La basket amoureuse aux lacets enlacés,
A su séduire aussi le pied de ma maîtresse,
Et nous partons alors pour goûter à... [+]
Le murmure de la rivière bruissait un peu plus loin sous les peupliers. Allongée sur un transat, Myriam lisait à l’ombre d’un pin maritime qui développait son panache émeraude dans le ciel. Le roman n’était pas passionnant, mais il se mariait bien avec l’atmosphère : une histoire d’amour à l’eau de rose qui lui permettait de s’imaginer dans les bras d’un officier de marine. Un capitaine qu’elle aurait voulu beau, attentionné, prévenant et, si possible, drôle. Autant dire un rêve irréalisable.
À côté de la jeune femme, posée sur le gazon, trônait un fauteuil roulant. L’appareil qui l'avait aidée pour venir ici et sans lequel sa vie ressemblerait à celle d’une bonne sœur enfermée dans sa cellule. Il se tenait là, tranquille comme un animal fidèle, prêt à assouvir le moindre désir de sa maîtresse. Elle disait souvent qu’il était son chien d’aveugle. Myriam n’était pas aveugle ; elle était juste paraplégique.
Alors que le gazouillis des oiseaux annonçait la fin de l’après-midi, Myriam se voyait transporter dans les bras du personnage de son livre. Une sorte de prince des temps modernes, au costume impeccablement immaculé, aux muscles saillants et doté d’un visage d’intellectuel. Elle s’imaginait dans une île tropicale, à l’ombre des cocotiers, un alizé caressant sa peau. Son nouvel amant la séduisait dans une conversation murmurée à son oreille.
Le croassement d’un corbeau la fit revenir à la réalité. Une réalité moins paradisiaque, beaucoup plus prosaïque. Après un coup d’œil dirigé vers son fauteuil, elle retourna à nouveau sur la terre ferme. Elle était bien seule, loin de l’agitation du village où se déroulait la fête. La ronde des manèges, des montagnes russes et des appareils à donner le frisson. Le même type d’attraction qui l’avait projeté sur le sol, avant qu’elle ne se retrouvât paralysée.
Le souvenir de cet accident lui procura des fourmillements dans les jambes qui, pourtant, étaient complètement désensibilisées. Comme si elles souhaitaient se rappeler à elle, à sa vie précédente. Cette existence où elle avait pu sauter, danser et courir.
Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas l’homme qui se dirigeait vers elle. Assez jeune, élégant, un grand sourire aux lèvres, il marchait à pas de loup, avant de se cacher derrière le tronc d’un vieux chêne. Là, il se mit à murmurer de façon à ce que la jeune femme puisse juste le comprendre :
— C’est moi. C’est moi Arnaud, le capitaine du voilier.
Myriam se retourna et n’aperçut aucune âme qui vive alentour.
Les paroles se répétèrent alors, avec un timbre encore plus confidentiel. Elle se retourna à nouveau, sans plus de succès. Le capitaine du navire ! Le capitaine du livre qu’elle était en train de lire et qui se nommait justement Arnaud ! Impossible, à moins que ce soit mon inconscient qui me joue des tours, se dit-elle.
— Nous sommes bien, sur cette plage, au bord de la mer des Caraïbes, ne trouves-tu pas ?
Elle ne répondit pas, bien qu’elle en ait eu une forte envie.
— Contemple ces reflets d’argent sur le lagon qui s’est paré de toute sa palette de bleus et de verts ! Le soleil commence à tomber sur l’horizon, regarde comme c’est beau !
Myriam n’en croyait pas ses oreilles. Quelques minutes auparavant, elle imaginait exactement le même spectacle ! Alors, elle essaya de se lever un peu plus, de façon à avoir un champ de vue plus grand. Mais il n’y avait rien, sinon quelques arbres.
Soudain, n’y pouvant plus, elle s’entendit crier :
— Qui êtes-vous à la fin ? Et où êtes-vous ?
Un nouveau murmure lui répondit :
— Je suis Arnaud, et tu le sais bien ! Je me trouve à la fois dans ton roman et dans ta tête !
La jeune femme se prit le crâne entre ses mains, le pressa légèrement, comme si elle souhaitait ainsi faire sortir cette voix intruse. Mais, celle-ci insista :
— Tu viens te baigner ?
