus enfin. Elle était en train de parler à quelqu’un. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai senti que j’allais être de trop. Je ne me suis donc pas précipitée vers elle. Je me suis cachée pour observer. Ma mère était en pleine discussion avec un type qui me semblait être notre ancien voisin. « Aujourd'hui votre traiteur vous a préparé un délicieux couscous à déguster en famille ! Alors régalez-vous ! Rendez-vous dans notre rayon traiteur ! » Les annonces publicitaires couvraient leurs paroles. Je ne pouvais pas entendre ce qu’ils étaient en train de se dire mais en percevant quelques éclats de sa voix, je comprenais que maman était triste, ou en colère après lui et que j’avais bien fait de rester planquée...
L’homme mit ses mains sur le chignon emmêlé de ma mère, apposa son front contre le sien et ils échangèrent un baiser au milieu d’un rayon vide.
Il partit d’un pas rapide, sans se retourner. Il ne se rendit pas compte que son écharpe avait glissé le long de sa veste. Ma mère la ramassa, la renifla et la mit dans son sac. C'était le moment pour moi de faire mon apparition comme si je n'avais rien vu. C'était le moment pour elle de prendre son faux sourire et faire comme si rien ne s'était passé durant mon absence bien que ses yeux soient encore rougis de larmes : « Alors on les fait ces courses ? Eh bien, tu m'en as ramené des merdouilles ! Ça m'apprendra à oublier la liste ! »
Je n’étais pas sûre d’avoir bien compris ce qu'il venait de se passer mais cela m’était égal car maman avait accepté de m’acheter des bonbons. Souvent, je pense encore à ce moment quand je vais dans un supermarché. C’est peut-être pour ça que je déteste faire les courses ?
J’aurais pu finir par me persuader que j’avais rêvé, mais je me souviens aussi que, certainement quelques temps plus tard, lors des courses du samedi, assise sur la chaise orange rabattable du Caddie, il arrivait à ma petite sœur de faire tomber sur le sol crasseux de la supérette son doudou tout doux, à carreaux marron et rouge.
Maman l’avait cousu, elle-même, dans le tissu d’une écharpe.
Quand je vois une petite mémé qui va faire ses courses toute seule, je ne peux pas m'empêcher de penser à quel point la vie d'une femme peut être pourrie : Tu rencontres un mec, tu te maries, tu fais des enfants, ils grandissent, quittent la maison; ton mari meure avant toi, si on en croit les statistiques d'espérance de vie, et tu te retrouves veuve. Si par bonheur, bien-sûr, il ne t'a pas quittée pour faire trois gosses à sa secrétaire qui a quinze ans de moins que toi ! Ou bien tu ne rencontres personne, tu ne te maries jamais, tu n'as pas d'enfants, tu te consacres à ta carrière. Quoi qu'il arrive, dans tous les cas, tu finis vieille et seule à tirer ton petit panier à roulette pour aller faire ton marché sur le Cours Lafayette, qu'il neige, vente ou pleuve....
Quand j’étais petite, chaque samedi après-midi, ma mère et moi allions à la supérette du quartier pour faire les courses. Ce samedi-là, comme d’habitude, Maman avait fait une liste avant de partir et comme souvent elle l’avait oubliée à la maison. Elle se doutait de cet oubli mais elle a tout de même sorti la quasi-totalité de son sac à main sur la petite chaise orange rabattable du chariot qui sert normalement à accueillir des petites fesses de bébés : « Oh là là ! C’est pas vrai ! » Elle était complétement affolée, comme si notre vie dépendait de cette liste. « Maman, c’est pas grave, je vais t’aider ! Je me souviens de ta liste : il faut du lait, du beurre... Et tu peux m'acheter des bonbons ? »
Elle remit à la hâte ses affaires dans son sac, tout en laissant virevolter un mouchoir en papier, et quelques tickets de caisse. Elle ne m'écoutait pas. Elle semblait si mal. Je ne comprenais pas pourquoi elle se mettait dans un tel état pour une liste de courses.
