La Mob bien astiquée et le réservoir plein
Je roulais vers le Sud au soleil du matin.
Je m'en allais enfin, tout droit
... [+]
Elle était là, presque nue, rêvant devant l'étendue grandiose. Venue tôt le matin, butant à chaque pas, sans penser à sa souffrance, elle s'était avancée vers une beauté qui lui ressemblait, vers le paysage de son enfance, vers l'éternité. Devant Elle, l'eau du lac miroitait et renvoyait son image qu'Elle observait d'un regard un peu trouble, tandis que le ciel d'un bleu de Prusse délavé tombait sur Elle et se reflétait sur sa peau. Jamais Elle n'avait été aussi belle! Assise en tailleur sur l'herbe mouillée, Elle ne m'entendit pas venir. Pendant que j'avançais mon regard ne la quittait pas. Quand je fus à quelques pas derrière Elle, je butais sur une racine de l'arbre qui la protégeait et j'entendis sa voix murmurant avec fluidité, sa voix chantante, détachant les syllabes:
"Te voilà! Viens près de moi!"
Bientôt, je me retrouvais assis près d'Elle dans cette herbe encore humide de la rosée du matin. Dans le lointain, de l'autre côté du lac, se dressaient les premiers contreforts de la montagne. A leur pied s'étendait la forêt de pins que nous avions si souvent visitée. A cette époque, svelte et légère, Elle marchait du pas compté des montagnards. Mais un jour, Elle avait quitté son enfance pour trouver une capitale qui l'a étouffée pendant trop d'années, ne lui donnant pas ces envolées sur les coteaux à l'entour.
Aujourd'hui, Elle rêvait! Elle rêvait de ce qu'aurait été sa vie si Elle avait suivi le pas de ses ancêtres. Elle rêvait d'escapades, d'escalades, de chamois, d'aigles, de voisins parlant comme Elle, des mêmes choses, des mêmes amours, des mêmes enfances. Son métier lui avait plu et son couple, sans enfant, étirait les jours et les nuits les uns après les autres, sans mélancolie, mais sans plaisir véritable et ils vivaient, ils s'aimaient, ils avaient des amis, deux familles qu'il voyaient rarement étant trop éloignés les uns des autres, comme tout un chacun dans ce siècle de routines, d'errements, de chemins battus.
Elle posa doucement sur mon épaule, comme pour ne pas me faire de mal, sa tête lourde qui, depuis quelque temps, s'apprêtait à éclater. Je ne bougeai pas de peur de la faire souffrir. Pour Elle, chaque mouvement lui tirait une grimace; chaque geste était un martyre!. Pourtant aucune parole, aucun son ne traduisait cette souffrance de tous les instants.
L'eau du lac restait étale; à peine de petites ridules marquaient sa surface. Parfois un poisson sautait hors de l'eau pour attraper les insectes imprudents qui rasaient de trop près la nappe humide. Cela faisait un "plof" à peine audible quand l'animal rejoignait son habitat. Des oiseaux, eux aussi, chassaient ces insectes qui envahissaient l'immensité du lac. Elle les contemplait de son regard qui allait bientôt s'éteindre à tout jamais. Et le soleil du matin, montant droit dans le ciel, auréolait son visage brisé par la souffrance.
Ce lierre, qui lui rongeait le dos depuis trop longtemps, étalait ses rameaux sans vergogne, montant jusqu'au cerveau en prenant son temps. La petite ouverture que le chirurgien lui avait faite du côté de la colonne vertébrale, ce tronc qui nous soutient toute une vie, n'avait pas permis d'endiguer l'envahissement. Des bourgeons éclataient en prenant la place de tout ce qui se trouvait là, avant eux. Ils étalaient leurs feuilles et se nourrissaient de la sève de son corps. Rien ne les arrêtait.
Elle aimait les fleurs et tout ce que la nature offre à qui veut la regarder. Elle aimait les arbres, les enserrait dans ses bras pour mieux faire corps avec eux. Ils partageaient leur force avec Elle, pensait-Elle, mais, pour la remercier, ils la rongeaient de l'intérieur. Le lierre l'envahissait et la souffrance endurée, les prières muettes, rien ne le faisait plier. Il continuait à vivre sa vie. La nature, parfois, nous fait douter des temps heureux. L'amour est un vain mot qui ne dure qu'un instant pour revenir l'instant d'après sans que l'on y prit garde. Mais, souvent, comme Elle, nous rêvons d'un amour qui ne prend pas de vacances même pour quelques minutes.
Je la sentais fatiguée. Sa tête s'alourdit sur mon épaule, ses bras glissèrent de ses genoux et ses mains touchèrent le sol. Son regard ne quitta pas la nappe liquide qui s'étalait devant Elle et sa voix s'éleva, toujours aussi calme.
"Je désirerais rester là,... à tout jamais!"
Puis Elle se tut, laissant place au silence qui lui ressemblait. Son regard devint plus trouble encore. Elle réussit à prendre ma main dans la sienne et sa voix tranquille reprit:
"Tu vois... comme un bon chien qui aime son maître... je t'ai attendu pour partir à tout jamais!"
Le silence reprit sa place un court instant puis doucement, sans heurt, Elle ajouta:
"Je t'aime de toute ma vie!"