Son regard se tourna vers le ruisseau qui, imperturbablement, poursuivait son bruissement : pas de plage de sable fin, pas de lagon, pas de petits cumulus dans l’azur. Seulement un ru serpentant autour de peupliers qui semblaient avoir poussé au hasard.
— Tu viens te baigner ? répéta le murmure un peu plus fermement.
Après tout, pourquoi pas ! songea-t-elle. Se trouvant toute seule, les habitants du village faisant la fête, que risquait-elle ? Pas même un rhume, la température étant plutôt estivale. Si son subconscient souhaitait qu’elle prenne un bain, pourquoi ne pas l’écouter !
Elle entreprit alors de se déshabiller. L’opération ne nécessitant pas d’effort particulier, elle se retrouva très vite en sous-vêtements, pour son plus grand plaisir.
— Enlève ton soutien-gorge, tu seras plus à l’aise, dit la voix de plus en plus assurée.
Myriam obéit et libéra une poitrine à faire pâlir un saint. La partie de son corps dont elle était la plus fière.
Rejoindre le ruisseau représentait un problème beaucoup plus complexe. Le plus simple était de se placer sur la chaise et de la faire rouler jusqu’à la berge. Quitte même à immerger les roues. Là, elle pourrait facilement gagner l’onde dansante.
Le scénario élaboré, elle le mit en œuvre avec une aisance professionnelle. Ainsi, son véhicule stagnant dans le courant, elle se glissa petit à petit dans celui-ci. La fraîcheur la surprit au début, mais elle s’en accommoda assez rapidement, en nageant avec ses bras. L’habitude de la piscine l’aida à rejoindre l’autre rive où elle put contempler le spectacle qui s’offrait à elle. Son chien fidèle l’attendait sagement, les roues immergées au tiers de leur diamètre.
Elle remarqua alors qu’elle n’entendait plus la voix intérieure, mais ne s’en inquiéta pas le moins du monde. La froidure de l’eau avait dû mettre un peu d’ordre dans son cerveau, comme après un repas un peu trop arrosé.
Il était temps de revenir là où elle avait laissé ses habits, le soleil commençant à gagner l’horizon. Elle rejoignit alors son fauteuil roulant, s’installa dessus et entreprit de le faire démarrer. En vain. Les roues semblaient collées sur le fond du ruisseau. Elle insista, mais rien n’y fit. Une angoisse se mit à sourdre lentement dans son corps. Allait-elle passer la nuit au milieu de cette rivière, coincée sur son véhicule et en petite culotte !
Alors qu’elle envisageait de ramper pour atteindre ses habits, l’homme sortit de sa cachette pour se diriger vers Myriam. Dès qu’elle l’aperçut, elle tenta de dissimuler sa poitrine derrière ses bras. Paniquée, elle songea qu’elle était totalement à sa merci. Une vague de frissons inonda son échine et sa peau se para de chair de poule.
— Je vois que vous avez besoin d’aide !
La voix était exactement celle des murmures. Je ne rêvais pas, c’est lui qui me parlait, songea-t-elle en croisant encore un peu plus ses coudes.
— Mais qui êtes-vous, Monsieur, et que me voulez-vous ?
— Je vous l’ai déjà dit. Je suis Arnaud et je vous tiens compagnie. Une compagnie strictement littéraire, il va de soi.
Sans plus de cérémonie, l’individu, dont le sourire aurait séduit la plus rebelle des nonnes, s’enfonça dans l’eau, saisit les poignées de la chaise et la poussa sur la berge comme s’il s’était agi d’une trottinette.
— Voilà, vous êtes sauvée ! Je vous emmène jusqu’à vos vêtements.
Myriam ne savait plus quoi penser. Devait-elle avoir peur ou, au contraire, se réjouir de cette rencontre inopinée ? Sans résoudre ce dilemme cornélien, elle entreprit de se rhabiller au plus vite. La célérité avec laquelle elle le fit étonna le jeune homme qui admirait ce corps aussi bien fait. Une perfection de la nature, s’il faisait abstraction de son infirmité, songea-t-il avec une émotion retenue.
Une fois qu’elle fut revêtue, les deux jeunes gens s’observèrent en silence. Aucune gêne apparente ne les enveloppait. Comme s’ils ne connaissaient de longue date. Ce fut Myriam qui rompit la quiétude en premier :
— Maintenant que vous m’avez sauvée, qui êtes-vous pour de vrai ?
