— Que fais-tu Arthur ?
— Du sport Maman !
— Quel sport ?
— Natation !
Marion courut précipitamment vers le jardin, imaginant un scénario catastrophe pour son petit
... [+]
- Quinze ! Je te le répète Justine, j’étais chez lui, il s’était endormi devant son écran, j’ai tout récupéré, il y en avait au moins quinze... À ce soir. Bises !
L’appel de Karine avait bouleversé Justine. Les bulles nauséabondes d’un passé meurtri éclataient en surface. Au moins quinze... Moins quinze... Un rapprochement de mots froidement douloureux.
Dix ans déjà que la traumatisante vérité s’était révélée, par bribes, à Justine, dans une chambre d’hôpital : janvier, trois heures du matin, dans une voiture, nue, température extérieure -15 °, hypothermie... Violée.
***
À vingt-huit ans, Karine, assistante de vie, donnait la pleine mesure de ses capacités dans cette tâche difficile qu’elle accomplissait généreusement. Sa vitalité et son empathie bourrue étaient reconnues et appréciées par toutes les personnes dont elle s’occupait, à domicile, ou, le plus souvent, en EHPAD. Ses compétences multiples faisaient d’elle une auxiliaire de vie indispensable. On attendait le passage de cette complice de vie comme une revitalisante bouffée d’oxygène.
Justine, vingt-huit ans elle aussi, concevait et assurait la maintenance de sites Web. Partiellement immobilisée à la suite d’un accident de ski, Justine œuvrait en télétravail. Karine, détachée chez elle par sa société, l’assistait plusieurs jours par semaine dans les tâches ménagères, les courses, les repas, la toilette.
Karine et Justine s’étaient connues au lycée. Elles jouaient ensemble dans l’équipe de volley-ball qui avait gagné la finale inter-lycées du département. Ce fut l’occasion pour les vainqueurs d’immortaliser ingénument ce moment de gloire par un tatouage dans le bas du dos : un ballon avec des pétales symbolisant les gagnantes.
***
- Dring ! Le coup de sonnette fit sursauter Justine.
- Tiens ! dit Karine quelques instants plus tard en l’embrassant, j’ai tout récupéré. J’ai fait comme tu m’as appris, dit-elle adressant un clin d’œil complice à son amie.
Justine saisit avec émotion la clé USB qu’on lui tendait :
- Ça va être dur mais ce sera la meilleure thérapie. Allons-y.
Toutes deux se dirigèrent vers l’ordinateur de Justine.
Les images étaient parlantes. Justine s’arrêta un moment sur la quinzième photo en essayant de resituer la scène. Le tatouage était clairement identifiable. Sans équivoque. Quinze jeunes femmes nues. Quinze victimes...
Karine respecta le long moment de réflexion muette de son amie puis l’interrompit :
- J’ai de la haine pour ce porc libidineux, ce voyeur qui désormais ne prend son pied que dans la reconnaissance fessiale, ce criminel qui t’a violée et laissée à poil par -15 °C... Heureusement, j’ai aussi beaucoup de femmes prêtes à m’aider parmi les dames âgées que je visite, ajouta-t-elle, mystérieuse...
***
Deux semaines plus tard.
Karine consulta son planning du jour : Jacqueline, puis, le juge et je termine chez Mireille.
À 10 heures 30 elle frappa à la porte du juge.
- Ouais ! répondit une voix contrariée.
Ça commence bien, pensa Karine en passant sa tête dans l’entrebâillement de la porte :
- Bonjour Monsieur le juge !
- Mmmh ! grogna l’homme en guise d’acquiescement.
Lui, le juge, personne ne l’appelait par son prénom, ni même son nom, on lui donnait du Monsieur le juge à l’EHPAD, pas par considération, uniquement parce qu’il l’exigeait, alors, tout le monde y allait avec un – Monsieur le juge - ostentatoire teinté d’une ironique obséquiosité. Il n’était là que depuis quelques mois mais il faisait déjà l’unanimité contre lui le juge. C’était un homme grisâtre, torturé de tics, traînant derrière lui un baluchon rempli tout au long de sa vie de qualificatifs dévalorisants : hautain, puant, sournois, même les infirmières, femmes dévouées s’il en est, n’arrivaient pas à lui décrocher une parole aimable.
