Le cochon le regardait droit dans les yeux. C'est dingue ce que ça peut avoir un regard doux, un cochon...
Au bout d'un moment, il détourna la tête, vaguement gêné, et haussa les épaules.
... [+]
— Ça t'inspire quoi, toi ?
Jacques caressait sa barbe depuis un bon moment lorsqu'il s'était tourné vers Pierre pour poser cette question. Ce dernier grogna quelques mots inaudibles. Il tordit ensuite la tête afin de regarder la peinture sous un angle différent, espérant sans doute ainsi faire jaillir l'inspiration.
— Hum... Je sais pas. Des trucs pas très gais, en tout cas.
Par mimétisme inconscient, Jacques tordit lui aussi la tête pour tenter de capter les mêmes impressions. En vain.
— C'est drôle, moi, je serais plutôt sur un truc un peu... un peu mystérieux, tu vois ? Genre, un truc fantastique.
Pierre hocha la tête. Il ne voyait pas, non. Ça n'avait jamais été tellement son truc, le fantastique.
— Ah oui ? En même temps, tout ce noir, là, autour...
Du doigt, il désigna inutilement le fond sombre de la toile.
— Non, vraiment ça m'évoque la mort, à moi, plutôt.
Jacques opina mollement.
— Pas faux... Mais bon, les fleurs qui sortent du corps, tout ça... C'est plutôt fantastique comme ambiance, je trouve, et puis ce trou dans le dos !
Pierre se tourna si brusquement vers lui que quelques gouttes de son champagne tombèrent sur le sol.
— Ben justement !
Son doigt désignait le trou, maintenant.
— Un trou dans le dos - une balle, un couteau, un tournevis, que sais-je... -, comme pour un crime, tu vois ?! Un crime stylisé, c'est sûr, mais un crime quand même.
Il avait parlé fort, Pierre, convaincu à défaut d'être convaincant et Jacques, d'ailleurs, ne l'était pas, convaincu.
— Il est en forme de porte, le trou, pfff...! Et les fleurs, alors ? T'en fais quoi, des fleurs ? T'as déjà vu un un cadavre fleurir, toi ?!
Il ponctua sa phrase d'un rire sonore, laissant Pierre plongé dans un abîme de réflexion puis dans la lecture du petit fascicule distribué à l'entrée de la galerie, à la recherche d'indices. Un vernissage vraiment bien organisé, c'est ce qu'ils s'étaient dit en arrivant.
— Une histoire d'amour !
Tous deux sursautèrent et leurs coupes de champagne basculèrent de nouveau dangereusement. Paule se tenait derrière eux, tenant un petit four qu'elle engloutit avec gourmandise.
— Moi, je vois une histoire d'amour, là-dedans.
Dubitatifs, ils se tournèrent à nouveau vers le tableau et tentèrent vainement de changer de logiciel.
— Hum... Je sais pas trop...
— T'as toujours été une romantique, toi...
Elle sourit. Jacques la draguait depuis leur première rencontre, sans succès à ce jour.
— Parce que je suis une fille, c'est ça ?
Sans lui laisser le temps de jurer ses grands Dieux qu'à aucun moment on ne pouvait le soupçonner du moindre sexisme, elle enchaîna.
— Cette femme est nue et elle paraît si calme... Comme apaisée. Oui, moi j'y vois une histoire d'amour. Le type est parti - c'est le petit matin, peut-être, ou bien la nuit car il fait noir, encore ! - et elle pense à lui.
D'une main, elle suivit l'enchevêtrement des fleurs sur la toile.
— Les fleurs, là, sont comme une représentation des pensées merveilleuses qui la traversent.
Pierre siffla entre ses dents sans que l'on puisse déterminer le sens exact qu'il donnait à ce sifflement, tandis que Jacques la regardait, admiratif.
— Vous ne trouvez pas ?
Ils convinrent que ça se tenait mais, après réflexion et plus ample observation, Pierre émit tout de même une objection.
— Qui te dit que c'est une femme, d'abord ?
Les deux autres le regardèrent, interloqués, avant que Paule ne se penche en avant à presque toucher la peinture de son nez.
Au bout d'un moment, elle se redressa et secoua la tête.
— Ça me semble évident. Les bras et les jambes sont fines...
Pierre haussa un sourcil.
— Ben si c'est pas du sexisme, ça !
Il se tourna vers Jacques, le prenant à témoin, mais ce dernier préféra adopter une attitude neutre et empreinte de bienveillance, un truc qu'il avait appris depuis que son ex l'avait largué après l'avoir taxé de macho attardé. Loin de se formaliser, Pierre développa sa démonstration.
