— Docteur, je vous amène Mon Chien.
— Je ne comprends pas, c'est un chat.
— Oui, c'est un chat.
— Et ?
— Je n'aime pas les chats.
— C'est pour ça que vous venez ?
— Non, bien
... [+]
Luisa Vitola. La tueuse des neiges. Franco-italienne, trente-cinq ans, fille unique, doctorat de chimie. Froide, calculatrice, déterminée. Le monde entier connaît son visage, personne ne sait qui elle est.
Franck visualise le portrait robot de la criminelle la plus recherchée du pays. Toutes ces informations lui paraissent trop précises pour cette fille de l'air. Il soupèse une dernière fois son paquetage. La nuit a été rude, la journée s'annonce interminable. Insensible ou habitué, son compagnon fredonne en sirotant son café. Le patron a tenu à lui coller le bonhomme sous les conseils du cabinet du Ministre de l'Intérieur. Rien que ça. Louis Varin, expert de la faune montagnarde, guide aussi chevronné que fantasque. Un rigolo, a tout de suite pensé Franck en l'observant ajuster son bonnet coloré à pompons et ses surchaussures dépareillées au moment d'attaquer la première étape vers le refuge.
Les ordres ont été clairs et fulgurants, dégringolant les strates hiérarchiques comme une avalanche meurtrière. Le Président est furieux depuis que Luisa Vitola malmène sa stratégie. Il a suffi d'une parution scientifique pour ouvrir la boîte de Pandore. Certains organes des animaux habitués au froid sécrètent une enzyme capable d'accélérer de façon exponentielle la production de vaccins contre la pandémie. Vitola a constitué en un rien de temps un réseau mondial de bandits sans scrupules. Bêtes mutilées, laboratoires clandestins, circuits parallèles, milliards à la clé. Dernière découverte en date, le cadavre d'un garde de l'Office des Forêts à proximité d'un chamois éviscéré, portant la signature de Luisa, un L et un V d'hémoglobine tracés dans la neige.
« Coincez-la, capitaine, a articulé le directeur avant le départ.
Le profileur a lu dans le regard las de son chef qu'il se contentait de répéter l'ordre. L'injonction glissant en cascade depuis le sommet de l'État. Direction la barre des Écrins pour une mission de reconnaissance. Les grands moyens suivront.
Louis se lève, lave sa tasse, puis le bol de Franck, range le réchaud miniature, souffle les trois bougies qui éclairent le coin cuisine du refuge abandonné, empoigne son sac à dos sans un mot. Franck lui emboîte le pas. Disparus le bonnet criard et les surchaussures, l'homme a changé de physionomie. Tout compte fait, peut-être pas si farfelu que ça. Le paysage défiguré par les morsures de l'hiver adresse son salut hostile aux intrépides. Dans les sapins gonflés de poudreuse, le vent hurle sa colère, cinglant, glacial. Les nuages décrivent de larges arabesques menaçantes au-dessus de la corniche. Sous un préau dont le toit fragile ploie sous le poids de la neige, se meurent des carcasses de voitures et de tracteurs. Quelques boites de conserve rouillées tournicotent dans un coin. Passés la cour, les deux hommes se cognent à des murs blancs apparus pendant la nuit, d'imposantes congères sculptées par les bourrasques. Franck croit distinguer des ombres mouvantes en bordure d'un petit bois, à deux cents mètres, peut-être plus. L'expédition débute. Les indices, concentre-toi sur les indices, se répète Franck tandis qu'ils progressent plein Nord. La tueuse sévit dans cette zone aussi vaste et pentue que peuplée de bêtes sauvages. Les lieux doivent parler, livrer des idées à défaut de traces tangibles du passage de Vitola. Comprendre le mode opératoire, s'insinuer dans la conscience de la tueuse friande de mises en scène lugubres.
