Hermia regarda la foule qui se pressait sur la place malgré le froid, sans s'attarder sur aucun visage. Encore une poignée de minutes, le temps pour son bourreau d'égrener les accusations ... [+]
Quand s'en vient la nuit
Ainsi va ma vie aujourd'hui. Je suis ici depuis si longtemps, en une sorte de vase clos, où des gens déambulent, me regardent, parfois sans me voir. Je les entends chuchoter leur incompréhension ou leur admiration. Je laisse rarement indifférent. Surtout, je les écoute raconter ces ailleurs qu'ils font ainsi défiler devant moi. Parfois, une remarque, une voix singulière m'inspirent une harmonie, un tempo, un début de mélodie. J'attends alors le bon moment, les nuits tranquilles, entre deux rondes, pour sortir de ma chrysalide et m'échapper de ma gangue translucide au parfum si particulier. Je pars alors, muser par les chemins balisés de ce paquebot restant à quai. On se retrouve avec d'autres. On discute rythme, blanches, croches, dièses et autres bémols. Le plus souvent, on s'accorde et on improvise un bœuf qui dure jusqu'à l'aube. Pas besoin de partitions ici. Toutes les musiques sont possibles, à l'infini et sans fausse note. Peut-être même qu'elles résonnent quand vient le jour. On occupe l'éternité comme on peut.
Je n'ai rien vu venir le jour où mon destin a basculé. Déjà tout gamin, je transposais le fond sonore de la rue et du labeur en ritournelles enjouées pour rendre le quotidien plus supportable. Je compensais les peines à vivre en sifflotant des airs à sourire. C'est un vieux marin, venu finir sa vie sur le parvis de l'église place du marché, qui m'a pris sous aile et montré les rudiments de sa boîte à frissons. J'en ai hérité un matin de janvier ; il ne m'a plus quitté. Quelques années plus tard, alors que je faisais la manche avec ce piano à bretelles et mon chapeau, ce fut la rencontre avec ce peintre bien mis mais révolutionnaire. Je suis d'abord mort de faim, puis d'une balle sur le Chemin des Dames. Le peintre m'avait promis la gloire. Et je suis célèbre ! Moins que lui mais je ne lui en veux pas. Grâce à Picasso, je suis et resterai toujours : "L'accordéoniste*".
* "L'accordéoniste" de Pablo Picasso
Huile sur toile peinte en 1911 à Céret (Pyrénées Orientales)
Conservée au musée Guggenheim de New York
https://www.youtube.com/watch?v=6OIQVbiY5J0&list=RD6OIQVbiY5J0&index=1
Bonne écoute ;-)
Le piano y est, la mélodie aussi, seul manque l'accordéon 😉
À bientôt Laurence sur nos lignes