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Histoires Jeunesse - 11-14 Ans (Cycle 4) Collections thématiques- Humour - Jeunesse
- Humour - Cycle 4
— Emma ! Va demander à Lucette si elle peut nous dépanner d'une baguette. Cristiano a oublié de passer à la boulangerie.
Et voilà, comme d'habitude c'est Emma qui doit aller chez Lucette, en pleine nuit, sous la pluie !
— Pourquoi moi ? Je fais mes devoirs ! Louis peut y aller, il ne fait rien.
— Emma, sois gentille, tu es la plus grande. Louis est fatigué. Moi, à 13 ans, je m'occupais de mes quatre frères. Je leur donnais le bain, je...
J'ai mis mon casque sur les oreilles, je connaissais la suite par cœur. La dernière fois, je lui ai dit : « Mais ma pauvre Cosette, on n'est plus au moyen âge ! » Ça lui a plu moyen, mais, par bonheur, elle a
reporté à plus tard sa dixième leçon de morale.
Louis, c'est mon frangin, un petit morveux de sept ans. Enfin, mon demi-frangin. C'est le chouchou de ma mère. Je la comprends, c'est le fils de son amoureux, Cristiano, un bel italien aussi débile qu'il est beau. Mon beau-père quoi. Alors que moi, je suis la fille du gros naze qui s'est barré avec sa secrétaire il y a huit ans.
Furieuse, j'enfile une veste, une paire de baskets, pousse Louis en passant, et sors en claquant la porte pour montrer à quel point j'en ai marre de cette famille.
Lucette est une dame d'environ cent cinquante ans qui habite dans une vieille maison à moitié délabrée. Lucette aussi est délabrée. Elle est sourde comme un pot, une moustache, de grands poils au menton et des chicots pourris.
Ding ding dong !
— Salut la vioque, tu n'aurais pas un bout de pain ? Cristiano-tête-pleine-d'eau a oublié d'en acheter, marmonne Emma.
— Oh ! ma petite Emma, qu'est-ce qui t'amène à c't'heure ?
— Bonjour madame, vous n'auriez pas une baguette pour nous dépanner s'il vous plait ?
— Commeeeeennnt ?
— Vous n'auriez pas une baguette pour nous dépanner s'il vous plait ? hurlai-je dans son sonotone.
— Une brrraaagueeeeette ?
— NON, UNE BAGUETTE !
Je n'en peux plus, je crois que je me suis fait une luxation des cordes vocales. Elle ne s'arrange pas la Lulu.
— Ah ! d'accord, je n'avais pas compris. Il faut parler plus fort ma chérie, mes oreilles n'ont plus vingt ans. Il doit m'en rester une dans le congélateur. Entre deux minutes, tu vas être trempée avec ce sale temps.
J'accepte l'invitation à contrecœur, la maison n'étant pas des plus accueillantes. Je ferme la porte et regarde la Lulu déambuler comme elle peut dans le long couloir sombre. On se moque d'elle avec mes copines, mais en réalité elle me fait de la peine. Toute seule dans cette maison lugubre, personne ne vient la voir. Il parait qu'elle a perdu son mari dans un accident de tracteur, il y a longtemps, très longtemps.
— Eh ! la vioque, t'es tombée dans le congélo, plaisante Emma dans un murmure. Qu'est-ce qu'elle fout ? Je ne l'entends plus.
— MADAME LUCETTE, ÇA VA ?
Pas de réponse. Je commence à flipper grave.
— MADAME LUCETTE, C'EST PAS DRÔLE !
Qu'est-ce que je raconte, Lucette n'est pas du genre à faire des blagues. Je crois que je vais faire pipi dans ma culotte. J'aurais dû prendre mon téléphone. Qu'est-ce que je fais ? OK, je laisse tomber, je vais chercher du secours !
— MADAME LUCETTE, JE REVIENS TOUT DE SUITE.
Pas de réponse.
J'attrape la poignée de la porte d'entrée, je tire, elle résiste, je tire plus fort, elle résiste encore, elle prouve qu'elle existe. Ce n'est pas une petite poignée de porte toute pourrie qui va me saouler. Je mets mon pied en appui, je sens que ça vient...
