Depuis le temps que je vis chez les Indiens algonquins, j’ai fini par leur ressembler. Je m’habille comme eux, je mange comme eux, je parle leur langue. J’ai appris à poser des pièges et à ... [+]
C’était un soir de tempête. Il avait plu des cordes toute la journée. Le vent soufflait en rafales. La mer était grosse. Inquiet de ne pas voir Colombe rentrer, Job enfila un ciré, sortit de la petite maison qu’il occupait dans la basse rue et prit la direction du marais de la Violence. A plusieurs reprises, Job avait mis sa fille en garde contre les tempêtes d’équinoxe qui menaçaient de briser les digues. Mais Colombe n’écoutait rien et ne semblait heureuse qu’au milieu des étiers, à courir derrière les mouettes rieuses et les goélands cendrés. Arrivé devant le petit chemin de terre qui marquait l’entrée du marais, Job entendit un grognement. À mesure qu’il approchait du bosquet d’où provenait le bruit, les aboiements devinrent plus précis. Il leva le fanal qu’il avait emporté avec lui. Dans la lueur de la lampe, Job vit Colombe à demi-nue, la bouche ouverte, montrant les dents à la manière d’un molosse prêt à mordre. Dès qu’il bougeait, la gamine aboyait de plus belle et se montrait menaçante. Le père et la fille restèrent ainsi face à face pendant une partie de la nuit. Ce n’est qu’au lever du jour que l’enfant, épuisé, finit par s’endormir. Job prit alors Colombe dans ses bras et pleura toutes les larmes de son corps.
Colombe avait douze ans lorsqu’elle aboya pour la première fois. Jusque-là, elle avait été une enfant sage, plutôt en avance pour son âge, et rien dans son comportement ne laissait présager quelque trouble. Lorsque sa mère s’était enfuie avec ce colporteur venu du continent, elle n’avait montré nulle tristesse, ni désarroi... Tout juste un brin de mélancolie qui pouvait passer pour de la timidité. Comme tous les habitants du pays, Job connaissait la légende des « aboyeuses ». À la veille de la Révolution, trois fillettes qui jouaient à l’orée du bois des Lutins avaient été retrouvées en train d’aboyer et de hurler à la mort. Le curé la paroisse avait prévenu l’évêché. Un prêtre exorciste avait été envoyé sur les lieux. Les enfants avaient été conduits en procession jusqu’à la statue de la Vierge qui trônait dans le chœur de l’église du village. Là, le prêtre les avait forcés à baiser les pieds de la statue pendant que la foule récitait des Ave Maria. Les archives de l’évêché affirmaient que les crises avaient immédiatement cessé. L’affaire avait fait grand bruit à l’époque. Les gens du pays avaient parlé de sorcellerie, de loup-garou...puis de miracle, grâce à l’intercession de la Vierge.
L’histoire aurait pu en rester là si d’autres cas « d’aboyeuses » n’avaient été signalés par la suite, un peu partout dans l’île : à la pointe des Fous, le long de l’étier des Jeannettes, du côté du marais du Cul de la Truie, dans le bois des Chênes Verts, à proximité des dunes et jusques sur le continent... Le plus souvent, il s’agissait de toutes jeunes filles, s’exprimant en patois plutôt qu’en français. Les archives de l’évêché qui tenait une comptabilité précise de ces déviances en avait recensé plus de cent au cours des années de guerre et de Terreur. Les récits évoquaient les comportements les plus extravagants : des grognements d’abord, puis des aboiements de plus en plus aigus, et, pour finir, des hurlements plaintifs de chien en détresse. Les délires pouvaient durer parfois plusieurs heures avec des scènes de violence au cours desquelles les pauvresses déchiraient leurs vêtements et se lacéraient le corps avec leurs ongles. L’Église avait multiplié les pèlerinages au sanctuaire de Saint Philbert. Alertées, les autorités avaient procédé à des arrestations et placé plusieurs de ses malheureuses dans des hospices pour aliénés. Des médecins de la ville s’étaient même déplacés dans l’île pour examiner celles que l’on appelait désormais les « aboyeuses ». Ces crises d’hystérie collective avaient cessé avec le retour à l’ordre de l’Empire. Voilà qu’elles se manifestaient à nouveau, après plus d’un demi- siècle écoulé, à travers la pauvre Colombe.
