Un ordre beuglé m'éveille en sursaut :
— Debout !
Autour de moi, ça s'agite dans tous les sens. Les cris remplissent l'espace et se répercutent sur les murs moisis. Les autres prisonniers
... [+]
Le rideau s’ouvre autant qu’il tombe. Sur scène, une femme vacille, complètement nue. La salle est bondée. Les spectateurs imaginent qu’ils auront un rôle à jouer, un jour. L’être debout fait défiler leurs visages figés sous ses yeux inhabiles. Sourires copiés-collés, adressés à leur propre reflet. Routines matinales, instincts en grammes, et faux amis. Les vues s’étalent. Tous bloqués. Elle les regarde, proprement mis en scène alors qu’ils ne font qu’assister au spectacle. Le mouvement est à la mode. Banalité placardée dans nos têtes. Comment attirer leur attention sur ce qui se joue vraiment ? Elle s’immobilise totalement. Ses lèvres s’entrouvrent :
Non !
Une foule de visages se lèvent enfin vers elle. Certains masques ont été arrachés par son refus manifesté. Les sourires ont laissé place à la souffrance. Alors qu’ils dislike, elle voudrait juste leur donner un peu d’amour. Leurs yeux rougis s’ouvrent enfin sur la comédienne. La réalité de ce corps nu dans la semi-obscurité leur éclate au visage : il n’y a plus assez d’espace pour la représentation. Elle suffoque, sa bouche esquisse encore des « non », elle se tait. Le souffleur l’exhorte à dire son texte. Il ne sait plus à qui il fait face. Le personnage ne peut que donner la réplique, comme une machine, ignorant qu’il a été déterminé. La comédienne, elle, ne devrait pas improviser. Quant à l’individu, il n’a pas sa place dans ce théâtre.
Un autre personnage apparaît. La mise en scène lui donne une existence. L’illusion doit être maintenue à tout prix. Sinon, les spectateurs ne pourront plus taguer leur vie à coup de hash. Il s’approche et le jeu de masques peut commencer. A l’intérieur, il se laisse troubler. Il observe le corps devant lui. Il ne voit rien d’autre qu’une enveloppe vide. Soudain, il ne sait plus la reconnaître. Qui se tient face à lui ? Il ne se souvient pas. Mais quelle importance. Mécanique, il récite, il l’incite, il s’irrite. Le corps de femme s’amollit sous son regard. L’obscurité se fait plus pressante et elle s’assoit sur les planches. Reconnaissance du socle. Artifice révélé. Il ne comprend pas. Il se force à rajouter une réplique.
« Que faites vous, seule et affligée, ô mon amie, en ce soir de novembre ? »
Dans la salle le son des brisures se fracasse contre le mur. Les pantins cassent.
« Que faites vous, seule et affligée, ô mon amie, en ce soir de novembre ? »
Pas un regard pour le mauvais acteur, sa chair collée au sol, elle rampe jusqu’au bord de la scène. La tête dans le vide de son personnage, à la recherche du sens.
Maintenant elle interpelle avec virulence les personnes assises du premier rang, enfin réveillées : « Osez monter sur scène avant qu’il n’y ait plus rien à voir ! »
Ça s’insurge, sur les sièges veloutés. Il faut respecter le texte. Madame. Suivre la route, rester debout. Marcher droit et suivre le mouvement, docilement, respecter les règles. Soyez belle, douce, polie et pas trop ambitieuse. Ils se lèvent, veulent la forcer.
Restez à vos places ! hurle-t-elle. Toi aussi.
Se laissant choir tout à fait dans la foule, elle ôte sa peau et expose son cœur à vif. Le public voit les muscles atrophiés et le sang qui coule, mais son sacrifice ne récolte que jugements et injures. L’opinion a décidé, pas de pitié. Deux positions : l’ignorance ou la condamnation. Une fois qu’elle est fondue au pied de la scène, flaque humaine, ils ne la voient plus. Leurs regards avides de croustillance se tournent d’un même élan vers le haut, où le comédien assure toujours la suite, malgré le doute. Pourtant, c’est la fin de la représentation : acta est fabula.
Elle court. Vite, en zigzags, vers la petite porte dérobée. Dans l’allée, ce qui reste de la femme se précipite à contre-courant. La poignée grince. Ça y est, elle est dehors ! A l’extérieur, la nuit s’est répandue, partout, elle pèse. Il n’y a rien. Tout autour d’elle, elle ne goûte que le vide. Du vide. Du vide. Elle s’attendait à vivre, enfin à vivre ! Le constat du néant est insupportable. Elle ramasse rageusement les bouts d’elle épars, et reconstruit sa véritable image. En dehors du théâtre, plus rien n’est vraisemblable. Il ne reste que la vérité à révéler.
Alors, elle rit, et elle comprend, pourquoi toute cette mascarade. La haine pour ceux qui se déguisent a cédé la place à la pitié.
La porte derrière elle s’entrouvre. Un rai de lumière fulgurant l’illumine. Un corps d’homme se dessine dans l’embrasure. Dès qu’il franchit le seuil, pour sortir du théâtre, l’odeur de son costume en flammes ravit les narines de la femme. Il est maintenant nu, comme elle. Ses membres faillibles se nouent aux siens. La conscience refait surface. A cet instant, elle sait que plus jamais elle ne courra pour échapper au mouvement général. Le courant électrique qui les parcourt les aidera à le traverser sans s’effacer. Hors-scène, les deux corps pleins se transforment l’un et l’autre. La chaleur entre eux est maintenue par leurs mouvements contraires.
