En Languedoc, la nuit, il vaut mieux conduire doucement, car les sangliers ont colonisé l'obscurité et se permettent de couper les routes qu'empruntent les voitures pressées de rentrer, après une ... [+]
Aujourd'hui, je ne suis plus rien, mon avenir m'aveugle, mon passé m'oppresse et les deux ne me laissent aucun espace, sinon que celui de rêver à un monde parallèle, avec ma petite coccinelle.
Dans ma cellule, il m'est impossible d'en accueillir une, alors chaque jour, quand les autres détenus rejoignent la cour, je reste seul et je m'invente une bête à bon Dieu, que j'invite sur mon lit. Elle est là, invisible et pourtant si présente, symbole de cette liberté fantasmée, de cet envol qui ne viendra sans doute jamais. La petite bête m'est devenue familière. Maintenant elle vient me rendre visite chaque jour, et ensemble nous créons des moments de félicité, nous fouillons mon passé pour y installer des moments de tranquillité, dans un pré ou sur une rose fraîche.
Chez la coccinelle, la fragilité est une force. Comment écraser un être si frêle qui ne demande que si peu d'air, si peu d'espace ? Si j'avais su être comme elle, ma vie aurait été tranquille, mon esprit si léger qu'une coccinelle aurait pu le porter sur son dos.
Je la fais avancer sur ma manche, et avec elle je crée un chemin qui n'est que mien, celui que ma vie aurait dû prendre si des vraies coccinelles l'avaient conduite. Nous volons ensemble au-dessus d'une petite flaque d'eau claire, et hop, d'un coup d'aile nous échappons à une punaise assassine. Nous longeons ensemble un petit chemin de terre sous le soleil des moissons, profitant de quelques chaumes épars pour manger quelques pucerons imprudents, nous glissons sur une herbe folle pour atterrir doucement sur une mousse chaude, par une belle soirée d'été.
Avec elle, tous les jours, nous allons voir Maman, nous nous installons ensemble sur une pierre taillée, juste devant la porte d'entrée, et nous attendons pendant des heures qu'elle sorte étendre son linge. Finalement, Maman passe le seuil, jette un regarde au loin vers la barrière, espérant sans doute mon retour, et se dirige d'un pas lent vers le fil. Alors avec la coccinelle, nous nous approchons et nous sautons sur un torchon à damier, rouge et noir et nous jouons à cache-cache, jusqu'à que la sirène de la prison nous oblige à rentrer dans la réalité.
Parfois, je l'autorise à grimper sur les murs sales de la cellule, et j'en ai presque honte. Quelle indécence, ce petit être si joli sur des murs jamais repeints, qui sentent la peur et la sueur des hommes reclus ici depuis des années. S'ils savaient que j'utilise le temps de sortie pour mes rêveries, c'est sûr, mes compagnons de prison se moqueraient de moi, et je devrais encore sortir les poings pour me faire respecter. Alors le lendemain, je devrais me justifier auprès d'elle, lui expliquer que je ne voulais pas frapper, que j'avais promis, que je voudrais rester aussi faible et innocent qu'elle, pour mériter sa compagnie dans ma rêverie.
D'autres jours, nous allons aussi voir Eulalie, ma chère Eulalie, au temps où les jours pouvaient encore se compter sans déprimer. Eulalie aimait les coccinelles, c'est d'ailleurs elle qui m'avait appris à les apprivoiser, à les regarder pendant des heures, au lieu de mettre fin à leur courte vie de ma botte épaisse. Eulalie avait le sens de la formule, elle disait : « Ton ombre de lourdaud ne pèse pas plus que celle de la coccinelle, tu n'as pas de droit sur elle, ni sur moi, ni sur personne d'ailleurs ». Mais je ne comprenais pas bien ce qu'elle voulait dire. Eulalie était tellement jolie, si frêle, je l'aimais à croquer. Quand sa robe rouge à pois noirs volait dans le vent, mon esprit s'affolait. Mais ma raison noircissait quand je la voyais approcher les autres garçons et mes poings devenaient plus fous que mon amour.