À l’inverse des gens du pays, Job ne croyait ni en Dieu, ni au Diable. Il refusait de voir en sa fille une possédée du démon. Il se méfiait aussi des hospices où on mourait selon lui plus sûrement qu’au dehors. Il décida de garder Colombe avec lui. Pour pouvoir s’occuper d’elle, Job avait renoncé à sa profession de marin pêcheur et pris un emploi à terre, à la fabrique de conserves qui venait de s’ouvrir dans l’île. Pendant qu’il était absent pour son travail, il enfermait sa fille dans le cellier en lui laissant de quoi boire et manger. La plupart du temps Colombe était calme. Mais ses folies revenaient à intervalles réguliers et de plus en plus fortes. Elles se déclenchaient presque toujours en fin de journée, au moment du repas. Colombe commençait à tourner en rond, la respiration haletante. Elle se mettait ensuite à genoux, appuyée sur ses avant-bras, relevait son derrière de manière obscène et aboyait alors comme un chien. Lorsqu’elle reprenait ses esprits, Colombe n’avait aucun souvenir de ses moments d’égarement. Un soir, alors que Job préparait le souper, sa fille se jeta sur lui et le mordit jusqu’au sang. La douleur qu’il ressentit ne fut rien comparée à la peine qu’il éprouva de voir le visage de Colombe défiguré par la rage. Il dut la frapper violemment pour lui faire lâcher prise. Ce soir-là, il sut qu’il l’avait perdue. Le lendemain, les gendarmes conduisaient Colombe à l’asile...
Maximilien Lange venait d’être nommé médecin en chef à l’hôpital Saint Jacques de Nantes lorsqu’il rencontra Colombe. La jeune fille avait été placée au pavillon des aliénés agités et furieux. Construit en bordure de la Loire, sur les ruines d’un ancien dépôt de mendicité de l’ordre de Saint Jean de Dieu, l’hôpital Saint Jacques était le nouvel établissement destiné à accueillir les vieillards, les indigents et les fous de la région. Autour du bâtiment central dit de la Providence, plusieurs pavillons avaient été ajoutés pour faire face à l’affluence des malades. Les hommes et les femmes étaient séparés mais les enfants ne bénéficiaient pas d’un logement à part. Dans le quartier des femmes, les infirmières étaient toutes des religieuses appartenant à l’ordre des Filles de la Sagesse. Lorsque Colombe se mettait à aboyer et devenait incontrôlable, les religieuses lui passaient une camisole de force et la conduisaient, ainsi entravée, jusqu’à la chapelle de l’hôpital. Là, les Filles de la Sagesse prenaient leur rosaire et récitaient autant de Pater et d’Ave qu’il était nécessaire pour calmer l’esprit agité de la jeune fille. Au bout d’un moment, le calme revenait effectivement. Epuisée, Colombe finissait toujours par cesser d’aboyer et les religieuses étaient convaincues que leurs prières avaient été exaucées.
Toutes ces bondieuseries avaient le don d’irriter Maximilien Lange. Avant d’être nommé à Saint Jacques, il avait déjà été confronté à des cas d’hystérie. À la Salpêtrière et à la Maison Royale de Charenton où il avait précédemment exercé, il avait travaillé avec les plus célèbres aliénistes. Il avait retenu de leurs leçons que la folie était faite de passions poussées à l’extrême et que l’on pouvait guérir les malades autrement que par des coups de nerfs de bœuf ou par des prières. Maximilien était convaincu que l’hygiène et le travail avaient un effet bénéfique sur la santé des aliénés. Il commença par installer Colombe dans une chambre particulière dont il fit repeindre le plafond et les murs en bleu. Il avait constaté que cette couleur azur avait des vertus apaisantes sur des pensionnaires agités. Une salle de bains fut aménagée à côté du dortoir des femmes. Chaque jour, Maximilien rendait visite à Colombe. Lorsque le temps le permettait, il effectuait une promenade avec elle dans le parc de l’hôpital. Il lui faisait toucher les arbres, respirer les fleurs, caresser les animaux... Colombe ne parlait guère, mais semblait prendre un réel plaisir à ce contact avec la nature. Au bout de quelques mois de ce traitement, les crises de Colombe s’espacèrent. Maximilien autorisa Colombe à fréquenter l’atelier de l’hôpital réservé aux malades les plus dociles. La jeune fille parut s’y épanouir, révélant un don réel pour la composition de bouquets de gueules-de-loup qu’elle affectionnait tout particulièrement. Les religieuses criaient au miracle et considéraient le docteur Lange comme un saint. ..
