Les premières neiges de l'automne saupoudraient déjà le sommet du mont Pelat, là-haut à trois mille mètres d'altitude. À l'affut derrière un bosquet de mélèzes, Jean observait les deux ... [+]
C'est ce jour-là qu'ils s'étaient rencontrés et ils ne manquaient jamais de célébrer la fête des amoureux. Aussi pour la soixante-dixième fois, c'est dire s'ils étaient vieux, ils allaient encore fêter cet événement qui avait déterminé toute leur existence.
Ils vivaient retirés depuis des années, avaient traversé des guerres, des révolutions, des crises financières. « C'est mieux à deux ! » se disaient-ils souvent. Enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants s'étaient dispersés aux quatre coins du monde, et ne gardaient pour toute relation que cet indéfectible amour qu'ils se portaient les uns et les autres et qu'ils partageaient tous sans relâche par quelques relations épistolaires ou sur les réseaux sociaux, mais surtout par la ferveur quotidienne de leurs pensées.
La vie en huit clos ne leur pesait pas. Lecture, chant, poésie, cuisine, quelques sorties au cinéma du quartier, leurs rituels n'étaient jamais ennuyeux et il lui plaisait de répéter souvent avec emphase : « Rimes et mélodies s'inspirent d'amour en toutes causes ».
Les années avaient passé. Ils déclinaient peu à peu, corps et esprits s'étiolaient doucement comme une extinction progressive du sentiment de la durée. Retranchés dans leur cocon de solitude, leur vie n'était plus troublée que par le brouhaha de la rue, par quelques écrans sporadiquement allumés ou par les derniers ragots de la boulangère qui tenait échoppe au rez-de-chaussée de leur immeuble.
Cette Saint-Valentin allait prendre un tour très particulier. La veille, comme à chaque fois depuis tant d'années, il avait glissé la petite enveloppe sous l'oreiller de sa compagne de toujours. À l'aube, alors que le jour pointait à peine au-dessus des toits qu'on apercevait par la fenêtre de leur chambre, ils s'assirent tous les deux confortablement calés avec leurs oreillers contre la tête de lit. Il avait préparé sur un plateau deux tasses de café, un excellent arabica, deux carrés de chocolat pur beurre de cacao et deux verres d'eau.
Elle décacheta l'enveloppe, ne fut pas surprise de ne pas découvrir le poème habituel. À l'intérieur de l'enveloppe, une carte imprimée à en-tête de l'association « Exit », puis deux mots écrits en gros et en caractères gras, « Kill pills », et quelques lignes de mode d'emploi.
Elle détacha deux petites pilules bleues agrafées au bristol, se tourna vers lui. Ils se regardèrent dans les yeux, profondément, comme jamais peut-être ils ne s'étaient regardés. Elle lui donna une pilule... Ils contemplèrent encore quelques instants l'aube rosir le ciel d'hiver, se serrèrent l'un contre l'autre sans tristesse, bien au chaud dans le mitan du lit... La saveur du café et du beurre cacao fut leur ultime émotion.
Ils vivaient retirés depuis des années, avaient traversé des guerres, des révolutions, des crises financières. « C'est mieux à deux ! » se disaient-ils souvent. Enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants s'étaient dispersés aux quatre coins du monde, et ne gardaient pour toute relation que cet indéfectible amour qu'ils se portaient les uns et les autres et qu'ils partageaient tous sans relâche par quelques relations épistolaires ou sur les réseaux sociaux, mais surtout par la ferveur quotidienne de leurs pensées.
La vie en huit clos ne leur pesait pas. Lecture, chant, poésie, cuisine, quelques sorties au cinéma du quartier, leurs rituels n'étaient jamais ennuyeux et il lui plaisait de répéter souvent avec emphase : « Rimes et mélodies s'inspirent d'amour en toutes causes ».
Les années avaient passé. Ils déclinaient peu à peu, corps et esprits s'étiolaient doucement comme une extinction progressive du sentiment de la durée. Retranchés dans leur cocon de solitude, leur vie n'était plus troublée que par le brouhaha de la rue, par quelques écrans sporadiquement allumés ou par les derniers ragots de la boulangère qui tenait échoppe au rez-de-chaussée de leur immeuble.
Cette Saint-Valentin allait prendre un tour très particulier. La veille, comme à chaque fois depuis tant d'années, il avait glissé la petite enveloppe sous l'oreiller de sa compagne de toujours. À l'aube, alors que le jour pointait à peine au-dessus des toits qu'on apercevait par la fenêtre de leur chambre, ils s'assirent tous les deux confortablement calés avec leurs oreillers contre la tête de lit. Il avait préparé sur un plateau deux tasses de café, un excellent arabica, deux carrés de chocolat pur beurre de cacao et deux verres d'eau.
Elle décacheta l'enveloppe, ne fut pas surprise de ne pas découvrir le poème habituel. À l'intérieur de l'enveloppe, une carte imprimée à en-tête de l'association « Exit », puis deux mots écrits en gros et en caractères gras, « Kill pills », et quelques lignes de mode d'emploi.
Elle détacha deux petites pilules bleues agrafées au bristol, se tourna vers lui. Ils se regardèrent dans les yeux, profondément, comme jamais peut-être ils ne s'étaient regardés. Elle lui donna une pilule... Ils contemplèrent encore quelques instants l'aube rosir le ciel d'hiver, se serrèrent l'un contre l'autre sans tristesse, bien au chaud dans le mitan du lit... La saveur du café et du beurre cacao fut leur ultime émotion.
Pour l'heure, avant que le portail ne se referme (J-2) sur la Finale, je t'invite chaleureusement à venir REtrouver le jardin des ombellifères 🥕🥕🥕 Les combattantes de l'ombre (M. Iraje)