Soudain, un hurlement, long, strident. Franck marque un temps d'arrêt, saisi. Relève la tête et s'aperçoit qu'il a perdu de vue Louis, pourtant jamais à plus de deux mètres depuis le départ. Il déglutit. Une buse s'envole d'un arbre à sa droite, déplaçant une masse de neige fraîche qui se disperse en une myriade de constellations glacées. Son guide réapparait dans son dos.
— C'était quoi ce cri ?
— Je n'entends que le murmure d'un renard et le battement d'ailes d'un couple de lagopèdes à deux kilomètres à vol d'oiseau.
— Vous vous foutez de moi ?
Louis hausse les épaules et poursuit son chemin sans répondre.
Le froid s'accentue. - 15°C, pas plus. Les flocons tombent dru, de plus en plus serrés, lacèrent les visages. C'est désormais un mur de neige qu'ils affrontent. Le hurlement reprend. Plus court, plus proche aussi. Le capitaine est essoufflé. Pourtant ils évoluent à un rythme peu soutenu. Une masse sombre se jette sur lui par derrière. Il sursaute, se retourne. Rien. Sans doute le poids de son sac qui pèse un peu plus sur son dos. La silhouette de son compagnon se fond dans le décor. Capuche, veste, pantalon blanc écru forment une combinaison parfaite de camouflage. Franck cligne des yeux. Il n'était pas habillé de la sorte en partant du refuge. Son paquetage a disparu. La fatigue doit lui jouer des tours. La température a encore baissé d'un cran. Au détour d'un virage, en évidence sous un sapin mort, une série de taches brunes. Du sang séché. Louis ne s'arrête pas. C'est pourtant la consigne au moindre indice. Il n'a pas pu les ignorer. Franck aboie son nom. Puis s'écroule, terrassé par une douleur à la tête.
Quand il recouvre ses esprits Louis est à ses côtés.
— Vous avez pris une branche, s'empresse-t-il de commenter.
— Le sang, là, il faut s'en occuper.
— Le guide secoue la tête et l'aide à se redresser.
— Ne restons pas là.
Franck balaie la scène. Pas l'ombre d'une goutte de sang. La seule corniche déchirée en son centre par un éboulement récent et une grappe de vautours en repérage. Manquant de perdre l'équilibre, le profileur se remet en branle. À cet endroit la pente est raide, il faut suivre une arrête rocheuse escarpée. Louis prend vite de l'avance. Franck fait volte-face. Pas de sapin aussi loin que porte son regard. Un vertige le saisit, des palpitations, un tremblement incontrôlable. Que se passe-t-il ? Il pivote et bute sur une carcasse macabre. Un bouquetin sanguinolant, les entrailles bourrées de vieux journaux aux unes tragiques et aux légendes sans équivoque toutes ornées de la même photo. Luisa Vitola, souriante face à l'objectif. Le tournis empire, Franck ne sent plus ses extrémités alors qu'une coulée de sueur lui parcourt l'échine. D'un bond le bouquetin s'ébroue tout en lui parlant. C'est bien cela, la bête murmure son prénom. Il se sent aimanté mais est incapable de bouger, tétanisé. Le hurlement se répète, lui martèle le cerveau, lui concasse les nerfs. Où est son compagnon ? Depuis combien de temps ont-ils quitté le refuge ? La boisson chaude du matin lui semble loin. Il a pourtant pris toutes ses précautions. Se remémore péniblement le petit-déjeuner. Revoit les deux bols de thé fumants, l'inversion quand Louis a tourné le dos. Là, sur la corniche, un éclair de lucidité le crucifie. C'est du café que Louis a fini par boire, dans une tasse.
— Franck ! Franck ?
Le bouquetin ? Non, Louis.
— Il n'y a rien de mieux contre le froid que la méthode ancienne. Tenez, serrez ces journaux contre votre corps.
