DIMANCHE
Bleu strié de vert,
Un chien,
Faisant tintinnabuler ses boucles d'oreilles-flacons de parfum,
Dévale l'avenue sur ses pattes arrière,
Pensif il médite sur la proposition de
... [+]
- Accusé, levez-vous.
L'homme se dressa.
- Jurez de dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité.
- Je le jure, Monsieur le Président.
- Vous êtes bien le sieur Paul Matefin ?
- Oui, Monsieur le Président.
- Vous êtes accusé d'employer un travailleur non déclaré et non rémunéré ! En somme ce que l'on peut taxer d'esclavage.
- Mais, Monsieur le Président...
- Ne m'interrompez pas ! Cela s'appelle du travail au noir aggravé d'exploitation d'un travailleur dans l'incapacité de faire valoir ses droits. Possédez-vous, oui où non, un aquarium avec un poisson nettoyeur ?
- Oui, Monsieur le Président, même qu'il se dénomme Mathurin.
- Mathurin ou pas il doit être déclaré.
- Je ne savais pas que l'on devait déclarer les poissons comme travailleurs !
- Ce n'est pas un poisson comme les autres. Dans cet aquarium y a-t-il d'autres poissons ?
- Oui, une douzaine.
-Ceux-ci ne posent aucun problème, mais celui-là en tant que poisson nettoyeur travaille, il doit donc être déclaré et rémunéré.
L'avocat de l'accusé se leva.
- Mais mon client n'a jamais demandé à Mathurin de nettoyer les vitres de son aquarium, celui-ci le fait parce que celà est inscrit dans ses gènes.
- Maître, lorsque l'accusé à acquis son poisson il savait que celui-ci était un poisson nettoyeur et qu'il agirait en conséquence. Il vous est impossible de plaider l'ignorance.
- Monsieur le Président, le crime d'esclavage ne peut pas être retenu. En contrepartie de son travail Mathurin est nourri et logé.
- Maître, la correspondance financière de cette rémunération en nature ne correspond qu'à 25% de la valeur à ce jour du RMTA (Rémunération Minimale des Travailleurs Aquatiques).
- Monsieur le Président, comment mon client peut il procurer à Mathurin le complément de rémunération qui lui serait dû ?
- En lui ouvrant sous le nom de Mathurin un compte dans une banque, compte sur lequel serait versé mensuellement la contrepartie financière dont il reste redevable.
- Et à quoi servirait cet argent, il est improductif de laisser dormir sur un compte une somme qui ne servira jamais à rien !
- C'est au sieur Mathurin de décider de l'utilisation de ce pécule; il peut, par exemple s'en servir pour hausser son niveau de vie, élever sa descendance dans des conditions de confort et d'éducation nettement améliorées par rapport à ce qui est offert en général aux petits poissons nettoyeurs ou alors s'offrir un aspirateur pour faciliter sa tâche... Si tel est son désir il pourra même participer au bien être de ses compagnons de tous les jours
- Mais, Monsieur le Président...
- Maître, veuillez cesser d'énumérer des objections infondées. Pour vous prouver qu'il y a exploitation illicite d'un travailleur je vais donner la parole à Monsieur Report, expert aux conditions de vie sous marines près le tribunal. Monsieur Report veuillez nous présenter votre compte rendu.
- Voilà, Monsieur le Président, à la requête du tribunal, j'ai effectué pendant une semaine une enquête sur le travail du sieur Mathurin poisson nettoyeur. Voici le résultat de cette enquête :
« Le ci-devant nommé Mathurin a effectué chaque jour une moyenne quotidienne de 7h46mn de travail (dont 2h25mn de nuit) et ce tous les jours ouvrés soit 6 jours par semaine, le dimanche il n'a travaillé que 5h23mn. De ceci il résulte que, rien que pour la semaine en question, le sieur Matefin lui doit non seulement le RMTA mais également 16h59mn en heures supplémentaires ainsi que les majorations pour les heures de nuit et les heures de travail dominical. De plus le sieur Matefin contrevient à la limite maximale hebdomadaire travaillée autorisée soit 48h. Il y a également non respect de l'obligation d'accorder à tout travailleur au minimum un jour de repos hebdomadaire.
- Monsieur le Président je proteste, Mathurin n'est pas un homme, cette législation ne peut donc pas s'appliquer à lui et puis mon client ne possède aucun moyen d'empêcher Mathurin de nettoyer les parois de son aquarium, d'ailleurs s'il le faisait il risquerait d'être accusé d'entrave à sa liberté.
- Maître, ceci n'est pas du ressort du tribunal, l'employeur d'un être vivant doit se préoccuper des moyens nécessaires au traitement correct et légal de son personnel. l'ADAT (Association de Défense des Animaux Travailleurs), qui est la plaignante dans cette affaire, fait valoir, avec juste raison, que tout ce qui peut être considéré comme une maltraitance pour un travailleur humain doit également être considéré comme une maltraitance potentielle pour tout être vivant quelle que soit son espèce, votre requête est donc irrecevable.
- Monsieur le Président je proteste formellement contre cette interprétention de la loi.
- Maître ce n'est pas une interprétation, le texte est clair, net et précis. Aucune juridiction digne de ce nom ne ne serait en mesure d'accepter votre point de vue.
- Monsieur le Président, tous ces points sont des détails que mon client ignorait.
- Maître je vous rappelle que dans la constitution il est stipulé que nul n'est censé ignorer la loi !
- Monsieur le président c'est la théorie mais dans la pratique je serais heureux de rencontrer une seule personne connaissant la loi dans son intégralité.
- Maître cette argutie ne retire rien au sens profond de cet article. Maintenant trêve de blabla : la cour va se retirer pour délibérer.
* * *
Une heure s'est écoulée, tous les protagonistes de cette douloureuse affaire se trouvent à nouveau réunis dans la salle d'audience. Le président se lève et prend la parole :
- Le tribunal après en avoir délibéré condamne le sieur Matefin à verser sur un compte ouvert au nom du dénommé Mathurin l'arrièré de tous les salaires dûs à celui-ci ainsi que les intérêts moratoires correspondant au taux officiel en vigueur au jour de l'exécution qui devra se tenir dans un délai maximum de 1 mois calendaire. Le sieur Matefin devra également s'acquitter de tous les frais de justice afférents à cette affaire. Bien entendu il devra à partir de ce jour lui verser au moins le salaire minimum correspondant à son activivté.
En outre le sieur Matefin est condamné, à titre d'exemple, à effectuer personnellement et gratuitement chaque jour, et ce durant 1 mois, le nettoyage complet à l'aide d'une simple raclette des parois de la piscine municipale de sa commune. Un expert, mandaté par cette dernière et rémunéré par le sieur Matefin, sera chargé de vérifier la bonne exécution de cette sentence.
La séance est levée.
Cette joute oratoire m'a donné quelque idées pour ma défense !!