Seulement, il fallait absolument le ménager le juge, la moindre contrariété, le moindre choc émotionnel, pouvait avoir des conséquences dramatiques pour son cœur. Un cœur d’une préoccupante fragilité.
- Ça va aujourd’hui Monsieur le juge ? s’enquit Karine.
- Mmmh !
- Tant mieux ! Je vais vous préparer le lit, le repas, et je ferai un brin de ménage.
- Mmmh !
- Pas de quoi ! ajouta-t-elle narquoise en se dirigeant vers le lit.
Elle l’observa quelques secondes. Vissé devant son écran il manifestait d’évidents signes d’intérêt et de concentration. Elle prépara le lit puis rejoignit la petite cuisine où elle prépara une collation.
- Ding ! Ding ! Ding ! En nettoyant l’évier Karine fit tomber sur le carrelage de la cuisine une casserole, plusieurs fourchettes, cuillères et couteaux dans un retentissant bruit métallique.
Le juge sursauta, suffoqua et se tint la poitrine, la bouche ouverte, les yeux hagards.
Karine se dirigea rapidement vers lui.
- Appuyez-vous sur moi, on va aller jusqu’au lit, vous avez besoin de vous reposer. Encore saisi par l’émotion le juge obéit docilement aux directives.
Elle l’aida à s’allonger, il souffla, essaya de retrouver son calme puis ferma les yeux. Il s’assoupit quelques secondes plus tard.
Karine prit le temps de remettre de l’ordre sur le bureau du juge.
Dix minutes plus tard elle ramassa délicatement la casserole et les ustensiles de cuisine tombés au sol.
Lorsqu’elle quitta l’appartement l’homme dormait profondément.
***
À 15 h 10 le juge se leva et s’installa dans son fauteuil de bureau. Il se sentait encore fatigué, mais, heureusement, il avait sa drogue, son électrochoc positif. Il démarra son ordinateur, cliqua quelques instants plus tard sur un raccourci et activa un fichier PowerPoint qui démarra automatiquement en mode diaporama.
Première diapo, premier coup au cœur. Il ne reconnut pas la photo initiale. Qui était cette grosse et vieille femme entièrement nue, allongée sur le ventre ? Inquiet, il attendit, quinze secondes plus tard, le passage automatique à la diapositive suivante. Deuxième coup au cœur, une femme âgée, maigre, le cul triste. Sur la troisième diapo, la femme était sur le dos, les jambes écartées, on ne voyait pas sa tête. Ses seins énormes s’étalaient sur le lit, ses jambes écartées découvraient un sexe aux poils rares et blancs offert comme un coquillage. Il sentit les battements de son cœur s’accélérer. Il continua malgré lui sa quête automatique, il n’avait plus la force d’arrêter la projection. Quatre, cinq, six... Treize. Que des vieux corps de femmes nues. Quatorze ! De vieilles mains écartant des fesses blanchâtres pour libérer un anus en œil inquisiteur. Le juge haletait, délirait, suffoquait...
Quinze ! La quinzième, bien plus jeune que les autres, proposait une belle croupe avec un tatouage au bas du dos et un message sibyllin dessiné sur les fesses.
Le cœur du juge lâcha devant tant d’incompréhension.
À 16 heures, Karine pénétra chez le juge, il semblait dormir devant son écran. Elle suivit scrupuleusement les indications de Justine et ne laissa aucune trace de son passage informatique.
***
À 18 heures, l’infirmière trouva le juge avachi sur son bureau, coincé dans son fauteuil, face à son écran d’ordinateur. Mort.
