Depuis ma position, je peux distinguer quatre niveaux au tableau champêtre qui s'offre à mes yeux. À l'avant-plan, la pelouse du jardin où trèfles et pissenlits disputent aux graminées leu ... [+]
Lorsque les portes d’entrée du parc s’ouvrirent, ce fut la cohue : une foule de visiteurs se rua dans les rues de Grenoble à la recherche des zones de départ des téléphériques. Malgré l’heure matinale, l’impatience et l’excitation se lisait sur les visages. Deux visiteurs particulièrement empressés et tout encombrés de matériel photographique voulurent accéder au même instant à une cabine en partance. Ils se télescopèrent dans un choc terrible qui envoya dans les airs une gerbe d’objectifs et autres accessoires photo.
« Vous ne pourriez pas faire attention où vous allez, espèce de malotru ?
-Mais monsieur, c’est vous qui m’êtes rentré dedans !
-Regardez-moi cet éparpillement, j’espère que vous que rien n’est cassé. C’est que je suis pressé !
-Et moi donc ! J’ai une liste d’espèces à observer qui ne peut souffrir du moindre retard : épeire fasciée, lycose des bois, argryonète aquatique...
-Vous croyez être le seul ? La coronelle girondine, l’orvet fragile et la vipère péliade m’attendent, moi monsieur !
-Alors nous ferions mieux de nous hâter, la cabine va partir. Tenez, voilà votre tripode... Rendez-moi mon zoom et vite, allons-y ! Aïe ! Doucement ! »
Après une dernière bousculade, la cabine du téléphérique put enfin partir avec ses deux passagers courroucés. Cependant, les paysages magnifiques du Vercors qui s’ouvraient à leurs yeux au fur et à mesure du trajet finirent par adoucir leur humeur et l’un d’eux rompit le silence.
« Il me semble que vous n’ayez mentionné tout à l’heure que des reptiles dans votre liste d’espèces à observer... Seriez-vous un spécialiste ?
-Si fait ! Avec un faible tout particulier pour les serpents. J’ai hâte de découvrir les merveilles du parc ! Et je vous prie d’excuser mon emportement tout à l’heure. Un herpétologiste ne devrait pas manquer de sang-froid, mais j’ai parfois du mal à faire l’ovipare des choses.
-Ha ! Je suis moi-même arachnologiste. C’est de famille : nous aimons les araignées d’épeire en fils. Et vous êtes tout excusé : j’ai moi-même perdu le fil des bonnes manières et ça ne chélicère-vait à rien de se fâcher.
-Joli ! Vous étiez déjà venu au parc Isère ?
-Jamais ! Mais quel bonheur de respirer cet air pur ! Découvrir ces forêts qui s’étendent à perte de vue, ces pics majestueux. Ça change de la mégapole !
-A qui le dites-vous ? Je viens de la mégapole 17, l’ancienne ville de Rennes. Et vous ?
-Mégapole 6 : l’ancienne métropole Lille-Roubaix-Tourcoing. Et laissez-moi vous dire que les espaces naturels y sont limités.
-J’imagine. Riche idée tout de même d’avoir mis tout un département en cloche pour créer ce parc.
-Une fierté que l’Europe nous envie ! Mais ça n’a pas dû être facile de convaincre les habitants de déménager.
-Certes non. Sans compter l’impact culturel que cette interdiction d’occupation de territoire a eu sur le pays entier. Songez que l’Alpe-Duez, une des arrivées mythiques du tour de France, n’est qu’a quelques encâblures d’ici. Difficile d’imaginer que ces piteux restes d’asphalte étaient autrefois des routes où se massaient des milliers de spectateurs !
-En parlant d’encâblures, quelle sera votre itinéraire téléphérique ?
-Je pense descendre à la chaîne de Belladone pour ensuite prendre le trajet pour le grand lac de Laffrey. Ma carte numérique indique l’emplacement de plusieurs couleuvres vipérines dans ce secteur.