Colombe passa trois années à Saint Jacques. Job fut autorisé à venir la voir. Le père et la fille avaient l’air heureux de se retrouver. Job caressait les cheveux de Colombe en lui murmurant des mots tendres à l’oreille. Colombe posait sa tête sur les genoux de Job et lui embrassait les mains... Maximilien n’était pas loin de penser que sa jeune patiente était guérie lorsque le drame éclata. Sœur Sainte Paule était de garde ce soir-là. C’était une femme solide qui ne se laissait pas facilement impressionner. Elle connaissait bien Colombe et l’avait prise en affection. Alors que la religieuse s’apprêtait à effectuer sa ronde de nuit, elle entendit des grognements en provenance du dortoir. La scène qu’elle découvrit dépassait l’entendement. Sous la conduite de Colombe, muée en chef de meute, plusieurs femmes en furie, les yeux exorbités et ruisselantes de sueur, aboyaient à la mort. Étendu devant elles, le corps d’une malade gisait inanimé dans une mare de sang, la gorge déchiquetée. Il fallut appeler les gendarmes pour rétablir l’ordre. À son grand désespoir, Maximilien ordonna de réinstaller sa protégée dans le pavillon des aliénés agités et furieux...
Nul ne sut comment Colombe réussit à s’enfuir de Saint Jacques. Elle réapparut un soir de septembre devant la maison de son père. Elle avait le visage couvert d’ecchymoses et ses bras portaient la trace des morsures qu’elle s’infligeait. Sans un mot, Job prit sa fille par la main et descendit avec elle jusqu’au port. Il gréa aussi vite qu’il le put le canot qui était amarré le long du quai. La lune était pleine et éclairait une mer couleur d’encre. Les vents et les courants étaient portants. Ils sortirent rapidement de la baie et mirent le cap vers le large. Au fond du bateau, Colombe commença à grogner. Arrivé par le travers du rocher des Chiens, Job vira de bord et dirigea son canot sur les brisants. Le bateau s’éventra sur les cailloux. Ainsi disparurent Colombe et Job. Quelques mois plus tard, Maximilien Lange donna sa démission de médecin en chef de l’hôpital Saint Jacques. Seules les Filles de la Sagesse continuent encore aujourd’hui de prier pour Colombe, l’aboyeuse du marais.
Colombe avait douze ans lorsqu’elle aboya pour la première fois. Jusque-là, elle avait été une enfant sage, plutôt en avance pour son âge, et rien dans son comportement ne laissait présager quelque trouble. Lorsque sa mère s’était enfuie avec ce colporteur venu du continent, elle n’avait montré nulle tristesse, ni désarroi... Tout juste un brin de mélancolie qui pouvait passer pour de la timidité. Comme tous les habitants du pays, Job connaissait la légende des « aboyeuses ». À la veille de la Révolution, trois fillettes qui jouaient à l’orée du bois des Lutins avaient été retrouvées en train d’aboyer et de hurler à la mort. Le curé la paroisse avait prévenu l’évêché. Un prêtre exorciste avait été envoyé sur les lieux. Les enfants avaient été conduits en procession jusqu’à la statue de la Vierge qui trônait dans le chœur de l’église du village. Là, le prêtre les avait forcés à baiser les pieds de la statue pendant que la foule récitait des Ave Maria. Les archives de l’évêché affirmaient que les crises avaient immédiatement cessé. L’affaire avait fait grand bruit à l’époque. Les gens du pays avaient parlé de sorcellerie, de loup-garou...puis de miracle, grâce à l’intercession de la Vierge.