Les murs du théâtre s’embrasent. Le rideau tombe. La fumée étouffe ceux qui pensent s’amuser à l’intérieur, lentement.
Sublime à contre-courant, elle n’est pas seule.
Non !
Une foule de visages se lèvent enfin vers elle. Certains masques ont été arrachés par son refus manifesté. Les sourires ont laissé place à la souffrance. Alors qu’ils dislike, elle voudrait juste leur donner un peu d’amour. Leurs yeux rougis s’ouvrent enfin sur la comédienne. La réalité de ce corps nu dans la semi-obscurité leur éclate au visage : il n’y a plus assez d’espace pour la représentation. Elle suffoque, sa bouche esquisse encore des « non », elle se tait. Le souffleur l’exhorte à dire son texte. Il ne sait plus à qui il fait face. Le personnage ne peut que donner la réplique, comme une machine, ignorant qu’il a été déterminé. La comédienne, elle, ne devrait pas improviser. Quant à l’individu, il n’a pas sa place dans ce théâtre.
Un autre personnage apparaît. La mise en scène lui donne une existence. L’illusion doit être maintenue à tout prix. Sinon, les spectateurs ne pourront plus taguer leur vie à coup de hash. Il s’approche et le jeu de masques peut commencer. A l’intérieur, il se laisse troubler. Il observe le corps devant lui. Il ne voit rien d’autre qu’une enveloppe vide. Soudain, il ne sait plus la reconnaître. Qui se tient face à lui ? Il ne se souvient pas. Mais quelle importance. Mécanique, il récite, il l’incite, il s’irrite. Le corps de femme s’amollit sous son regard. L’obscurité se fait plus pressante et elle s’assoit sur les planches. Reconnaissance du socle. Artifice révélé. Il ne comprend pas. Il se force à rajouter une réplique.
« Que faites vous, seule et affligée, ô mon amie, en ce soir de novembre ? »
Dans la salle le son des brisures se fracasse contre le mur. Les pantins cassent.
« Que faites vous, seule et affligée, ô mon amie, en ce soir de novembre ? »
Pas un regard pour le mauvais acteur, sa chair collée au sol, elle rampe jusqu’au bord de la scène. La tête dans le vide de son personnage, à la recherche du sens.
Maintenant elle interpelle avec virulence les personnes assises du premier rang, enfin réveillées : « Osez monter sur scène avant qu’il n’y ait plus rien à voir ! »
Ça s’insurge, sur les sièges veloutés. Il faut respecter le texte. Madame. Suivre la route, rester debout. Marcher droit et suivre le mouvement, docilement, respecter les règles. Soyez belle, douce, polie et pas trop ambitieuse. Ils se lèvent, veulent la forcer.
Restez à vos places ! hurle-t-elle. Toi aussi.
Se laissant choir tout à fait dans la foule, elle ôte sa peau et expose son cœur à vif. Le public voit les muscles atrophiés et le sang qui coule, mais son sacrifice ne récolte que jugements et injures. L’opinion a décidé, pas de pitié. Deux positions : l’ignorance ou la condamnation. Une fois qu’elle est fondue au pied de la scène, flaque humaine, ils ne la voient plus. Leurs regards avides de croustillance se tournent d’un même élan vers le haut, où le comédien assure toujours la suite, malgré le doute. Pourtant, c’est la fin de la représentation : acta est fabula.
Elle court. Vite, en zigzags, vers la petite porte dérobée. Dans l’allée, ce qui reste de la femme se précipite à contre-courant. La poignée grince. Ça y est, elle est dehors ! A l’extérieur, la nuit s’est répandue, partout, elle pèse. Il n’y a rien. Tout autour d’elle, elle ne goûte que le vide. Du vide. Du vide. Elle s’attendait à vivre, enfin à vivre ! Le constat du néant est insupportable. Elle ramasse rageusement les bouts d’elle épars, et reconstruit sa véritable image. En dehors du théâtre, plus rien n’est vraisemblable. Il ne reste que la vérité à révéler.
Alors, elle rit, et elle comprend, pourquoi toute cette mascarade. La haine pour ceux qui se déguisent a cédé la place à la pitié.
La porte derrière elle s’entrouvre. Un rai de lumière fulgurant l’illumine. Un corps d’homme se dessine dans l’embrasure. Dès qu’il franchit le seuil, pour sortir du théâtre, l’odeur de son costume en flammes ravit les narines de la femme. Il est maintenant nu, comme elle. Ses membres faillibles se nouent aux siens. La conscience refait surface. A cet instant, elle sait que plus jamais elle ne courra pour échapper au mouvement général. Le courant électrique qui les parcourt les aidera à le traverser sans s’effacer. Hors-scène, les deux corps pleins se transforment l’un et l’autre. La chaleur entre eux est maintenue par leurs mouvements contraires.
Les murs du théâtre s’embrasent. Le rideau tombe. La fumée étouffe ceux qui pensent s’amuser à l’intérieur, lentement.
Sublime à contre-courant, elle n’est pas seule.