Le cours d'anatomie paraît interminable ce matin. Nos lacunes contrecarrent les plans du professeur qui perd patience face à notre mutisme et nos airs de plus en plus léthargiques :
— Vous ne
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César
Je n'ai jamais aimé la compagnie des miens. Ils sont fourbes et égoïstes, seulement bons à me décevoir. C'est pourquoi j'ai opté pour un animal de compagnie. Pour lui, je suis le centre du monde. Jamais il ne me trahira ni ne m'abandonnera.
Il suffit qu'il ne me trouve pas en rentrant pour s'affoler. Il m'appelle dans tous les sens et me cherche dans chaque pièce. Je ne me dévoile jamais pour le laisser exercer son flair. Quand il finit par me trouver, il est l'animal le plus heureux du monde. Adorable !
Pour récompenser sa loyauté, je lui rapporte les souris que j'égorge.
Je ne lui fais la tête que lorsqu'il ramène des femelles à la maison. Elles laissent trainer leur odeur nauséabonde partout : sur mon canapé, mon oreiller et mon coin de la cuisine. Insupportable.
Néanmoins, mis à part ses périodes de chaleurs, il est le compagnon idéal. Un peu bavard certains soirs, mais toujours affectueux, généreux et fidèle. Il devance tous mes désirs : mon assiette est toujours pleine et il me suffit de frétiller les moustaches, dégoûté, pour que le menu soit changé. J'exige une alimentation solide pour exercer ma dentition carnassière. Jambon blanc, gigot, paupiette, rôti. Et comme il me faut soigner ma silhouette féline, je tolère quelques légumes.
Je suis un maître fort gâté : des baisers, des caresses en veux-tu en voilà. Il n'a pas son pareil pour me faire ronronner. Il a certes beaucoup de chance de m'avoir, mais j'avoue que c'est réciproque.
- Ah César, que serais-je sans toi ?
Depuis quelques semaines pourtant, mon compagnon à deux pattes n'est plus le même. Il ne sort plus, ne se lave plus et peine à se lever. Il néglige nos litières et nos repas. Il n'a rien avalé de solide depuis des jours. Je le tire du lit en miaulant et proteste contre son hygiène douteuse en crachant. Je boude ses caresses affolées.
Cependant, je le sens si triste que, malgré son odeur écœurante, je me blottis contre lui.
- César, pourquoi ne sais-tu pas parler ?
Sa voix tremble, son corps brûle. Je me frotte contre son visage, mais il ne réagit pas. À cet instant, je donnerais mes six vies restantes pour parler son langage ou pour qu'une de ces femelles à fausse fourrure vienne le sortir du lit.
Je ressens un besoin impérieux de faire ma toilette. Si j'avais la grosse voix du chien d'à côté, je pourrais appeler à l'aide mais mes miaulements se perdent dans l'appartement. Je frotte encore derrière l'oreille et soudain... je sais... Faire du bruit n'est pas dans mes cordes, mais semer le chaos, si...
Je saute sur le réservoir à eau. Je pousse la manette vers la droite : l'eau froide jaillit et m'éclabousse. Malgré ma répugnance, je me mouille et pousse l'autre manette vers le bas. Puis, à l'abri derrière les assiettes sales, je regarde ma maison se noyer.