Franck n'aperçoit pas le rictus qui défigure le visage du guide. Il croit défaillir en déchiffrant une page au hasard. Un quotidien daté du lendemain. Impossible. Louis Varin, Luisa Vitola. Initiales LV. Et ce titre, glaçant :
« Le capitaine dans les griffes de la tueuse des neiges. »
Son ultime inspiration empeste déjà la mort.
Franck visualise le portrait robot de la criminelle la plus recherchée du pays. Toutes ces informations lui paraissent trop précises pour cette fille de l'air. Il soupèse une dernière fois son paquetage. La nuit a été rude, la journée s'annonce interminable. Insensible ou habitué, son compagnon fredonne en sirotant son café. Le patron a tenu à lui coller le bonhomme sous les conseils du cabinet du Ministre de l'Intérieur. Rien que ça. Louis Varin, expert de la faune montagnarde, guide aussi chevronné que fantasque. Un rigolo, a tout de suite pensé Franck en l'observant ajuster son bonnet coloré à pompons et ses surchaussures dépareillées au moment d'attaquer la première étape vers le refuge.
Les ordres ont été clairs et fulgurants, dégringolant les strates hiérarchiques comme une avalanche meurtrière. Le Président est furieux depuis que Luisa Vitola malmène sa stratégie. Il a suffi d'une parution scientifique pour ouvrir la boîte de Pandore. Certains organes des animaux habitués au froid sécrètent une enzyme capable d'accélérer de façon exponentielle la production de vaccins contre la pandémie. Vitola a constitué en un rien de temps un réseau mondial de bandits sans scrupules. Bêtes mutilées, laboratoires clandestins, circuits parallèles, milliards à la clé. Dernière découverte en date, le cadavre d'un garde de l'Office des Forêts à proximité d'un chamois éviscéré, portant la signature de Luisa, un L et un V d'hémoglobine tracés dans la neige.
« Coincez-la, capitaine, a articulé le directeur avant le départ.
Le profileur a lu dans le regard las de son chef qu'il se contentait de répéter l'ordre. L'injonction glissant en cascade depuis le sommet de l'État. Direction la barre des Écrins pour une mission de reconnaissance. Les grands moyens suivront.
Louis se lève, lave sa tasse, puis le bol de Franck, range le réchaud miniature, souffle les trois bougies qui éclairent le coin cuisine du refuge abandonné, empoigne son sac à dos sans un mot. Franck lui emboîte le pas. Disparus le bonnet criard et les surchaussures, l'homme a changé de physionomie. Tout compte fait, peut-être pas si farfelu que ça. Le paysage défiguré par les morsures de l'hiver adresse son salut hostile aux intrépides. Dans les sapins gonflés de poudreuse, le vent hurle sa colère, cinglant, glacial. Les nuages décrivent de larges arabesques menaçantes au-dessus de la corniche. Sous un préau dont le toit fragile ploie sous le poids de la neige, se meurent des carcasses de voitures et de tracteurs. Quelques boites de conserve rouillées tournicotent dans un coin. Passés la cour, les deux hommes se cognent à des murs blancs apparus pendant la nuit, d'imposantes congères sculptées par les bourrasques. Franck croit distinguer des ombres mouvantes en bordure d'un petit bois, à deux cents mètres, peut-être plus. L'expédition débute. Les indices, concentre-toi sur les indices, se répète Franck tandis qu'ils progressent plein Nord. La tueuse sévit dans cette zone aussi vaste et pentue que peuplée de bêtes sauvages. Les lieux doivent parler, livrer des idées à défaut de traces tangibles du passage de Vitola. Comprendre le mode opératoire, s'insinuer dans la conscience de la tueuse friande de mises en scène lugubres.
Soudain, un hurlement, long, strident. Franck marque un temps d'arrêt, saisi. Relève la tête et s'aperçoit qu'il a perdu de vue Louis, pourtant jamais à plus de deux mètres depuis le départ. Il déglutit. Une buse s'envole d'un arbre à sa droite, déplaçant une masse de neige fraîche qui se disperse en une myriade de constellations glacées. Son guide réapparait dans son dos.