Aujourd'hui, je la sens avancer doucement sur mon bras musclé, si petite, si douce, si fragile. Viens, viens, ma petite coccinelle, je te promets, cette fois, je ne t'écraserai pas.
Dans ma cellule, il m'est impossible d'en accueillir une, alors chaque jour, quand les autres détenus rejoignent la cour, je reste seul et je m'invente une bête à bon Dieu, que j'invite sur mon lit. Elle est là, invisible et pourtant si présente, symbole de cette liberté fantasmée, de cet envol qui ne viendra sans doute jamais. La petite bête m'est devenue familière. Maintenant elle vient me rendre visite chaque jour, et ensemble nous créons des moments de félicité, nous fouillons mon passé pour y installer des moments de tranquillité, dans un pré ou sur une rose fraîche.
Chez la coccinelle, la fragilité est une force. Comment écraser un être si frêle qui ne demande que si peu d'air, si peu d'espace ? Si j'avais su être comme elle, ma vie aurait été tranquille, mon esprit si léger qu'une coccinelle aurait pu le porter sur son dos.
Je la fais avancer sur ma manche, et avec elle je crée un chemin qui n'est que mien, celui que ma vie aurait dû prendre si des vraies coccinelles l'avaient conduite. Nous volons ensemble au-dessus d'une petite flaque d'eau claire, et hop, d'un coup d'aile nous échappons à une punaise assassine. Nous longeons ensemble un petit chemin de terre sous le soleil des moissons, profitant de quelques chaumes épars pour manger quelques pucerons imprudents, nous glissons sur une herbe folle pour atterrir doucement sur une mousse chaude, par une belle soirée d'été.
Avec elle, tous les jours, nous allons voir Maman, nous nous installons ensemble sur une pierre taillée, juste devant la porte d'entrée, et nous attendons pendant des heures qu'elle sorte étendre son linge. Finalement, Maman passe le seuil, jette un regarde au loin vers la barrière, espérant sans doute mon retour, et se dirige d'un pas lent vers le fil. Alors avec la coccinelle, nous nous approchons et nous sautons sur un torchon à damier, rouge et noir et nous jouons à cache-cache, jusqu'à que la sirène de la prison nous oblige à rentrer dans la réalité.
Parfois, je l'autorise à grimper sur les murs sales de la cellule, et j'en ai presque honte. Quelle indécence, ce petit être si joli sur des murs jamais repeints, qui sentent la peur et la sueur des hommes reclus ici depuis des années. S'ils savaient que j'utilise le temps de sortie pour mes rêveries, c'est sûr, mes compagnons de prison se moqueraient de moi, et je devrais encore sortir les poings pour me faire respecter. Alors le lendemain, je devrais me justifier auprès d'elle, lui expliquer que je ne voulais pas frapper, que j'avais promis, que je voudrais rester aussi faible et innocent qu'elle, pour mériter sa compagnie dans ma rêverie.
D'autres jours, nous allons aussi voir Eulalie, ma chère Eulalie, au temps où les jours pouvaient encore se compter sans déprimer. Eulalie aimait les coccinelles, c'est d'ailleurs elle qui m'avait appris à les apprivoiser, à les regarder pendant des heures, au lieu de mettre fin à leur courte vie de ma botte épaisse. Eulalie avait le sens de la formule, elle disait : « Ton ombre de lourdaud ne pèse pas plus que celle de la coccinelle, tu n'as pas de droit sur elle, ni sur moi, ni sur personne d'ailleurs ». Mais je ne comprenais pas bien ce qu'elle voulait dire. Eulalie était tellement jolie, si frêle, je l'aimais à croquer. Quand sa robe rouge à pois noirs volait dans le vent, mon esprit s'affolait. Mais ma raison noircissait quand je la voyais approcher les autres garçons et mes poings devenaient plus fous que mon amour.
Aujourd'hui, je la sens avancer doucement sur mon bras musclé, si petite, si douce, si fragile. Viens, viens, ma petite coccinelle, je te promets, cette fois, je ne t'écraserai pas.