Mes yeux s'embuèrent; ma main serra la sienne; son regard s'éteignit; je sentis sa tête peser plus lourd sur mon épaule, s'imprimant dans ma chair et ce poids ne me quitta jamais.
En l'étendant sur l'herbe grasse , face à ce lac qu'elle aimait tant, je lui baisai les paupières.
Sur sa tombe, un lierre sauvage a poussé puis il a fleuri. Comme pour s'excuser du mal qu'il lui avait infligé.
,
"Te voilà! Viens près de moi!"
Bientôt, je me retrouvais assis près d'Elle dans cette herbe encore humide de la rosée du matin. Dans le lointain, de l'autre côté du lac, se dressaient les premiers contreforts de la montagne. A leur pied s'étendait la forêt de pins que nous avions si souvent visitée. A cette époque, svelte et légère, Elle marchait du pas compté des montagnards. Mais un jour, Elle avait quitté son enfance pour trouver une capitale qui l'a étouffée pendant trop d'années, ne lui donnant pas ces envolées sur les coteaux à l'entour.
Aujourd'hui, Elle rêvait! Elle rêvait de ce qu'aurait été sa vie si Elle avait suivi le pas de ses ancêtres. Elle rêvait d'escapades, d'escalades, de chamois, d'aigles, de voisins parlant comme Elle, des mêmes choses, des mêmes amours, des mêmes enfances. Son métier lui avait plu et son couple, sans enfant, étirait les jours et les nuits les uns après les autres, sans mélancolie, mais sans plaisir véritable et ils vivaient, ils s'aimaient, ils avaient des amis, deux familles qu'il voyaient rarement étant trop éloignés les uns des autres, comme tout un chacun dans ce siècle de routines, d'errements, de chemins battus.
Elle posa doucement sur mon épaule, comme pour ne pas me faire de mal, sa tête lourde qui, depuis quelque temps, s'apprêtait à éclater. Je ne bougeai pas de peur de la faire souffrir. Pour Elle, chaque mouvement lui tirait une grimace; chaque geste était un martyre!. Pourtant aucune parole, aucun son ne traduisait cette souffrance de tous les instants.
L'eau du lac restait étale; à peine de petites ridules marquaient sa surface. Parfois un poisson sautait hors de l'eau pour attraper les insectes imprudents qui rasaient de trop près la nappe humide. Cela faisait un "plof" à peine audible quand l'animal rejoignait son habitat. Des oiseaux, eux aussi, chassaient ces insectes qui envahissaient l'immensité du lac. Elle les contemplait de son regard qui allait bientôt s'éteindre à tout jamais. Et le soleil du matin, montant droit dans le ciel, auréolait son visage brisé par la souffrance.
Ce lierre, qui lui rongeait le dos depuis trop longtemps, étalait ses rameaux sans vergogne, montant jusqu'au cerveau en prenant son temps. La petite ouverture que le chirurgien lui avait faite du côté de la colonne vertébrale, ce tronc qui nous soutient toute une vie, n'avait pas permis d'endiguer l'envahissement. Des bourgeons éclataient en prenant la place de tout ce qui se trouvait là, avant eux. Ils étalaient leurs feuilles et se nourrissaient de la sève de son corps. Rien ne les arrêtait.
Elle aimait les fleurs et tout ce que la nature offre à qui veut la regarder. Elle aimait les arbres, les enserrait dans ses bras pour mieux faire corps avec eux. Ils partageaient leur force avec Elle, pensait-Elle, mais, pour la remercier, ils la rongeaient de l'intérieur. Le lierre l'envahissait et la souffrance endurée, les prières muettes, rien ne le faisait plier. Il continuait à vivre sa vie. La nature, parfois, nous fait douter des temps heureux. L'amour est un vain mot qui ne dure qu'un instant pour revenir l'instant d'après sans que l'on y prit garde. Mais, souvent, comme Elle, nous rêvons d'un amour qui ne prend pas de vacances même pour quelques minutes.
Je la sentais fatiguée. Sa tête s'alourdit sur mon épaule, ses bras glissèrent de ses genoux et ses mains touchèrent le sol. Son regard ne quitta pas la nappe liquide qui s'étalait devant Elle et sa voix s'éleva, toujours aussi calme.
"Je désirerais rester là,... à tout jamais!"
Puis Elle se tut, laissant place au silence qui lui ressemblait. Son regard devint plus trouble encore. Elle réussit à prendre ma main dans la sienne et sa voix tranquille reprit:
"Tu vois... comme un bon chien qui aime son maître... je t'ai attendu pour partir à tout jamais!"
Le silence reprit sa place un court instant puis doucement, sans heurt, Elle ajouta:
"Je t'aime de toute ma vie!"
Mes yeux s'embuèrent; ma main serra la sienne; son regard s'éteignit; je sentis sa tête peser plus lourd sur mon épaule, s'imprimant dans ma chair et ce poids ne me quitta jamais.
En l'étendant sur l'herbe grasse , face à ce lac qu'elle aimait tant, je lui baisai les paupières.
Sur sa tombe, un lierre sauvage a poussé puis il a fleuri. Comme pour s'excuser du mal qu'il lui avait infligé.
,
1COEUR