Tremblante, elle se lança enfin à l’assaut des rayons. Elle prenait des articles dans sa main, en lisait l’étiquette, les reposait aussitôt. Des tas de trucs dont on n’avait pas besoin et qui, j’en étais sûre, n’étaient pas sur sa liste.
Je ne comprenais pas son inquiétude mais je voulais l’aider : « Maman ! Je te dis que je me souviens de ce que tu as écrit sur ta liste ! Reste ici, je vais chercher ce qu'il nous faut ! » Elle lâcha un petit merci sans même se l'entendre dire.
Je parcourais les rayons un à un, essayant de me rappeler au mieux de la liste. J’en profitais pour choisir quelques merdouilles, comme disait Maman. Une fois les mains pleines, il fallait que je la retrouve dans le labyrinthe des rayons pour tout poser dans le chariot.
Je savais qu’elle était toujours très lente donc je m'attendais à la trouver là où je l’avais laissée, encore plongée dans la lecture des ingrédients et des tableaux caloriques, mais je ne vis dans ce rayon qu'une vieille dame demander à un employé du magasin de l'aider à attraper une boîte de conserve. Cela me fit penser un peu à ma grand-mère, ma Nanette. Avant qu’elle meure, nous étions toujours avec elle, sans l'ombre d'un homme à l'horizon à part le portrait de mon grand-père dans le salon. Mon père a quitté ma mère quand il a su qu’elle était tombée enceinte. « Tomber » enceinte comme tomber dans un piège ! Quand il a su que j'étais là, dans le ventre de ma mère, il a pris peur et l'a larguée du jour au lendemain... Prendre peur d'un embryon en dit long sur le pauvre type qu'il doit être ! Tout ça je le sais, car c'est ma petite Nanette chérie qui me l'a raconté. Je n'en ai jamais parlé avec ma mère...
Alors pour ne pas pleurer, je me suis interdit de penser à Nanette, et j’ai continué à chercher Maman. J’imaginais qu’elle râlait, furieuse de ne pas savoir où j’étais passée. Je l’aperçus enfin. Elle était en train de parler à quelqu’un. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai senti que j’allais être de trop. Je ne me suis donc pas précipitée vers elle. Je me suis cachée pour observer. Ma mère était en pleine discussion avec un type qui me semblait être notre ancien voisin. « Aujourd'hui votre traiteur vous a préparé un délicieux couscous à déguster en famille ! Alors régalez-vous ! Rendez-vous dans notre rayon traiteur ! » Les annonces publicitaires couvraient leurs paroles. Je ne pouvais pas entendre ce qu’ils étaient en train de se dire mais en percevant quelques éclats de sa voix, je comprenais que maman était triste, ou en colère après lui et que j’avais bien fait de rester planquée...
L’homme mit ses mains sur le chignon emmêlé de ma mère, apposa son front contre le sien et ils échangèrent un baiser au milieu d’un rayon vide.
Il partit d’un pas rapide, sans se retourner. Il ne se rendit pas compte que son écharpe avait glissé le long de sa veste. Ma mère la ramassa, la renifla et la mit dans son sac. C'était le moment pour moi de faire mon apparition comme si je n'avais rien vu. C'était le moment pour elle de prendre son faux sourire et faire comme si rien ne s'était passé durant mon absence bien que ses yeux soient encore rougis de larmes : « Alors on les fait ces courses ? Eh bien, tu m'en as ramené des merdouilles ! Ça m'apprendra à oublier la liste ! »
Je n’étais pas sûre d’avoir bien compris ce qu'il venait de se passer mais cela m’était égal car maman avait accepté de m’acheter des bonbons. Souvent, je pense encore à ce moment quand je vais dans un supermarché. C’est peut-être pour ça que je déteste faire les courses ?
J’aurais pu finir par me persuader que j’avais rêvé, mais je me souviens aussi que, certainement quelques temps plus tard, lors des courses du samedi, assise sur la chaise orange rabattable du Caddie, il arrivait à ma petite sœur de faire tomber sur le sol crasseux de la supérette son doudou tout doux, à carreaux marron et rouge.
Maman l’avait cousu, elle-même, dans le tissu d’une écharpe.