— Ça pourrait très bien être un homme, regardez ! Pas de seins apparents, pas de cheveux... Un homme pas très musclé, certes, et alors ?
Machinalement, il rajusta la casquette qui cachait la calvitie qu'il était le seul à encore qualifier de naissante.
Paule, troublée, regarda à nouveau la peinture.
— Admettons, admettons...
Elle but une large gorgée de champagne et reprit.
— Disons que c'est un homme, alors... Ou bien une femme. Après tout, on s'en fiche !
Elle termina sa coupe.
— J'y vois quand même une histoire d'amour, moi, dans ce tableau. Et puis c'est vrai ça, qui a dit que les histoires d'amour devaient être réservées aux femmes ?!
Jacques hocha la tête en signe d'approbation et, d'un trait, termina également sa coupe. Peut-être que c'était le bon soir...
Pierre, lui, trouvait que l'argument fleurait bon la mauvaise foi. Pourtant, il ne releva pas. À vrai dire, il n'était plus si sûr, était-ce une femme ou un homme ? De nos jours, on ne sait plus très bien... Il préféra laisser tomber et changer de sujet.
— C'est ça qui est intéressant dans l'art, non ? Noir, fantastique, romance... Chacun peut y trouver son compte.
Il avait toujours eu le sens du compromis, Pierre. Ils opinèrent en cœur.
— Humour, par contre, je ne vois pas trop...
Ils hochèrent la tête, pensifs, cherchant l'angle possible pour une histoire drôle.
— Non, là, effectivement...
Ils secouèrent la tête, cette fois. Ils étaient tous d'accord.
— Développement personnel, en revanche, je le sens pas mal...
Paule, qui faisait du yoga, s'anima alors.
— Ah mais oui ! Dingue que je n'y ai pas pensé !
Ils sourièrent niaisement, attrapèrent de nouvelles coupes qui passaient par là, et trinquèrent. Pensez ! Dix ans qu'ils étaient amis. Même s'ils s'engueulaient un peu, parfois, c'était quand même quelque chose, non ?
Jacques caressait sa barbe depuis un bon moment lorsqu'il s'était tourné vers Pierre pour poser cette question. Ce dernier grogna quelques mots inaudibles. Il tordit ensuite la tête afin de regarder la peinture sous un angle différent, espérant sans doute ainsi faire jaillir l'inspiration.
— Hum... Je sais pas. Des trucs pas très gais, en tout cas.
Par mimétisme inconscient, Jacques tordit lui aussi la tête pour tenter de capter les mêmes impressions. En vain.
— C'est drôle, moi, je serais plutôt sur un truc un peu... un peu mystérieux, tu vois ? Genre, un truc fantastique.
Pierre hocha la tête. Il ne voyait pas, non. Ça n'avait jamais été tellement son truc, le fantastique.
— Ah oui ? En même temps, tout ce noir, là, autour...
Du doigt, il désigna inutilement le fond sombre de la toile.
— Non, vraiment ça m'évoque la mort, à moi, plutôt.
Jacques opina mollement.
— Pas faux... Mais bon, les fleurs qui sortent du corps, tout ça... C'est plutôt fantastique comme ambiance, je trouve, et puis ce trou dans le dos !
Pierre se tourna si brusquement vers lui que quelques gouttes de son champagne tombèrent sur le sol.
— Ben justement !
Son doigt désignait le trou, maintenant.
— Un trou dans le dos - une balle, un couteau, un tournevis, que sais-je... -, comme pour un crime, tu vois ?! Un crime stylisé, c'est sûr, mais un crime quand même.
Il avait parlé fort, Pierre, convaincu à défaut d'être convaincant et Jacques, d'ailleurs, ne l'était pas, convaincu.
— Il est en forme de porte, le trou, pfff...! Et les fleurs, alors ? T'en fais quoi, des fleurs ? T'as déjà vu un un cadavre fleurir, toi ?!
Il ponctua sa phrase d'un rire sonore, laissant Pierre plongé dans un abîme de réflexion puis dans la lecture du petit fascicule distribué à l'entrée de la galerie, à la recherche d'indices. Un vernissage vraiment bien organisé, c'est ce qu'ils s'étaient dit en arrivant.
— Une histoire d'amour !
Tous deux sursautèrent et leurs coupes de champagne basculèrent de nouveau dangereusement. Paule se tenait derrière eux, tenant un petit four qu'elle engloutit avec gourmandise.