— Je m’appelle bel et bien Arnaud et je suis capitaine dans la marine !
La comédie continue ! se dit la jeune femme qui commençait à se lasser de ce jeu.
— J’ai dit, pour de vrai !
Un grand sourire lui répondit avant qu’elle n’entende :
— Arnaud, capitaine de corvette, en vacances dans le coin.
L’homme paraissait honnête. Elle fut tentée de le croire, malgré la coïncidence.
— Savez-vous que vous êtes très belle !
— Ne vous moquez pas de moi, je vous en prie.
Prenant conscience de sa maladresse, il rectifia ses propos :
— Je suis sérieux, Myriam, le plus sérieux des hommes.
— Mais, comment connaissez-vous mon prénom ?
Il fit semblant de réfléchir à la réponse la plus appropriée, avant de prononcer :
— Je me suis renseigné sur vous auprès de la libraire du village. C’est ainsi que j’ai appris le nom du livre que vous lisez ! Et votre prénom, par la même occasion !
Myriam s’étonna qu’un individu aussi beau puisse s’intéresser à elle.
— Et que me vaut l’honneur d’avoir attiré votre attention ?
— Nous avons les mêmes goûts littéraires !
La réplique fusa :
— C’est pour cela que vous m’avez demandé de me déshabiller ! Pour juger sur pièce !
Il prit un air contrit pour lui répondre :
— Ne vous méprenez pas ! Je souhaitais simplement savoir si vous étiez aussi jolie nue qu’habillée ! J’avoue ne pas avoir été déçue !
— Et, si je vous avais demandé la même chose !
Au lieu de répondre, l’officier souleva le bas de ses deux jambes de pantalon. La jeune fille découvrit alors deux prothèses en métal reliées à ses chaussures.
— Comme vous le voyez, nous sommes tous les deux infirmes ! Alors, j’ai pensé que nous pourrions faire un petit bout de chemin ensemble ! Vous sur votre chaise et moi avec mon appareillage !
Alors que la paralysée restait silencieuse, l’homme ajouta :
— Ne vous en faites pas. Mon bateau est équipé pour recevoir les fauteuils roulants !
Le ruisseau continuait de murmurer, mais quelque chose dans l’atmosphère changea. Tous les oiseaux se turent lorsque les deux jeunes gens s’embrassèrent, tandis que le soleil avait déjà rejoint l’horizon pour se coucher sur la mer où un voilier dansait sur les flots.
À côté de la jeune femme, posée sur le gazon, trônait un fauteuil roulant. L’appareil qui l'avait aidée pour venir ici et sans lequel sa vie ressemblerait à celle d’une bonne sœur enfermée dans sa cellule. Il se tenait là, tranquille comme un animal fidèle, prêt à assouvir le moindre désir de sa maîtresse. Elle disait souvent qu’il était son chien d’aveugle. Myriam n’était pas aveugle ; elle était juste paraplégique.
Alors que le gazouillis des oiseaux annonçait la fin de l’après-midi, Myriam se voyait transporter dans les bras du personnage de son livre. Une sorte de prince des temps modernes, au costume impeccablement immaculé, aux muscles saillants et doté d’un visage d’intellectuel. Elle s’imaginait dans une île tropicale, à l’ombre des cocotiers, un alizé caressant sa peau. Son nouvel amant la séduisait dans une conversation murmurée à son oreille.
Le croassement d’un corbeau la fit revenir à la réalité. Une réalité moins paradisiaque, beaucoup plus prosaïque. Après un coup d’œil dirigé vers son fauteuil, elle retourna à nouveau sur la terre ferme. Elle était bien seule, loin de l’agitation du village où se déroulait la fête. La ronde des manèges, des montagnes russes et des appareils à donner le frisson. Le même type d’attraction qui l’avait projeté sur le sol, avant qu’elle ne se retrouvât paralysée.
Le souvenir de cet accident lui procura des fourmillements dans les jambes qui, pourtant, étaient complètement désensibilisées. Comme si elles souhaitaient se rappeler à elle, à sa vie précédente. Cette existence où elle avait pu sauter, danser et courir.
Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas l’homme qui se dirigeait vers elle. Assez jeune, élégant, un grand sourire aux lèvres, il marchait à pas de loup, avant de se cacher derrière le tronc d’un vieux chêne. Là, il se mit à murmurer de façon à ce que la jeune femme puisse juste le comprendre :
— C’est moi. C’est moi Arnaud, le capitaine du voilier.
Myriam se retourna et n’aperçut aucune âme qui vive alentour.
Les paroles se répétèrent alors, avec un timbre encore plus confidentiel. Elle se retourna à nouveau, sans plus de succès. Le capitaine du navire ! Le capitaine du livre qu’elle était en train de lire et qui se nommait justement Arnaud ! Impossible, à moins que ce soit mon inconscient qui me joue des tours, se dit-elle.
— Nous sommes bien, sur cette plage, au bord de la mer des Caraïbes, ne trouves-tu pas ?
Elle ne répondit pas, bien qu’elle en ait eu une forte envie.
— Contemple ces reflets d’argent sur le lagon qui s’est paré de toute sa palette de bleus et de verts ! Le soleil commence à tomber sur l’horizon, regarde comme c’est beau !
Myriam n’en croyait pas ses oreilles. Quelques minutes auparavant, elle imaginait exactement le même spectacle ! Alors, elle essaya de se lever un peu plus, de façon à avoir un champ de vue plus grand. Mais il n’y avait rien, sinon quelques arbres.
Soudain, n’y pouvant plus, elle s’entendit crier :
— Qui êtes-vous à la fin ? Et où êtes-vous ?
Un nouveau murmure lui répondit :
— Je suis Arnaud, et tu le sais bien ! Je me trouve à la fois dans ton roman et dans ta tête !
La jeune femme se prit le crâne entre ses mains, le pressa légèrement, comme si elle souhaitait ainsi faire sortir cette voix intruse. Mais, celle-ci insista :
— Tu viens te baigner ?
Son regard se tourna vers le ruisseau qui, imperturbablement, poursuivait son bruissement : pas de plage de sable fin, pas de lagon, pas de petits cumulus dans l’azur. Seulement un ru serpentant autour de peupliers qui semblaient avoir poussé au hasard.
— Tu viens te baigner ? répéta le murmure un peu plus fermement.
Après tout, pourquoi pas ! songea-t-elle. Se trouvant toute seule, les habitants du village faisant la fête, que risquait-elle ? Pas même un rhume, la température étant plutôt estivale. Si son subconscient souhaitait qu’elle prenne un bain, pourquoi ne pas l’écouter !
Elle entreprit alors de se déshabiller. L’opération ne nécessitant pas d’effort particulier, elle se retrouva très vite en sous-vêtements, pour son plus grand plaisir.
— Enlève ton soutien-gorge, tu seras plus à l’aise, dit la voix de plus en plus assurée.
Myriam obéit et libéra une poitrine à faire pâlir un saint. La partie de son corps dont elle était la plus fière.
Rejoindre le ruisseau représentait un problème beaucoup plus complexe. Le plus simple était de se placer sur la chaise et de la faire rouler jusqu’à la berge. Quitte même à immerger les roues. Là, elle pourrait facilement gagner l’onde dansante.
Le scénario élaboré, elle le mit en œuvre avec une aisance professionnelle. Ainsi, son véhicule stagnant dans le courant, elle se glissa petit à petit dans celui-ci. La fraîcheur la surprit au début, mais elle s’en accommoda assez rapidement, en nageant avec ses bras. L’habitude de la piscine l’aida à rejoindre l’autre rive où elle put contempler le spectacle qui s’offrait à elle. Son chien fidèle l’attendait sagement, les roues immergées au tiers de leur diamètre.
Elle remarqua alors qu’elle n’entendait plus la voix intérieure, mais ne s’en inquiéta pas le moins du monde. La froidure de l’eau avait dû mettre un peu d’ordre dans son cerveau, comme après un repas un peu trop arrosé.
Il était temps de revenir là où elle avait laissé ses habits, le soleil commençant à gagner l’horizon. Elle rejoignit alors son fauteuil roulant, s’installa dessus et entreprit de le faire démarrer. En vain. Les roues semblaient collées sur le fond du ruisseau. Elle insista, mais rien n’y fit. Une angoisse se mit à sourdre lentement dans son corps. Allait-elle passer la nuit au milieu de cette rivière, coincée sur son véhicule et en petite culotte !
