Je l'avais emmenée partout. À la mer beaucoup. Au septième ciel surtout. Et puis, un mardi, elle est partie. Pourquoi un mardi ? C'est juste que je m'en souviens. J'ai oublié les autres ... [+]
Jardins et chamailles
il y a
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Il y a des gens qui fêtent un non anniversaire trois cent soixante-quatre jours par an, Raoul quant à lui, cultive un non jardin tous les jours. Sur son petit bout de terrain sauvage, poussent quelques légumes et des herbes folles. Surtout des herbes folles. Quoique difformes, ses courgettes sont cependant délicieuses et régalent un paquet de monde. D'innombrables bestioles investissent les lieux. Certaines bouffent tout ou se bouffent entre elles. Beaucoup nourrissent la terre. Et puis, il y a celles qui ne font rien et à qui il ne faut rien demander alors Raoul se contente de leur dire bonjour. C'est qu'il parle à tout ce qui vit dans son coin de verdure tout comme il parlait autrefois à Prune dans le coin de leur cuisine. Aujourd'hui, ils se chamaillent. Elle ne le comprend plus.
C'est que les bestioles, il les aime. Qu'elles soient rampantes, volantes, à deux, sept ou mille pattes, vertébrées ou invertébrées, il les chérit toutes. Il a appris à les connaître. Et ne cherche pas à exercer un quelconque pouvoir. Chacun ici fait comme il l'entend. Lui contemple la nature. Et le ciel.
Ces derniers jours, le soleil ne perce pas vraiment. C'est un non soleil dont les timides rayons caressent à peine les grandes feuilles trouées des cucurbitacées. Raoul adore les cucurbitacées. Les grosses citrouilles illuminent son terrain. Il aimerait que Prune les admire. Il aimerait surtout qu'elle l'écoute, comme jadis. Certes, elle a attrapé des mains vertes et ses doigts de fée font pousser des merveilles, il déplore néanmoins l'ordre qui régit son jardin. Un ordre froid malgré toutes les couleurs qui y régnent. Comme le signe d'un désamour.
Prune se dit que Raoul ne tourne plus rond à cause de son stupide carré de jardin laissé à l'abandon. Elle craint qu'il n'ait attrapé une vilaine maladie ou un mal venu d'ailleurs. Peut-être du ciel qu'il regarde souvent. Avant-hier, elle était allée voir le médecin qui lui avait dit : « Mon petit, je vous connais depuis votre naissance. Je vous ai mis au monde et vous ai presque mariés. Vous êtes faits l'un pour l'autre. Et puis, aucune inquiétude à avoir, vous êtes resplendissants de santé. » Les docteurs pensent parfois tout savoir, alors toujours aussi inquiète, elle avait accouru chez le curé qui lui avait tenu un autre discours : « Mon enfant, je vous ai baptisés. Je vous ai unis devant Dieu qui a créé toute chose. J'ai déjà réussi à soigner quelques-unes de vos gentilles querelles. Crois-moi, c'est juste un petit orage qui va passer. » Il ne lui restait plus qu'à avoir foi en son curé.
Quand elle avait rencontré Raoul, il sentait bon le jardin et avait l'art de raconter les fleurs. Il émanait de ses paroles un doux parfum. À chacune de leurs retrouvailles, il lui demandait de fermer les yeux, et alors il lui faisait voir des pleines brassées de jonquilles et narcisses, primevères et dahlias, roses et jasmins, lilas et seringas. Et bien d'autres encore. Ses mots enchantaient ses sens. Il leur poussait des ailes ; il leur venait une âme. Elle dévorait à pleins poumons, la quintessence de chacun. Désormais toutes ces fleurs embellissent son petit domaine où elle se sent bien seule. Et pourtant, c'est Raoul qui lui a donné l'envie de faire éclore ces beautés avec tous ses mots fleuris. Et s'il ne savait plus les lui dire, c'est peut-être qu'il ne l'aimait plus.
Aujourd'hui, il ne lui parle plus que lombrics et asticots. Refuse tout engrais, râle sans arrêt, explique que ses pesticides perturbent et tuent ses bestioles. Il dit aussi que sa chimie vient polluer sa terre. Et l'atmosphère. Elle lui répond que son potager est laid et qu'il gâche tout. Qu'elle a honte. Il faut dire que l'allée qui mène à leur maison sépare les deux jardinets. L'un est parfaitement entretenu. Beaucoup trop. L'autre se balance au gré du vent. Avec ses herbes hautes et emmêlées. Comme de longs cheveux jamais coiffés. C'est un étrange spectacle de voir ainsi réunis le jour et la nuit.
Ce matin, dans la cuisine, ils n'ont plus le goût des chamailles. Le nez dans leur bol, ils se taisent. Leur cœur est triste. Les incessantes disputes au sujet du jardinage, leur ont fait commettre quelques aberrations. Les petits territoires qui se côtoient étrangement, ne leur montrent plus que désolations. Et si les amoureux se tournent le dos comme des voisins fâchés, c'est surtout pour se cacher leur chagrin. Prune prend alors conscience que Raoul a raison : son parterre de fleurs encadré de ciment, fait froid dans le dos. On dirait une tombe. Et c'est une tombe où s'enfouit peu à peu leur amour. Tout paraît artificiel. Elle va y remédier. C'est décidé. Lui se dit que Prune n'a pas tout à fait tort : son jardin punk ne devrait pas avoisiner le sien. Il va lui céder son terrain. Et ira planter son observatoire ailleurs. Ce ne sont pas les petits coins verts qui manquent dans les environs.
