Pesto parmesan
basilic entre les dents
rendez-vous raté
Le Chic de la grosse benne
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Finaliste
Jury
Jury

Pourquoi on a aimé ?
Un texte magnifique, tout en pudeur et en dépouillement, qui traite avec beaucoup de simplicité et de retenue de la condition des personnes âgées
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Il y avait des bibelots sur son unique étagère.
Une théière était en porcelaine si fine que la lumière faisait des petits grains émaillés sur l’arrondi de sa très vieille pâleur. On aurait dit du sucre. Un chaton en étain miniature lapait le lait métallique d’une tasse bordée d’or. Un cadre à photos était recouvert d’un plastique même pas déballé. Il n’y avait pas de photos, seulement des creux, vacants, ovales comme des bouches vides, des hurlements muets, presque des cris de poussière.
Quelques livres faisaient contrepoids.
Au sommet de l’armoire, une valise de cuir qui sentait bon le chic et le muguet avait un creux sur le dessus, comme un ventre maigre, affaissé, qui se serait arrêté de respirer.
Madame B. ne parlait jamais de cette valise. Elle y avait rangé toute sa vie. Toute sa vie.
Ici, quelque chose s’était figé.
Nos journées étaient bien trop remplies et nos chevilles toutes gonflées le soir.
Avec les collègues, nous avions décidé de rester sur place le temps qu’il faudrait.
Nous avions installé notre campement d’infortune dans une salle de réunions puisque plus personne ne se réunissait depuis le début de la pandémie. Nous avions posé des matelas et des draps sur le sol. Les chaises et les tables étaient empilées dans le couloir en une longue rangée sentinelle de rien.
Chacune avait son sac de couchage, son oreiller et ses petites affaires.
Pour un peu, on se serait cru en colonie de vacances alors, le soir, juste avant que l’équipe de nuit ne vienne nous souhaiter un bon repos, nous riions comme des gamines en goguette, loin de nos familles, bercées par les lueurs volatiles de nos lampes torches.
J’écris sur un petit carnet, le ferme avec un élastique qui fait trois fois le tour, il sert à coincer mon crayon que je taillerai demain.
Il est 23 h 48, je n’ai pas sommeil.
On entend tousser au-dessus de notre bivouac retranché au rez-de-chaussée de cet îlot gériatrique.
Parfois les pas aux semelles blanches courent sur nos têtes, le plus souvent ils suivent le roulis des chariots de soins, emplis à ras bords de choses si nécessaires qui viennent vite à manquer.
On avait eu l’air de mendier, au début du printemps.
Pourtant, on ne faisait pas l’aumône, faut pas croire.
On voulait juste ce qu’il faut de dignité. C’est tout.
On voulait juste maintenir la vie, la tenir en nos mains bien serrées, essayer au moins.
Madame B. ne tousse plus, ne toussera plus.
C’est à elle que je pense maintenant.
Les visites non autorisées ne l’avaient pas dérangée. Jamais personne ne venait la voir. Il n’y avait que nous.
Elle me demandait souvent de lui lire des passages de ses ouvrages préférés. Nous passions quelques minutes en compagnie de Baudelaire, Rimbaud, Marot, Villon. Quelques minutes seulement.
Demain, je rangerai ses bibelots, ses livres et ses vêtements dans sa valise. Ne saurai qu’en faire. Confierai la valise, mais à qui ?
À qui ?
J’ai confié la valise.
Suis passée hier près de la benne à déchets, la grosse benne jaune, celle des déchets contagieux, elle jouxte l’incinérateur, en attente.
Il y avait une odeur de fleur, comme résiduelle, puis le gros vent de l’hiver a poussé une volute blanche en ma direction.
La volute sentait bon le chic et le muguet.
Une théière était en porcelaine si fine que la lumière faisait des petits grains émaillés sur l’arrondi de sa très vieille pâleur. On aurait dit du sucre. Un chaton en étain miniature lapait le lait métallique d’une tasse bordée d’or. Un cadre à photos était recouvert d’un plastique même pas déballé. Il n’y avait pas de photos, seulement des creux, vacants, ovales comme des bouches vides, des hurlements muets, presque des cris de poussière.
Quelques livres faisaient contrepoids.
Au sommet de l’armoire, une valise de cuir qui sentait bon le chic et le muguet avait un creux sur le dessus, comme un ventre maigre, affaissé, qui se serait arrêté de respirer.
Madame B. ne parlait jamais de cette valise. Elle y avait rangé toute sa vie. Toute sa vie.
Ici, quelque chose s’était figé.
Nos journées étaient bien trop remplies et nos chevilles toutes gonflées le soir.
Avec les collègues, nous avions décidé de rester sur place le temps qu’il faudrait.
Nous avions installé notre campement d’infortune dans une salle de réunions puisque plus personne ne se réunissait depuis le début de la pandémie. Nous avions posé des matelas et des draps sur le sol. Les chaises et les tables étaient empilées dans le couloir en une longue rangée sentinelle de rien.
Chacune avait son sac de couchage, son oreiller et ses petites affaires.
Pour un peu, on se serait cru en colonie de vacances alors, le soir, juste avant que l’équipe de nuit ne vienne nous souhaiter un bon repos, nous riions comme des gamines en goguette, loin de nos familles, bercées par les lueurs volatiles de nos lampes torches.
J’écris sur un petit carnet, le ferme avec un élastique qui fait trois fois le tour, il sert à coincer mon crayon que je taillerai demain.
Il est 23 h 48, je n’ai pas sommeil.
On entend tousser au-dessus de notre bivouac retranché au rez-de-chaussée de cet îlot gériatrique.
Parfois les pas aux semelles blanches courent sur nos têtes, le plus souvent ils suivent le roulis des chariots de soins, emplis à ras bords de choses si nécessaires qui viennent vite à manquer.
On avait eu l’air de mendier, au début du printemps.
Pourtant, on ne faisait pas l’aumône, faut pas croire.
On voulait juste ce qu’il faut de dignité. C’est tout.
On voulait juste maintenir la vie, la tenir en nos mains bien serrées, essayer au moins.
Madame B. ne tousse plus, ne toussera plus.
C’est à elle que je pense maintenant.
Les visites non autorisées ne l’avaient pas dérangée. Jamais personne ne venait la voir. Il n’y avait que nous.
Elle me demandait souvent de lui lire des passages de ses ouvrages préférés. Nous passions quelques minutes en compagnie de Baudelaire, Rimbaud, Marot, Villon. Quelques minutes seulement.
Demain, je rangerai ses bibelots, ses livres et ses vêtements dans sa valise. Ne saurai qu’en faire. Confierai la valise, mais à qui ?
À qui ?
J’ai confié la valise.
Suis passée hier près de la benne à déchets, la grosse benne jaune, celle des déchets contagieux, elle jouxte l’incinérateur, en attente.
Il y avait une odeur de fleur, comme résiduelle, puis le gros vent de l’hiver a poussé une volute blanche en ma direction.
La volute sentait bon le chic et le muguet.

Pourquoi on a aimé ?
Un texte magnifique, tout en pudeur et en dépouillement, qui traite avec beaucoup de simplicité et de retenue de la condition des personnes âgées
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Toujours cette force presque invisible, ce sens aigu de l'"à peine dit".