Alors qu’elle envisageait de ramper pour atteindre ses habits, l’homme sortit de sa cachette pour se diriger vers Myriam. Dès qu’elle l’aperçut, elle tenta de dissimuler sa poitrine derrière ses bras. Paniquée, elle songea qu’elle était totalement à sa merci. Une vague de frissons inonda son échine et sa peau se para de chair de poule.
— Je vois que vous avez besoin d’aide !
La voix était exactement celle des murmures. Je ne rêvais pas, c’est lui qui me parlait, songea-t-elle en croisant encore un peu plus ses coudes.
— Mais qui êtes-vous, Monsieur, et que me voulez-vous ?
— Je vous l’ai déjà dit. Je suis Arnaud et je vous tiens compagnie. Une compagnie strictement littéraire, il va de soi.
Sans plus de cérémonie, l’individu, dont le sourire aurait séduit la plus rebelle des nonnes, s’enfonça dans l’eau, saisit les poignées de la chaise et la poussa sur la berge comme s’il s’était agi d’une trottinette.
— Voilà, vous êtes sauvée ! Je vous emmène jusqu’à vos vêtements.
Myriam ne savait plus quoi penser. Devait-elle avoir peur ou, au contraire, se réjouir de cette rencontre inopinée ? Sans résoudre ce dilemme cornélien, elle entreprit de se rhabiller au plus vite. La célérité avec laquelle elle le fit étonna le jeune homme qui admirait ce corps aussi bien fait. Une perfection de la nature, s’il faisait abstraction de son infirmité, songea-t-il avec une émotion retenue.
Une fois qu’elle fut revêtue, les deux jeunes gens s’observèrent en silence. Aucune gêne apparente ne les enveloppait. Comme s’ils ne connaissaient de longue date. Ce fut Myriam qui rompit la quiétude en premier :
— Maintenant que vous m’avez sauvée, qui êtes-vous pour de vrai ?
— Je m’appelle bel et bien Arnaud et je suis capitaine dans la marine !
La comédie continue ! se dit la jeune femme qui commençait à se lasser de ce jeu.
— J’ai dit, pour de vrai !
Un grand sourire lui répondit avant qu’elle n’entende :
— Arnaud, capitaine de corvette, en vacances dans le coin.
L’homme paraissait honnête. Elle fut tentée de le croire, malgré la coïncidence.
— Savez-vous que vous êtes très belle !
— Ne vous moquez pas de moi, je vous en prie.
Prenant conscience de sa maladresse, il rectifia ses propos :
— Je suis sérieux, Myriam, le plus sérieux des hommes.
— Mais, comment connaissez-vous mon prénom ?
Il fit semblant de réfléchir à la réponse la plus appropriée, avant de prononcer :
— Je me suis renseigné sur vous auprès de la libraire du village. C’est ainsi que j’ai appris le nom du livre que vous lisez ! Et votre prénom, par la même occasion !
Myriam s’étonna qu’un individu aussi beau puisse s’intéresser à elle.
— Et que me vaut l’honneur d’avoir attiré votre attention ?
— Nous avons les mêmes goûts littéraires !
La réplique fusa :
— C’est pour cela que vous m’avez demandé de me déshabiller ! Pour juger sur pièce !
Il prit un air contrit pour lui répondre :
— Ne vous méprenez pas ! Je souhaitais simplement savoir si vous étiez aussi jolie nue qu’habillée ! J’avoue ne pas avoir été déçue !
— Et, si je vous avais demandé la même chose !
Au lieu de répondre, l’officier souleva le bas de ses deux jambes de pantalon. La jeune fille découvrit alors deux prothèses en métal reliées à ses chaussures.
— Comme vous le voyez, nous sommes tous les deux infirmes ! Alors, j’ai pensé que nous pourrions faire un petit bout de chemin ensemble ! Vous sur votre chaise et moi avec mon appareillage !
Alors que la paralysée restait silencieuse, l’homme ajouta :
— Ne vous en faites pas. Mon bateau est équipé pour recevoir les fauteuils roulants !
Le ruisseau continuait de murmurer, mais quelque chose dans l’atmosphère changea. Tous les oiseaux se turent lorsque les deux jeunes gens s’embrassèrent, tandis que le soleil avait déjà rejoint l’horizon pour se coucher sur la mer où un voilier dansait sur les flots.