— Moi, je vois une histoire d'amour, là-dedans.
Dubitatifs, ils se tournèrent à nouveau vers le tableau et tentèrent vainement de changer de logiciel.
— Hum... Je sais pas trop...
— T'as toujours été une romantique, toi...
Elle sourit. Jacques la draguait depuis leur première rencontre, sans succès à ce jour.
— Parce que je suis une fille, c'est ça ?
Sans lui laisser le temps de jurer ses grands Dieux qu'à aucun moment on ne pouvait le soupçonner du moindre sexisme, elle enchaîna.
— Cette femme est nue et elle paraît si calme... Comme apaisée. Oui, moi j'y vois une histoire d'amour. Le type est parti - c'est le petit matin, peut-être, ou bien la nuit car il fait noir, encore ! - et elle pense à lui.
D'une main, elle suivit l'enchevêtrement des fleurs sur la toile.
— Les fleurs, là, sont comme une représentation des pensées merveilleuses qui la traversent.
Pierre siffla entre ses dents sans que l'on puisse déterminer le sens exact qu'il donnait à ce sifflement, tandis que Jacques la regardait, admiratif.
— Vous ne trouvez pas ?
Ils convinrent que ça se tenait mais, après réflexion et plus ample observation, Pierre émit tout de même une objection.
— Qui te dit que c'est une femme, d'abord ?
Les deux autres le regardèrent, interloqués, avant que Paule ne se penche en avant à presque toucher la peinture de son nez.
Au bout d'un moment, elle se redressa et secoua la tête.
— Ça me semble évident. Les bras et les jambes sont fines...
Pierre haussa un sourcil.
— Ben si c'est pas du sexisme, ça !
Il se tourna vers Jacques, le prenant à témoin, mais ce dernier préféra adopter une attitude neutre et empreinte de bienveillance, un truc qu'il avait appris depuis que son ex l'avait largué après l'avoir taxé de macho attardé. Loin de se formaliser, Pierre développa sa démonstration.
— Ça pourrait très bien être un homme, regardez ! Pas de seins apparents, pas de cheveux... Un homme pas très musclé, certes, et alors ?
Machinalement, il rajusta la casquette qui cachait la calvitie qu'il était le seul à encore qualifier de naissante.
Paule, troublée, regarda à nouveau la peinture.
— Admettons, admettons...
Elle but une large gorgée de champagne et reprit.
— Disons que c'est un homme, alors... Ou bien une femme. Après tout, on s'en fiche !
Elle termina sa coupe.
— J'y vois quand même une histoire d'amour, moi, dans ce tableau. Et puis c'est vrai ça, qui a dit que les histoires d'amour devaient être réservées aux femmes ?!
Jacques hocha la tête en signe d'approbation et, d'un trait, termina également sa coupe. Peut-être que c'était le bon soir...
Pierre, lui, trouvait que l'argument fleurait bon la mauvaise foi. Pourtant, il ne releva pas. À vrai dire, il n'était plus si sûr, était-ce une femme ou un homme ? De nos jours, on ne sait plus très bien... Il préféra laisser tomber et changer de sujet.
— C'est ça qui est intéressant dans l'art, non ? Noir, fantastique, romance... Chacun peut y trouver son compte.
Il avait toujours eu le sens du compromis, Pierre. Ils opinèrent en cœur.
— Humour, par contre, je ne vois pas trop...
Ils hochèrent la tête, pensifs, cherchant l'angle possible pour une histoire drôle.
— Non, là, effectivement...
Ils secouèrent la tête, cette fois. Ils étaient tous d'accord.
— Développement personnel, en revanche, je le sens pas mal...
Paule, qui faisait du yoga, s'anima alors.
— Ah mais oui ! Dingue que je n'y ai pas pensé !
Ils sourièrent niaisement, attrapèrent de nouvelles coupes qui passaient par là, et trinquèrent. Pensez ! Dix ans qu'ils étaient amis. Même s'ils s'engueulaient un peu, parfois, c'était quand même quelque chose, non ?
fait qu' il serait possible que ce soit un homme a fait surface et l'angle de vue a changé . Il fallait repenser avec l'idée que c'est un homme assis et puis au fur et à mesure que mes lectures avançaient , le noir du fond de la toile que j'ai vu comme étant l'incarnation du mal a changé de sens ; cela pourrait bien être en effet la nuit .
De supputations en réflexions, la toile est restée dans sa mystérieuse et lumineuse opacité .