— C'était quoi ce cri ?
— Je n'entends que le murmure d'un renard et le battement d'ailes d'un couple de lagopèdes à deux kilomètres à vol d'oiseau.
— Vous vous foutez de moi ?
Louis hausse les épaules et poursuit son chemin sans répondre.
Le froid s'accentue. - 15°C, pas plus. Les flocons tombent dru, de plus en plus serrés, lacèrent les visages. C'est désormais un mur de neige qu'ils affrontent. Le hurlement reprend. Plus court, plus proche aussi. Le capitaine est essoufflé. Pourtant ils évoluent à un rythme peu soutenu. Une masse sombre se jette sur lui par derrière. Il sursaute, se retourne. Rien. Sans doute le poids de son sac qui pèse un peu plus sur son dos. La silhouette de son compagnon se fond dans le décor. Capuche, veste, pantalon blanc écru forment une combinaison parfaite de camouflage. Franck cligne des yeux. Il n'était pas habillé de la sorte en partant du refuge. Son paquetage a disparu. La fatigue doit lui jouer des tours. La température a encore baissé d'un cran. Au détour d'un virage, en évidence sous un sapin mort, une série de taches brunes. Du sang séché. Louis ne s'arrête pas. C'est pourtant la consigne au moindre indice. Il n'a pas pu les ignorer. Franck aboie son nom. Puis s'écroule, terrassé par une douleur à la tête.
Quand il recouvre ses esprits Louis est à ses côtés.
— Vous avez pris une branche, s'empresse-t-il de commenter.
— Le sang, là, il faut s'en occuper.
— Le guide secoue la tête et l'aide à se redresser.
— Ne restons pas là.
Franck balaie la scène. Pas l'ombre d'une goutte de sang. La seule corniche déchirée en son centre par un éboulement récent et une grappe de vautours en repérage. Manquant de perdre l'équilibre, le profileur se remet en branle. À cet endroit la pente est raide, il faut suivre une arrête rocheuse escarpée. Louis prend vite de l'avance. Franck fait volte-face. Pas de sapin aussi loin que porte son regard. Un vertige le saisit, des palpitations, un tremblement incontrôlable. Que se passe-t-il ? Il pivote et bute sur une carcasse macabre. Un bouquetin sanguinolant, les entrailles bourrées de vieux journaux aux unes tragiques et aux légendes sans équivoque toutes ornées de la même photo. Luisa Vitola, souriante face à l'objectif. Le tournis empire, Franck ne sent plus ses extrémités alors qu'une coulée de sueur lui parcourt l'échine. D'un bond le bouquetin s'ébroue tout en lui parlant. C'est bien cela, la bête murmure son prénom. Il se sent aimanté mais est incapable de bouger, tétanisé. Le hurlement se répète, lui martèle le cerveau, lui concasse les nerfs. Où est son compagnon ? Depuis combien de temps ont-ils quitté le refuge ? La boisson chaude du matin lui semble loin. Il a pourtant pris toutes ses précautions. Se remémore péniblement le petit-déjeuner. Revoit les deux bols de thé fumants, l'inversion quand Louis a tourné le dos. Là, sur la corniche, un éclair de lucidité le crucifie. C'est du café que Louis a fini par boire, dans une tasse.
— Franck ! Franck ?
Le bouquetin ? Non, Louis.
— Il n'y a rien de mieux contre le froid que la méthode ancienne. Tenez, serrez ces journaux contre votre corps.
Franck n'aperçoit pas le rictus qui défigure le visage du guide. Il croit défaillir en déchiffrant une page au hasard. Un quotidien daté du lendemain. Impossible. Louis Varin, Luisa Vitola. Initiales LV. Et ce titre, glaçant :
« Le capitaine dans les griffes de la tueuse des neiges. »
Son ultime inspiration empeste déjà la mort.