Le cours d'anatomie paraît interminable ce matin. Nos lacunes contrecarrent les plans du professeur qui perd patience face à notre mutisme et nos airs de plus en plus léthargiques :
— Vous ne
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Je la choisis sans hésiter. En quelques minutes, son charme et sa modestie me firent oublier toutes les autres. Peut-être que cette attraction aurait dû m'inquiéter, peut-être pas...
Plus j'essaye de trouver l'instant exact où tout commença, plus je me perds. Aussi, je préfère remonter à notre première rencontre.
C'était en fin d'après-midi. L'agent immobilier avait l'air fatigué. Il m'avait proposé tellement de biens : il ne croyait plus que j'en achèterais un.
Mais, pour cette petite merveille, je signai aussitôt.
- Vous ne voulez pas réfléchir jusqu'à demain ?
Une cave aménagée en bureau toujours fraîche en été, une douche italienne toute neuve, de charmants escaliers, une petite chambre nichée au fond d'un couloir, l'absence de murs mitoyens, le petit jardinet... C'était tout réfléchi.
L'agent immobilier me toisa mais n'insista pas, l'héritage de Grand-mère me permettait de payer comptant, sa commission était garantie.
J'emménageai quatre mois plus tard... Entre temps, j'avais fait plusieurs visites à ma promise pour prendre des mesures, réfléchir aux coloris... Je voulais pouvoir y habiter le plus vite possible une fois l'acte de vente signé. Quelques coups de peinture, une nouvelle serrure et j'étais chez moi...
Je ne voulais plus quitter ma parfaite petite maison. Ma mère râlait car j'étais invisible, mes amis pensaient que je les snobais... Mes clients, par contre, étaient ravis : je travaillais plus et mieux. Mon bureau dans la cave, si frais, si moderne me retenait tous les soirs et m'appelait chaque matin. Je me sentais remplie d'énergie.
Je vécus les meilleurs mois de ma vie entre les murs épais de ma maison. Ça commença tout doucement à se gâter au rez-de-chaussée, dans la cuisine.
À l'image de la maison, elle combinait les avantages de l'ancien, l'espace, et du moderne, un équipement dernier cri. J'aimais m'y détendre. J'y montai prendre un thé ou un sandwich et je trouvai la lumière allumée ou la porte du placard ouverte. Au début, je crus à mon étourderie, mais après l'épisode du chocolat, je compris.
Le soir après ma délicieuse douche, les cheveux mouillés, nue sous ma serviette de bain, je m'offrais les derniers carrés de chocolat blanc. Dans ma tête, Amélie piaillait que le chocolat blanc n'était pas du vrai chocolat, mais du sucre et du beurre de cacao.
- Trop bon !, dis-je à voix haute pour faire taire mon Amélie intérieure.
Je me promis d'en racheter deux tablettes lors de ma visite hebdomadaire au supermarché. Le lendemain soir, alors que je choisissais une boîte de sardines, je vis que les carrés de chocolat de la veille avait réapparu.
J'avais fini la tablette, je n'étais pas allée au supermarché en racheter, et pourtant il restait cinq carrés... Comme si j'avais remonté le temps.
Ce n'était pas seulement une étourderie. D'ailleurs, peu de temps après cet épisode, ça s'étendit à toute la maison. Les lumières s'allumaient en pleine journée, les portes claquaient, le radioréveil se mettait en marche, le son de la télévision montait et descendait tout seul.
Quelqu'un habitait ma maison.
Et cette personne me déclara la guerre en dérobant mes lunettes.
Le soir, je les avais déposées sur ma table de nuit et le matin, elles n'y étaient plus. Je dus donc utiliser ma vieille paire qui me donnait des maux de tête si je les portais trop longtemps. J'étais forcée, lorsque je prenais l'air dans le jardinet ou lorsque je répondais à mes appels, d'accepter ma myopie et ne voir que des couleurs.
Je devais également travailler moins à cause des migraines. Mes clients aussi se mirent à se plaindre.
J'essayai de me montrer patiente et compréhensive. L'intruse se sentait peut-être piégée dans cette maison dont les couleurs avaient soudain changé. Les nouvelles serrures lui donnaient l'impression d'être prisonnière. Je mis donc les clés et les codes à sa disposition. Je lui expliquai pourquoi j'avais besoin de mes lunettes.
Elle ne m'écouta pas et se fit plus mauvaise encore. Elle commença à me réveiller la nuit. Au début, je ne comprenais pas comment. Puit une nuit, je l'entendis.
Un fredonnement... un gémissement... Une femme triste se cachait dans ma maison et ses pleurs me réveillaient la nuit.
