Assis sous un cocotier, protégé du soleil par le feuillage d’un mancenillier, Jojo regardait l’horizon. Une ligne à peine perceptible, qu’aucun mât ne venait briser. Pas de hors-bord, aucune ... [+]
Dialogue de sanglier
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Jury

Pourquoi on a aimé ?
Une histoire drôle et complètement farfelue qui fait mouche ! Les descriptions sont maitrisées et rendent l'ensemble de la scène très
La chose m'est arrivée récemment. J'utilisais avec sagesse l'espace autorisé pour circuler, quand, dans un virage, un sanglier, qui avait les mêmes prétentions que moi, me barra le chemin. Il avançait hélas trop doucement, ou moi trop vite, pour que je puisse l'éviter. Les freins de ma belle voiture neuve hurlèrent avant l'impact de la rencontre, et le sanglier fut fauché brutalement.
Plus inquiet pour ma voiture que pour la bête, je sortis examiner l'étendue des dégâts, et je comptais déjà ce qu'il faudrait dépenser pour effacer les traces de l'imprudence du cochon, empruntant illégalement le trajet habituel de mon retour de garde. Le sanglier était bloqué sous le pare-choc mais il n'était pas mort. On distinguait, au niveau de son épaule une sévère trace de meurtrissure. De son nez, il expirait par à-coups un filet de sang qui faisait des petites bulles. De ses yeux noirs, sortaient des sortes de larmes, qui descendaient le long de son groin. Je décidais de reculer la voiture pour le libérer un peu de son étreinte avant une mort qui semblait évidente, vu la violence du choc.
La manœuvre effectuée, je sortis tranquillement pour aller inspecter l'animal en me disant qu'il eut été plus humain de l'abattre que de le laisser ainsi à la merci d'une autre voiture, qui ne pourrait certainement pas l'éviter en sortie de virage. En tant que chasseur, le coup de grâce m'aurait moins gêné que le fait de le pousser dans le fossé, vu son poids, que j'estimais à près de cent cinquante kilos. Mais, ayant contourné le véhicule à la lumière de mon smartphone, je n'y trouvais plus rien. Je fis le tour plusieurs fois, examinai le dessous de la voiture, les alentours, mais plus une trace de mon infortuné compagnon. Je décidai alors d'aller soulager ma vessie stressée par l'incident, et de repartir pour une nuit bien méritée.
La délicate opération, vu mon état d'énervement, était en cours, quand je vis le sanglier à quelques mètres de moi, les yeux menaçants. Il était vraiment énorme, rien à voir avec les petits sangliers d'Obélix, fruit de la clémence de Goscinny pour la gente porcine. Faut-il n'avoir jamais vu un sanglier aujourd'hui pour comprendre que la bête ressemble plus un taureau qu'à un pourceau. L'animal s'approcha la tête baissée. Je voyais la puissance de son cou et de ses épaules et j'en imaginais l'effet sur mon bas ventre. Tétanisé, j'avais cessé toute opération de miction. D'ailleurs, mon petit organe, telle une tortue, s'était totalement rétracté, craignant certainement d'assumer en premier le choc inévitable entre la bête et l'homme.
Je me décidai à tenter le tout pour le tout et je me mis à expliquer au sanglier, avec les mains, que je n'y étais pour rien. Je fis semblant de rouler en mimant une conduite souple et équilibrée, et je me hasardai même à chantonner pour exprimer la joie et le détachement d'un conducteur sûr de son bon droit et heureux d'avoir pour lui seul l'espace éclairé que ses pleins phares lui donnent. L'animal s'avança encore, se demandant sans doute si mon comportement bizarre tenait du lard ou du cochon. Il était maintenant à moins d'un mètre de moi, et commençait à basculer la tête de bas en haut. J'aurais dû ou j'aurais pu fuir, mais, ayant détaché ma ceinture, mon pantalon était tombé sur mes chaussures pendant mes explications désespérées. J'étais là, bloqué par mes vêtements, figé par la peur et humilié par le ridicule de la situation.
Mes yeux s'étaient bien accoutumés à l'obscurité et je pouvais désormais voir nettement ses défenses aiguisées, relevées sur le côté de son visage, ressemblant à de grosses moustaches. Il ne semblait pas pressé d'en finir avec moi. Son souffle s'était calmé, il avait léché le filet de sang qu'il avait sur le nez et semblait, au contraire, vouloir entamer une conversation. À ceux qui pensent que le cochon n'est bon qu'à faire du saucisson, j'objecte qu'il cherche à se faire comprendre des hommes. Le taureau aurait certainement fait de la bouillie de moi avec ses cornes et sabots, le loup aurait croqué dans mes cuisses un peu trop dodues, l'ours m'aurait planté ses griffes dans le ventre, mais le sanglier, lui, semblait décidé à s'exprimer.
Je ne suis pas sûr de ce qu'il grommela exactement, mais je crus y reconnaître une affaire de territoire, de tribu à nourrir et de chasseurs ivres qui s'en prennent à sa famille tous les samedis matins. De temps à autre, il cessait de grommeler pour émettre un gros reniflement que je prenais pour une interrogation à mon endroit. Bêtement, je répondais que je comprenais, qu'il avait certainement raison, puisqu'il préférait parler que de se battre. Notre dialogue dura cinq bonnes minutes.
Pendant ce temps, il me laissa remonter ma culotte avec un grognement de curiosité. Ce faisant, je me crus obligé de lui commenter mes gestes. Quand nous eûmes fini notre conversation, il se recula et me laissa rejoindre la voiture, puis tourna les talons tranquillement et s'en fut en un petit trot boitillant. De retour au volant, je réfléchissais au sens de la scène, et me mis à douter de la définition de l'humanité, de son rapport aux animaux. Ma femme, à qui je contai l'histoire avec émotion, me coupa sèchement et me conseilla de voir un psychiatre. Dépité, je me dis au fond de moi que le contact de certains animaux ferait mieux qu'une armée de médecins, et j'enterrai avec cérémonie mon fusil de chasse au fond du jardin.

Pourquoi on a aimé ?
Une histoire drôle et complètement farfelue qui fait mouche ! Les descriptions sont maitrisées et rendent l'ensemble de la scène très
Et que dire de la chute ? Touchant pour qui a encore foi en la nature humaine et en la capacité de rédemption !