-Je vais moi aussi au lac de Laffrey, où j’espère prendre quelques beaux clichés de l’argryonète aquatique... Et si j’en ai le temps, je ferai un détour par la thomise enflée, qui se trouve aussi dans les environs. Et si nous faisions un bout de chemin ensemble ? »
Ainsi fut fait et les deux hommes, qui avaient commencé la journée en tant qu’adversaires, trouvèrent dans leur passion commune pour le règne animal les prémices d’une amitié prometteuse. La journée fut splendide. Après une brève exploration conjointe, ils se séparèrent et parcoururent mille vallons et crêtes pour débusquer et mitrailler de photos l’un les merveilles serpentines, l’autre les splendeurs arachnéennes du parc. Ils finirent par se retrouver pour faire le chemin téléphérique inverse de la matinée. Déjà le soleil palissait à l’horizon et le parc n’allait pas tarder à fermer. Euphoriques et exténués, ils se tombèrent dans les bras, désireux de partager leurs découvertes comme deux gamins impatients de se raconter des souvenirs de vacances. Le plaisir de cette journée de communion avec la nature les avait fait retomber en enfance et ils riaient comme des mômes alors que l’antique engin métallique les ramenait à leur point de départ.
« Quelle journée, mes aïeux, quelle journée ! Ha, si mes collègues avaient pu voir cette sublime tégénaire géante! Et vous, avez-vous trouvé votre bonheur ?
-Oh oui ! Cent fois oui ! Il faut dire que tout était parfaitement organisé. Chaque serpent était à l’emplacement exact indiqué sur la carte numérique. Je n’ai qu’une hâte : revenir ! Dommage que les entrées soient si difficiles à obtenir et... Vous m’écoutez ?
-Pardon, j’étais distrait par le paysage. Vous voyez ces sommets dans le lointain ? Ce sont les pics de valsenestre et l’aiguille des arias... La seule zone du parc totalement interdite aux visiteurs.
-Et alors ?
-Il court beaucoup de légendes au sujet de cette zone. Il paraît qu’on y trouve encore... de vrais animaux.
-Vous voulez dire... En chair et en os ? Pas des zoo-robots comme ceux que nous avons observé ?
-C’est bien cela. Je sais que cela paraît complétement irréaliste, mais... J’ai envie d’y croire.
-Vous vous faites des illusions, cher ami. De vrais animaux... Cela se saurait forcément ! En attendant une telle découverte, je crains qu’il ne faille nous contenter des miracles de la zoo-technologie... ce qui n’est déjà pas si mal ! »
Le téléphérique arriva à destination alors que la nuit tombait. L’herpétologiste et l’arachnologiste se saluèrent chaleureusement, puis ils retournèrent chacun vers leur mégapole, la tête pleine des rêves que leur époque pouvait encore leur offrir.
« Vous ne pourriez pas faire attention où vous allez, espèce de malotru ?
-Mais monsieur, c’est vous qui m’êtes rentré dedans !
-Regardez-moi cet éparpillement, j’espère que vous que rien n’est cassé. C’est que je suis pressé !
-Et moi donc ! J’ai une liste d’espèces à observer qui ne peut souffrir du moindre retard : épeire fasciée, lycose des bois, argryonète aquatique...
-Vous croyez être le seul ? La coronelle girondine, l’orvet fragile et la vipère péliade m’attendent, moi monsieur !
-Alors nous ferions mieux de nous hâter, la cabine va partir. Tenez, voilà votre tripode... Rendez-moi mon zoom et vite, allons-y ! Aïe ! Doucement ! »
Après une dernière bousculade, la cabine du téléphérique put enfin partir avec ses deux passagers courroucés. Cependant, les paysages magnifiques du Vercors qui s’ouvraient à leurs yeux au fur et à mesure du trajet finirent par adoucir leur humeur et l’un d’eux rompit le silence.
« Il me semble que vous n’ayez mentionné tout à l’heure que des reptiles dans votre liste d’espèces à observer... Seriez-vous un spécialiste ?
-Si fait ! Avec un faible tout particulier pour les serpents. J’ai hâte de découvrir les merveilles du parc ! Et je vous prie d’excuser mon emportement tout à l’heure. Un herpétologiste ne devrait pas manquer de sang-froid, mais j’ai parfois du mal à faire l’ovipare des choses.
-Ha ! Je suis moi-même arachnologiste. C’est de famille : nous aimons les araignées d’épeire en fils. Et vous êtes tout excusé : j’ai moi-même perdu le fil des bonnes manières et ça ne chélicère-vait à rien de se fâcher.