C'est que les bestioles, il les aime. Qu'elles soient rampantes, volantes, à deux, sept ou mille pattes, vertébrées ou invertébrées, il les chérit toutes. Il a appris à les connaître. Et ne cherche pas à exercer un quelconque pouvoir. Chacun ici fait comme il l'entend. Lui contemple la nature. Et le ciel.
Ces derniers jours, le soleil ne perce pas vraiment. C'est un non soleil dont les timides rayons caressent à peine les grandes feuilles trouées des cucurbitacées. Raoul adore les cucurbitacées. Les grosses citrouilles illuminent son terrain. Il aimerait que Prune les admire. Il aimerait surtout qu'elle l'écoute, comme jadis. Certes, elle a attrapé des mains vertes et ses doigts de fée font pousser des merveilles, il déplore néanmoins l'ordre qui régit son jardin. Un ordre froid malgré toutes les couleurs qui y régnent. Comme le signe d'un désamour.
Prune se dit que Raoul ne tourne plus rond à cause de son stupide carré de jardin laissé à l'abandon. Elle craint qu'il n'ait attrapé une vilaine maladie ou un mal venu d'ailleurs. Peut-être du ciel qu'il regarde souvent. Avant-hier, elle était allée voir le médecin qui lui avait dit : « Mon petit, je vous connais depuis votre naissance. Je vous ai mis au monde et vous ai presque mariés. Vous êtes faits l'un pour l'autre. Et puis, aucune inquiétude à avoir, vous êtes resplendissants de santé. » Les docteurs pensent parfois tout savoir, alors toujours aussi inquiète, elle avait accouru chez le curé qui lui avait tenu un autre discours : « Mon enfant, je vous ai baptisés. Je vous ai unis devant Dieu qui a créé toute chose. J'ai déjà réussi à soigner quelques-unes de vos gentilles querelles. Crois-moi, c'est juste un petit orage qui va passer. » Il ne lui restait plus qu'à avoir foi en son curé.
Quand elle avait rencontré Raoul, il sentait bon le jardin et avait l'art de raconter les fleurs. Il émanait de ses paroles un doux parfum. À chacune de leurs retrouvailles, il lui demandait de fermer les yeux, et alors il lui faisait voir des pleines brassées de jonquilles et narcisses, primevères et dahlias, roses et jasmins, lilas et seringas. Et bien d'autres encore. Ses mots enchantaient ses sens. Il leur poussait des ailes ; il leur venait une âme. Elle dévorait à pleins poumons, la quintessence de chacun. Désormais toutes ces fleurs embellissent son petit domaine où elle se sent bien seule. Et pourtant, c'est Raoul qui lui a donné l'envie de faire éclore ces beautés avec tous ses mots fleuris. Et s'il ne savait plus les lui dire, c'est peut-être qu'il ne l'aimait plus.
Aujourd'hui, il ne lui parle plus que lombrics et asticots. Refuse tout engrais, râle sans arrêt, explique que ses pesticides perturbent et tuent ses bestioles. Il dit aussi que sa chimie vient polluer sa terre. Et l'atmosphère. Elle lui répond que son potager est laid et qu'il gâche tout. Qu'elle a honte. Il faut dire que l'allée qui mène à leur maison sépare les deux jardinets. L'un est parfaitement entretenu. Beaucoup trop. L'autre se balance au gré du vent. Avec ses herbes hautes et emmêlées. Comme de longs cheveux jamais coiffés. C'est un étrange spectacle de voir ainsi réunis le jour et la nuit.
Ce matin, dans la cuisine, ils n'ont plus le goût des chamailles. Le nez dans leur bol, ils se taisent. Leur cœur est triste. Les incessantes disputes au sujet du jardinage, leur ont fait commettre quelques aberrations. Les petits territoires qui se côtoient étrangement, ne leur montrent plus que désolations. Et si les amoureux se tournent le dos comme des voisins fâchés, c'est surtout pour se cacher leur chagrin. Prune prend alors conscience que Raoul a raison : son parterre de fleurs encadré de ciment, fait froid dans le dos. On dirait une tombe. Et c'est une tombe où s'enfouit peu à peu leur amour. Tout paraît artificiel. Elle va y remédier. C'est décidé. Lui se dit que Prune n'a pas tout à fait tort : son jardin punk ne devrait pas avoisiner le sien. Il va lui céder son terrain. Et ira planter son observatoire ailleurs. Ce ne sont pas les petits coins verts qui manquent dans les environs.

Pourquoi on a aimé ?
D’un côté un jardin anarchique où les plantes poussent comme elles l’entendent. De l’autre, son exact opposé, rien ne dépasse, tout est
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