2 février 1991
Le ciel est gris, la neige blanche. Béatrice virevolte entre les flocons en riant. Ses cheveux sont tout blancs à présent, mais elle n’en a que faire. Samuele l’attrape pa
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Je suis génétiquement parfaite. Il me l'a dit. Il vient me voir tous les jours. Il me dit qu'il m'aime, que je suis sa plus belle réussite et qu'il est très fier de moi. Je fais des progrès tous les jours, selon lui. Je suis son petit prodige. Grâce à lui je connais 587 dialectes, je marche et cours à une vitesse impressionnante, je nage parfaitement aussi bien sous l'eau qu'en surface, je grimpe aux arbres sans difficulté à des hauteurs vertigineuses. Je suis génétiquement parfaite et à ses yeux je suis la plus extraordinaire de toutes les créatures de l'univers. Aujourd'hui, il m'a dit que j'étais prête. Il m'a embrassé affectueusement sur le front comme d'habitude et il est parti en riant et en dansant. Je suis restée toute seule dans le noir un peu inquiète et en même temps très excitée et en tout cas incapable de trouver le sommeil. J'ai vu le soleil se lever à travers la fenêtre de ma chambre stérile. Mon géniteur est arrivé peu de temps après. Il ne portait pas son habituel blouse blanche et son masque mais un élégant costume gris. Il m'a souri et a ouvert la porte. Je n'ai pas osé sortir tout de suite. Je vais découvrir le monde et le monde va me découvrir. C'est un grand jour. Son grand jour. Mon grand jour. Il me guide à travers les couloirs blancs du laboratoire. Je sens la chaleur de son corps, les battements de son coeur et cela m'apaise. Il me conduit au grand auditorium. Derrière le rideau rouge il m'attache à des chaînes. Mon estomac se serre. Il me caresse la joue et m'assure que tout va bien. Ma seule consigne est d'ouvrir mes ailes quand le rideau s'ouvrira. J'entends la foule derrière et mon créateur qui s'adresse à eux. Il parle de moi, de la perfection que je suis. Les pans de velours tombe devant moi. Je déplie grand mes ailes. Le public a un sursaut d'effroi. Je lis de la peur dans leurs yeux, de la haine. Je cherche mon maitre du regard. Il a disparu. Je suis seule, désemparée, prisonnière. Je vois ces gens face à moi, certains se cachent le visage, d'autres s'enfuient, d'autres encore crient de colère. Abomination ! Erreur scientifique ! Je prends brutalement conscience de mon corps, difforme. Je suis un puzzle génétique, un assemblage contre nature des meilleures parties de chaque être-vivant sur cette Terre. Je suis une chimère. Je suis un monstre.