-Joli ! Vous étiez déjà venu au parc Isère ?
-Jamais ! Mais quel bonheur de respirer cet air pur ! Découvrir ces forêts qui s’étendent à perte de vue, ces pics majestueux. Ça change de la mégapole !
-A qui le dites-vous ? Je viens de la mégapole 17, l’ancienne ville de Rennes. Et vous ?
-Mégapole 6 : l’ancienne métropole Lille-Roubaix-Tourcoing. Et laissez-moi vous dire que les espaces naturels y sont limités.
-J’imagine. Riche idée tout de même d’avoir mis tout un département en cloche pour créer ce parc.
-Une fierté que l’Europe nous envie ! Mais ça n’a pas dû être facile de convaincre les habitants de déménager.
-Certes non. Sans compter l’impact culturel que cette interdiction d’occupation de territoire a eu sur le pays entier. Songez que l’Alpe-Duez, une des arrivées mythiques du tour de France, n’est qu’a quelques encâblures d’ici. Difficile d’imaginer que ces piteux restes d’asphalte étaient autrefois des routes où se massaient des milliers de spectateurs !
-En parlant d’encâblures, quelle sera votre itinéraire téléphérique ?
-Je pense descendre à la chaîne de Belladone pour ensuite prendre le trajet pour le grand lac de Laffrey. Ma carte numérique indique l’emplacement de plusieurs couleuvres vipérines dans ce secteur.
-Je vais moi aussi au lac de Laffrey, où j’espère prendre quelques beaux clichés de l’argryonète aquatique... Et si j’en ai le temps, je ferai un détour par la thomise enflée, qui se trouve aussi dans les environs. Et si nous faisions un bout de chemin ensemble ? »
Ainsi fut fait et les deux hommes, qui avaient commencé la journée en tant qu’adversaires, trouvèrent dans leur passion commune pour le règne animal les prémices d’une amitié prometteuse. La journée fut splendide. Après une brève exploration conjointe, ils se séparèrent et parcoururent mille vallons et crêtes pour débusquer et mitrailler de photos l’un les merveilles serpentines, l’autre les splendeurs arachnéennes du parc. Ils finirent par se retrouver pour faire le chemin téléphérique inverse de la matinée. Déjà le soleil palissait à l’horizon et le parc n’allait pas tarder à fermer. Euphoriques et exténués, ils se tombèrent dans les bras, désireux de partager leurs découvertes comme deux gamins impatients de se raconter des souvenirs de vacances. Le plaisir de cette journée de communion avec la nature les avait fait retomber en enfance et ils riaient comme des mômes alors que l’antique engin métallique les ramenait à leur point de départ.
« Quelle journée, mes aïeux, quelle journée ! Ha, si mes collègues avaient pu voir cette sublime tégénaire géante! Et vous, avez-vous trouvé votre bonheur ?
-Oh oui ! Cent fois oui ! Il faut dire que tout était parfaitement organisé. Chaque serpent était à l’emplacement exact indiqué sur la carte numérique. Je n’ai qu’une hâte : revenir ! Dommage que les entrées soient si difficiles à obtenir et... Vous m’écoutez ?
-Pardon, j’étais distrait par le paysage. Vous voyez ces sommets dans le lointain ? Ce sont les pics de valsenestre et l’aiguille des arias... La seule zone du parc totalement interdite aux visiteurs.
-Et alors ?
-Il court beaucoup de légendes au sujet de cette zone. Il paraît qu’on y trouve encore... de vrais animaux.
-Vous voulez dire... En chair et en os ? Pas des zoo-robots comme ceux que nous avons observé ?
-C’est bien cela. Je sais que cela paraît complétement irréaliste, mais... J’ai envie d’y croire.
-Vous vous faites des illusions, cher ami. De vrais animaux... Cela se saurait forcément ! En attendant une telle découverte, je crains qu’il ne faille nous contenter des miracles de la zoo-technologie... ce qui n’est déjà pas si mal ! »
Le téléphérique arriva à destination alors que la nuit tombait. L’herpétologiste et l’arachnologiste se saluèrent chaleureusement, puis ils retournèrent chacun vers leur mégapole, la tête pleine des rêves que leur époque pouvait encore leur offrir.