Le message que Karine laissa à Justine fut bref :
- J’ai fait le nécessaire, tout est remis en ordre. Mes vieilles copines ont bien bossé. J’ai retrouvé l’autre salopard clamsé devant la quinzième diapo ; la tienne. La dédicace inscrite sur tes fesses a dû l’achever : - 15 °C
L’appel de Karine avait bouleversé Justine. Les bulles nauséabondes d’un passé meurtri éclataient en surface. Au moins quinze... Moins quinze... Un rapprochement de mots froidement douloureux.
Dix ans déjà que la traumatisante vérité s’était révélée, par bribes, à Justine, dans une chambre d’hôpital : janvier, trois heures du matin, dans une voiture, nue, température extérieure -15 °, hypothermie... Violée.
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À vingt-huit ans, Karine, assistante de vie, donnait la pleine mesure de ses capacités dans cette tâche difficile qu’elle accomplissait généreusement. Sa vitalité et son empathie bourrue étaient reconnues et appréciées par toutes les personnes dont elle s’occupait, à domicile, ou, le plus souvent, en EHPAD. Ses compétences multiples faisaient d’elle une auxiliaire de vie indispensable. On attendait le passage de cette complice de vie comme une revitalisante bouffée d’oxygène.
Justine, vingt-huit ans elle aussi, concevait et assurait la maintenance de sites Web. Partiellement immobilisée à la suite d’un accident de ski, Justine œuvrait en télétravail. Karine, détachée chez elle par sa société, l’assistait plusieurs jours par semaine dans les tâches ménagères, les courses, les repas, la toilette.
Karine et Justine s’étaient connues au lycée. Elles jouaient ensemble dans l’équipe de volley-ball qui avait gagné la finale inter-lycées du département. Ce fut l’occasion pour les vainqueurs d’immortaliser ingénument ce moment de gloire par un tatouage dans le bas du dos : un ballon avec des pétales symbolisant les gagnantes.
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- Dring ! Le coup de sonnette fit sursauter Justine.
- Tiens ! dit Karine quelques instants plus tard en l’embrassant, j’ai tout récupéré. J’ai fait comme tu m’as appris, dit-elle adressant un clin d’œil complice à son amie.
Justine saisit avec émotion la clé USB qu’on lui tendait :
- Ça va être dur mais ce sera la meilleure thérapie. Allons-y.
Toutes deux se dirigèrent vers l’ordinateur de Justine.
Les images étaient parlantes. Justine s’arrêta un moment sur la quinzième photo en essayant de resituer la scène. Le tatouage était clairement identifiable. Sans équivoque. Quinze jeunes femmes nues. Quinze victimes...
Karine respecta le long moment de réflexion muette de son amie puis l’interrompit :
- J’ai de la haine pour ce porc libidineux, ce voyeur qui désormais ne prend son pied que dans la reconnaissance fessiale, ce criminel qui t’a violée et laissée à poil par -15 °C... Heureusement, j’ai aussi beaucoup de femmes prêtes à m’aider parmi les dames âgées que je visite, ajouta-t-elle, mystérieuse...
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Deux semaines plus tard.
Karine consulta son planning du jour : Jacqueline, puis, le juge et je termine chez Mireille.
À 10 heures 30 elle frappa à la porte du juge.
- Ouais ! répondit une voix contrariée.
Ça commence bien, pensa Karine en passant sa tête dans l’entrebâillement de la porte :
- Bonjour Monsieur le juge !
- Mmmh ! grogna l’homme en guise d’acquiescement.
Lui, le juge, personne ne l’appelait par son prénom, ni même son nom, on lui donnait du Monsieur le juge à l’EHPAD, pas par considération, uniquement parce qu’il l’exigeait, alors, tout le monde y allait avec un – Monsieur le juge - ostentatoire teinté d’une ironique obséquiosité. Il n’était là que depuis quelques mois mais il faisait déjà l’unanimité contre lui le juge. C’était un homme grisâtre, torturé de tics, traînant derrière lui un baluchon rempli tout au long de sa vie de qualificatifs dévalorisants : hautain, puant, sournois, même les infirmières, femmes dévouées s’il en est, n’arrivaient pas à lui décrocher une parole aimable.