Je ne pouvais plus travailler dans la cave, car elle en profitait pour régner au-dessus : gaspiller mon électricité et fouiller les placards. Elle bougeait les choses, changeait la programmation des appareils m'obligeant à chercher et à ranger.
Je m'installai dans la cuisine pensant qu'elle prendrait la cave et que je pourrais l'y enfermer, mais elle prit l'étage et se calfeutra dans ma chambre.
Je l'entendais gémir ses chansons tristes la nuit, puis le jour aussi. Je n'osais pas monter... Je préférais rester dans la cuisine, avec mes provisions, mon ordinateur... J'avais peur. Mon ventre se tordait, je tremblais. Cette femme n'était pas une intruse ordinaire.
C'est pourquoi je n'appelai pas à l'aide. Je savais qu'elle se cacherait à l'arrivée de la police, qui, de toutes façons, rechigne à intervenir contre les squatteurs. Mon intruse était malicieuse et redoutable : elle aurait poussé tout le monde à trouver une autre explication aux perturbations. L'installation électrique par exemple...
L'agent immobilier avait mentionné quelque chose à ce sujet. Ma mère aussi : elle désapprouvait tous ces appareils électroniques avec cette « installation vétuste »...
Alors je notai qu'en effet, l'intruse jouait beaucoup avec l'électricité : la télévision, les lumières, les appareils... Je surveillais mes provisions, mais elle ne s'y était jamais intéressée... Je compris qu'elle se nourrissait d'électricité et décidai donc de l'en priver en fermant le compteur.
Me retrouver dans la pénombre, sans Internet ni eau chaude, me donna du courage. Je montai et entrai dans ma chambre envahie.
Elle se dressait devant moi, pieds nus, les cheveux longs mal peignés et les yeux exorbités, un couteau à la main. Sa fureur, sa détermination et son arme ne me laissaient pas le choix. Je me jetai sur elle pour défendre ma vie et ma maison.
Après je ne me souviens plus... Je comprends, puisque je suis ici, interrogée, que j'ai gagné le combat...
Bien sûr on doit vérifier avant de me libérer... Il faut établir la légitime défense...
Est-ce qu'on a retrouvé mes lunettes ?
Mes pieds me font très mal... L'infirmière m'a dit que c'était le miroir qui les avaient coupés... Un miroir brisé, c'est un mauvais présage...
Vous vous rendez compte ? Elle avait piégé ma chambre avec de petits éclats de miroir. Pour m'éblouir et me blesser !
Pourtant, c'est elle qui était pieds nus.
Plus j'essaye de trouver l'instant exact où tout commença, plus je me perds. Aussi, je préfère remonter à notre première rencontre.
C'était en fin d'après-midi. L'agent immobilier avait l'air fatigué. Il m'avait proposé tellement de biens : il ne croyait plus que j'en achèterais un.
Mais, pour cette petite merveille, je signai aussitôt.
- Vous ne voulez pas réfléchir jusqu'à demain ?
Une cave aménagée en bureau toujours fraîche en été, une douche italienne toute neuve, de charmants escaliers, une petite chambre nichée au fond d'un couloir, l'absence de murs mitoyens, le petit jardinet... C'était tout réfléchi.
L'agent immobilier me toisa mais n'insista pas, l'héritage de Grand-mère me permettait de payer comptant, sa commission était garantie.
J'emménageai quatre mois plus tard... Entre temps, j'avais fait plusieurs visites à ma promise pour prendre des mesures, réfléchir aux coloris... Je voulais pouvoir y habiter le plus vite possible une fois l'acte de vente signé. Quelques coups de peinture, une nouvelle serrure et j'étais chez moi...
Je ne voulais plus quitter ma parfaite petite maison. Ma mère râlait car j'étais invisible, mes amis pensaient que je les snobais... Mes clients, par contre, étaient ravis : je travaillais plus et mieux. Mon bureau dans la cave, si frais, si moderne me retenait tous les soirs et m'appelait chaque matin. Je me sentais remplie d'énergie.
Je vécus les meilleurs mois de ma vie entre les murs épais de ma maison. Ça commença tout doucement à se gâter au rez-de-chaussée, dans la cuisine.
À l'image de la maison, elle combinait les avantages de l'ancien, l'espace, et du moderne, un équipement dernier cri. J'aimais m'y détendre. J'y montai prendre un thé ou un sandwich et je trouvai la lumière allumée ou la porte du placard ouverte. Au début, je crus à mon étourderie, mais après l'épisode du chocolat, je compris.
Le soir après ma délicieuse douche, les cheveux mouillés, nue sous ma serviette de bain, je m'offrais les derniers carrés de chocolat blanc. Dans ma tête, Amélie piaillait que le chocolat blanc n'était pas du vrai chocolat, mais du sucre et du beurre de cacao.