L’histoire aurait pu en rester là si d’autres cas « d’aboyeuses » n’avaient été signalés par la suite, un peu partout dans l’île : à la pointe des Fous, le long de l’étier des Jeannettes, du côté du marais du Cul de la Truie, dans le bois des Chênes Verts, à proximité des dunes et jusques sur le continent... Le plus souvent, il s’agissait de toutes jeunes filles, s’exprimant en patois plutôt qu’en français. Les archives de l’évêché qui tenait une comptabilité précise de ces déviances en avait recensé plus de cent au cours des années de guerre et de Terreur. Les récits évoquaient les comportements les plus extravagants : des grognements d’abord, puis des aboiements de plus en plus aigus, et, pour finir, des hurlements plaintifs de chien en détresse. Les délires pouvaient durer parfois plusieurs heures avec des scènes de violence au cours desquelles les pauvresses déchiraient leurs vêtements et se lacéraient le corps avec leurs ongles. L’Église avait multiplié les pèlerinages au sanctuaire de Saint Philbert. Alertées, les autorités avaient procédé à des arrestations et placé plusieurs de ses malheureuses dans des hospices pour aliénés. Des médecins de la ville s’étaient même déplacés dans l’île pour examiner celles que l’on appelait désormais les « aboyeuses ». Ces crises d’hystérie collective avaient cessé avec le retour à l’ordre de l’Empire. Voilà qu’elles se manifestaient à nouveau, après plus d’un demi- siècle écoulé, à travers la pauvre Colombe.
À l’inverse des gens du pays, Job ne croyait ni en Dieu, ni au Diable. Il refusait de voir en sa fille une possédée du démon. Il se méfiait aussi des hospices où on mourait selon lui plus sûrement qu’au dehors. Il décida de garder Colombe avec lui. Pour pouvoir s’occuper d’elle, Job avait renoncé à sa profession de marin pêcheur et pris un emploi à terre, à la fabrique de conserves qui venait de s’ouvrir dans l’île. Pendant qu’il était absent pour son travail, il enfermait sa fille dans le cellier en lui laissant de quoi boire et manger. La plupart du temps Colombe était calme. Mais ses folies revenaient à intervalles réguliers et de plus en plus fortes. Elles se déclenchaient presque toujours en fin de journée, au moment du repas. Colombe commençait à tourner en rond, la respiration haletante. Elle se mettait ensuite à genoux, appuyée sur ses avant-bras, relevait son derrière de manière obscène et aboyait alors comme un chien. Lorsqu’elle reprenait ses esprits, Colombe n’avait aucun souvenir de ses moments d’égarement. Un soir, alors que Job préparait le souper, sa fille se jeta sur lui et le mordit jusqu’au sang. La douleur qu’il ressentit ne fut rien comparée à la peine qu’il éprouva de voir le visage de Colombe défiguré par la rage. Il dut la frapper violemment pour lui faire lâcher prise. Ce soir-là, il sut qu’il l’avait perdue. Le lendemain, les gendarmes conduisaient Colombe à l’asile...
Maximilien Lange venait d’être nommé médecin en chef à l’hôpital Saint Jacques de Nantes lorsqu’il rencontra Colombe. La jeune fille avait été placée au pavillon des aliénés agités et furieux. Construit en bordure de la Loire, sur les ruines d’un ancien dépôt de mendicité de l’ordre de Saint Jean de Dieu, l’hôpital Saint Jacques était le nouvel établissement destiné à accueillir les vieillards, les indigents et les fous de la région. Autour du bâtiment central dit de la Providence, plusieurs pavillons avaient été ajoutés pour faire face à l’affluence des malades. Les hommes et les femmes étaient séparés mais les enfants ne bénéficiaient pas d’un logement à part. Dans le quartier des femmes, les infirmières étaient toutes des religieuses appartenant à l’ordre des Filles de la Sagesse. Lorsque Colombe se mettait à aboyer et devenait incontrôlable, les religieuses lui passaient une camisole de force et la conduisaient, ainsi entravée, jusqu’à la chapelle de l’hôpital. Là, les Filles de la Sagesse prenaient leur rosaire et récitaient autant de Pater et d’Ave qu’il était nécessaire pour calmer l’esprit agité de la jeune fille. Au bout d’un moment, le calme revenait effectivement. Epuisée, Colombe finissait toujours par cesser d’aboyer et les religieuses étaient convaincues que leurs prières avaient été exaucées.