Je reste quelques secondes sans réaction, assise dans le couloir, un peu sonnée, la poignée de porte dans la main... Je n'y crois pas, c'est un cauchemar.
— CRISTIANO, AU SECOURS !
Ma pauvre fille, tu n'as aucune fierté.
Non c'est vrai, aucune. Et tu sais ce qu'elle te dit ma fierté !
Oui, il m'arrive de discuter avec moi-même, surtout quand on n'est pas d'accord. Et puis, du coup, j'ai l'impression d'être deux. On est plus fort à deux non ? Allez, les filles, on reste calme.
Analysons la situation : je suis enfermée dans une maison délabrée qui peut s'écrouler d'un moment à l'autre. La Lulu a été égorgée par un serial killer qui était caché dans le congélo. Et quand il aura fini de boire le sang de sa victime... qu'est-ce qu'il va me faire ?
Ma pauvre fille, ne penses-tu pas que ton analyse est teintée d'un petit excès de pessimisme ?
Tu as raison Emma, je recommence : je suis chez madame Lucette, la fringante centenaire qui va bientôt revenir avec une baguette dans une main et une caisse à outils dans l'autre pour réparer la poignée de la porte.
Eh ben voilà, tout s'arrange. Un peu de patience. Comme dit ce cher Cristiano, la patience est la mamma de toutes les vertus.
Je me sens un peu rassurée par cette conversation avec moi-même. Cependant, la patience et moi, on n'est pas copines. Je me risque à faire un pas dans le couloir, puis deux, puis je me lance dans un sprint jusqu'à la porte du fond. Je risque un œil à gauche, c'est la cuisine. Personne en vue. J'avance sans bruit vers le congélo en tremblant. Je ne peux plus reculer. Je sais que je vis mes derniers instants. Maman, Louis, je vous aime. Vous allez me manquer. Même toi Cristiano, tu es un peu bête, mais tu me fais rire. Adios.
J'ouvre doucement la porte, tout doucement, centimètre par centimètre. Un grincement furtif et, soudain, une lumière jaune éclaire faiblement l'intérieur du congélateur.
C'EST HORRIBLE ! De gros yeux injectés de sang dans une tête écorchée me transpercent d'éclairs glaçants !
— AU SECOURS ! À L'AIDE ! JE NE VEUX PAS MOURIR.
Je cours en direction de la fenêtre située dans la pièce à côté en hurlant, par laquelle je vais tenter de m'échapper dans une opération de la dernière chance, mais... quelle n'est pas ma surprise ! Madame Lucette est dans son fauteuil, avec son tricot. Elle me regarde en souriant, quoique légèrement étonnée.
— Madame Lucette, vous êtes VIVANTE !
— Oh ! Emma, ma pauvre petite, j'ai complètement oublié de te donner ta baguette.
— Mais... Dans le congélateur... c'est quoi ???
— Commeeeeennnt ?
— C'EST QUOI DANS LE CONGÉLATEUR ???
— C'est Robert, oui c'est Robert, me répond-elle les larmes aux yeux.
— ROBERT ?! MAIS C'EST QUI ROBERT !!!, hurlai-je, terrifiée.
— Il est mort il y a très longtemps, je l'aimais bien, alors je n'ai pas pu le manger.
Au même moment, j'ai entendu avec soulagement la porte d'entrée s'ouvrir dans un grand fracas. Ma mère, inquiète de ne pas me voir revenir, a ordonné à Cristiano d'aller voir si je ne traînais pas avec ce « vaurien » de Maxime. Quand il a entendu mes hurlements, ni une ni deux, il a démoli la porte.
Depuis ce jour, Cristiano et moi avons des rapports apaisés. Ce n'est pas le grand amour, mais on rigole bien quand même. Surtout quand on reparle de cette histoire, ce qui arrive souvent. Ça fait pourtant trois ans déjà. La pauvre Lucette est allée rejoindre son mari et la maison a été démolie, remplacée par un parking.
— Emma, j'ai pas compris, c'est qui Robert ? demande Louis.
— Robert, c'était le mari de Lucette. Il élevait quelques moutons. Quand il est mort, elle en a gardé un qui lui a tenu compagnie quelques années.
— Et elle lui a donné le prénom de son défunt mari ! s'esclaffe Cristiano.
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