Seulement, il fallait absolument le ménager le juge, la moindre contrariété, le moindre choc émotionnel, pouvait avoir des conséquences dramatiques pour son cœur. Un cœur d’une préoccupante fragilité.
- Ça va aujourd’hui Monsieur le juge ? s’enquit Karine.
- Mmmh !
- Tant mieux ! Je vais vous préparer le lit, le repas, et je ferai un brin de ménage.
- Mmmh !
- Pas de quoi ! ajouta-t-elle narquoise en se dirigeant vers le lit.
Elle l’observa quelques secondes. Vissé devant son écran il manifestait d’évidents signes d’intérêt et de concentration. Elle prépara le lit puis rejoignit la petite cuisine où elle prépara une collation.
- Ding ! Ding ! Ding ! En nettoyant l’évier Karine fit tomber sur le carrelage de la cuisine une casserole, plusieurs fourchettes, cuillères et couteaux dans un retentissant bruit métallique.
Le juge sursauta, suffoqua et se tint la poitrine, la bouche ouverte, les yeux hagards.
Karine se dirigea rapidement vers lui.
- Appuyez-vous sur moi, on va aller jusqu’au lit, vous avez besoin de vous reposer. Encore saisi par l’émotion le juge obéit docilement aux directives.
Elle l’aida à s’allonger, il souffla, essaya de retrouver son calme puis ferma les yeux. Il s’assoupit quelques secondes plus tard.
Karine prit le temps de remettre de l’ordre sur le bureau du juge.
Dix minutes plus tard elle ramassa délicatement la casserole et les ustensiles de cuisine tombés au sol.
Lorsqu’elle quitta l’appartement l’homme dormait profondément.
***
À 15 h 10 le juge se leva et s’installa dans son fauteuil de bureau. Il se sentait encore fatigué, mais, heureusement, il avait sa drogue, son électrochoc positif. Il démarra son ordinateur, cliqua quelques instants plus tard sur un raccourci et activa un fichier PowerPoint qui démarra automatiquement en mode diaporama.
Première diapo, premier coup au cœur. Il ne reconnut pas la photo initiale. Qui était cette grosse et vieille femme entièrement nue, allongée sur le ventre ? Inquiet, il attendit, quinze secondes plus tard, le passage automatique à la diapositive suivante. Deuxième coup au cœur, une femme âgée, maigre, le cul triste. Sur la troisième diapo, la femme était sur le dos, les jambes écartées, on ne voyait pas sa tête. Ses seins énormes s’étalaient sur le lit, ses jambes écartées découvraient un sexe aux poils rares et blancs offert comme un coquillage. Il sentit les battements de son cœur s’accélérer. Il continua malgré lui sa quête automatique, il n’avait plus la force d’arrêter la projection. Quatre, cinq, six... Treize. Que des vieux corps de femmes nues. Quatorze ! De vieilles mains écartant des fesses blanchâtres pour libérer un anus en œil inquisiteur. Le juge haletait, délirait, suffoquait...
Quinze ! La quinzième, bien plus jeune que les autres, proposait une belle croupe avec un tatouage au bas du dos et un message sibyllin dessiné sur les fesses.
Le cœur du juge lâcha devant tant d’incompréhension.
À 16 heures, Karine pénétra chez le juge, il semblait dormir devant son écran. Elle suivit scrupuleusement les indications de Justine et ne laissa aucune trace de son passage informatique.
***
À 18 heures, l’infirmière trouva le juge avachi sur son bureau, coincé dans son fauteuil, face à son écran d’ordinateur. Mort.
Le message que Karine laissa à Justine fut bref :
- J’ai fait le nécessaire, tout est remis en ordre. Mes vieilles copines ont bien bossé. J’ai retrouvé l’autre salopard clamsé devant la quinzième diapo ; la tienne. La dédicace inscrite sur tes fesses a dû l’achever : - 15 °C