Toutes ces bondieuseries avaient le don d’irriter Maximilien Lange. Avant d’être nommé à Saint Jacques, il avait déjà été confronté à des cas d’hystérie. À la Salpêtrière et à la Maison Royale de Charenton où il avait précédemment exercé, il avait travaillé avec les plus célèbres aliénistes. Il avait retenu de leurs leçons que la folie était faite de passions poussées à l’extrême et que l’on pouvait guérir les malades autrement que par des coups de nerfs de bœuf ou par des prières. Maximilien était convaincu que l’hygiène et le travail avaient un effet bénéfique sur la santé des aliénés. Il commença par installer Colombe dans une chambre particulière dont il fit repeindre le plafond et les murs en bleu. Il avait constaté que cette couleur azur avait des vertus apaisantes sur des pensionnaires agités. Une salle de bains fut aménagée à côté du dortoir des femmes. Chaque jour, Maximilien rendait visite à Colombe. Lorsque le temps le permettait, il effectuait une promenade avec elle dans le parc de l’hôpital. Il lui faisait toucher les arbres, respirer les fleurs, caresser les animaux... Colombe ne parlait guère, mais semblait prendre un réel plaisir à ce contact avec la nature. Au bout de quelques mois de ce traitement, les crises de Colombe s’espacèrent. Maximilien autorisa Colombe à fréquenter l’atelier de l’hôpital réservé aux malades les plus dociles. La jeune fille parut s’y épanouir, révélant un don réel pour la composition de bouquets de gueules-de-loup qu’elle affectionnait tout particulièrement. Les religieuses criaient au miracle et considéraient le docteur Lange comme un saint. ..
Colombe passa trois années à Saint Jacques. Job fut autorisé à venir la voir. Le père et la fille avaient l’air heureux de se retrouver. Job caressait les cheveux de Colombe en lui murmurant des mots tendres à l’oreille. Colombe posait sa tête sur les genoux de Job et lui embrassait les mains... Maximilien n’était pas loin de penser que sa jeune patiente était guérie lorsque le drame éclata. Sœur Sainte Paule était de garde ce soir-là. C’était une femme solide qui ne se laissait pas facilement impressionner. Elle connaissait bien Colombe et l’avait prise en affection. Alors que la religieuse s’apprêtait à effectuer sa ronde de nuit, elle entendit des grognements en provenance du dortoir. La scène qu’elle découvrit dépassait l’entendement. Sous la conduite de Colombe, muée en chef de meute, plusieurs femmes en furie, les yeux exorbités et ruisselantes de sueur, aboyaient à la mort. Étendu devant elles, le corps d’une malade gisait inanimé dans une mare de sang, la gorge déchiquetée. Il fallut appeler les gendarmes pour rétablir l’ordre. À son grand désespoir, Maximilien ordonna de réinstaller sa protégée dans le pavillon des aliénés agités et furieux...
Nul ne sut comment Colombe réussit à s’enfuir de Saint Jacques. Elle réapparut un soir de septembre devant la maison de son père. Elle avait le visage couvert d’ecchymoses et ses bras portaient la trace des morsures qu’elle s’infligeait. Sans un mot, Job prit sa fille par la main et descendit avec elle jusqu’au port. Il gréa aussi vite qu’il le put le canot qui était amarré le long du quai. La lune était pleine et éclairait une mer couleur d’encre. Les vents et les courants étaient portants. Ils sortirent rapidement de la baie et mirent le cap vers le large. Au fond du bateau, Colombe commença à grogner. Arrivé par le travers du rocher des Chiens, Job vira de bord et dirigea son canot sur les brisants. Le bateau s’éventra sur les cailloux. Ainsi disparurent Colombe et Job. Quelques mois plus tard, Maximilien Lange donna sa démission de médecin en chef de l’hôpital Saint Jacques. Seules les Filles de la Sagesse continuent encore aujourd’hui de prier pour Colombe, l’aboyeuse du marais.