- Trop bon !, dis-je à voix haute pour faire taire mon Amélie intérieure.
Je me promis d'en racheter deux tablettes lors de ma visite hebdomadaire au supermarché. Le lendemain soir, alors que je choisissais une boîte de sardines, je vis que les carrés de chocolat de la veille avait réapparu.
J'avais fini la tablette, je n'étais pas allée au supermarché en racheter, et pourtant il restait cinq carrés... Comme si j'avais remonté le temps.
Ce n'était pas seulement une étourderie. D'ailleurs, peu de temps après cet épisode, ça s'étendit à toute la maison. Les lumières s'allumaient en pleine journée, les portes claquaient, le radioréveil se mettait en marche, le son de la télévision montait et descendait tout seul.
Quelqu'un habitait ma maison.
Et cette personne me déclara la guerre en dérobant mes lunettes.
Le soir, je les avais déposées sur ma table de nuit et le matin, elles n'y étaient plus. Je dus donc utiliser ma vieille paire qui me donnait des maux de tête si je les portais trop longtemps. J'étais forcée, lorsque je prenais l'air dans le jardinet ou lorsque je répondais à mes appels, d'accepter ma myopie et ne voir que des couleurs.
Je devais également travailler moins à cause des migraines. Mes clients aussi se mirent à se plaindre.
J'essayai de me montrer patiente et compréhensive. L'intruse se sentait peut-être piégée dans cette maison dont les couleurs avaient soudain changé. Les nouvelles serrures lui donnaient l'impression d'être prisonnière. Je mis donc les clés et les codes à sa disposition. Je lui expliquai pourquoi j'avais besoin de mes lunettes.
Elle ne m'écouta pas et se fit plus mauvaise encore. Elle commença à me réveiller la nuit. Au début, je ne comprenais pas comment. Puit une nuit, je l'entendis.
Un fredonnement... un gémissement... Une femme triste se cachait dans ma maison et ses pleurs me réveillaient la nuit.
Je ne pouvais plus travailler dans la cave, car elle en profitait pour régner au-dessus : gaspiller mon électricité et fouiller les placards. Elle bougeait les choses, changeait la programmation des appareils m'obligeant à chercher et à ranger.
Je m'installai dans la cuisine pensant qu'elle prendrait la cave et que je pourrais l'y enfermer, mais elle prit l'étage et se calfeutra dans ma chambre.
Je l'entendais gémir ses chansons tristes la nuit, puis le jour aussi. Je n'osais pas monter... Je préférais rester dans la cuisine, avec mes provisions, mon ordinateur... J'avais peur. Mon ventre se tordait, je tremblais. Cette femme n'était pas une intruse ordinaire.
C'est pourquoi je n'appelai pas à l'aide. Je savais qu'elle se cacherait à l'arrivée de la police, qui, de toutes façons, rechigne à intervenir contre les squatteurs. Mon intruse était malicieuse et redoutable : elle aurait poussé tout le monde à trouver une autre explication aux perturbations. L'installation électrique par exemple...
L'agent immobilier avait mentionné quelque chose à ce sujet. Ma mère aussi : elle désapprouvait tous ces appareils électroniques avec cette « installation vétuste »...
Alors je notai qu'en effet, l'intruse jouait beaucoup avec l'électricité : la télévision, les lumières, les appareils... Je surveillais mes provisions, mais elle ne s'y était jamais intéressée... Je compris qu'elle se nourrissait d'électricité et décidai donc de l'en priver en fermant le compteur.
Me retrouver dans la pénombre, sans Internet ni eau chaude, me donna du courage. Je montai et entrai dans ma chambre envahie.
Elle se dressait devant moi, pieds nus, les cheveux longs mal peignés et les yeux exorbités, un couteau à la main. Sa fureur, sa détermination et son arme ne me laissaient pas le choix. Je me jetai sur elle pour défendre ma vie et ma maison.
Après je ne me souviens plus... Je comprends, puisque je suis ici, interrogée, que j'ai gagné le combat...
Bien sûr on doit vérifier avant de me libérer... Il faut établir la légitime défense...
Est-ce qu'on a retrouvé mes lunettes ?
Mes pieds me font très mal... L'infirmière m'a dit que c'était le miroir qui les avaient coupés... Un miroir brisé, c'est un mauvais présage...
Vous vous rendez compte ? Elle avait piégé ma chambre avec de petits éclats de miroir. Pour m'éblouir et me blesser !
Pourtant, c'est elle qui était pieds nus.
Bon récit qui s’interroge sur les fines limites entre réalités et imagination !