« Je suis sous le ciel. Il y a une pluie d’étoiles filantes. C’est absolument magnifique. »
À quelques milliers de kilomètres
... [+]
« Et ce fil, là ? Le fil qui longe l’escalier depuis l’extérieur ?
- C’est la télé, vous allez voir !
- Ah ?
- Ne bougez pas, j’allume le va-et-vient… Qui ne revient plus. »
L’agent immobilier hilare nous précède dans un méandre qui semble donner accès au logement que nous sommes venues visiter, ma fille et moi. Elle va étudier loin de la maison. Nécessité fait loi… Agence immobilière pour trouver l’appartement de nos rêves.
Lumière. Mur tagué, douteux, sale. Nous suivons le guide. Dans la montée d’escalier d’énormes manchons en aluminium et des forêts de fils électriques gras et poussiéreux. Linky n’est pas encore passé par là. Mais qui, du reste, peut bien passer par là ?
« Le toit terrasse ! ». D’un geste théâtral, notre guide ouvre les bras et nous invite à franchir un seuil. En effet. C’est un toit. Et ça doit aussi être une terrasse, à en juger par le nombre de bouteilles vides entassées. C’est aussi probablement un local poubelle, un atelier de réparation de vélos, un lieu d’hébergement pour amours éphémères. Des petits morceaux de chewing-gums collés tout autour du chambranle forment une mosaïque du plus bel effet. La déco. Un petit côté trendy…
Nous reprenons la montée. Encore deux étages.
J’observe ma future étudiante du coin de l’œil. A cet instant je mesure à quel point mon expérience peut ternir l’optimisme débridé de sa jeunesse. Ce sera son premier appart. Pour elle, tout est possible. La liberté, l’autonomie. La Vie quoi…
Le bruit qu’on entend ? Le resto.
« Vous savez, vous êtes passées devant. C’est une rue tellement vivante le soir. Les jeunes adorent. »
Même dans la journée je note que ça a l’air vivant. Une seule solution. Je ne suis plus jeune pour trouver ça « trop bien », comme le souligne ma progéniture. A ce moment, précisément, j’ai 100 ans.
Trois étages. Escalier approximatif. Moquette un jour, moquette toujours ! Couleur spectrale. Et toujours le concept déco chewing-tag. Le relief des petits bouts de gomme balise le chemin quand le va-et-vient… ne revient pas.
Une porte. Curieux comme entrée. Placard, un peu.
« Vous allez voir, c’est assez pittoresque ! »
L’adjectif qui me vient précisément est « exotique ».
Exotique : adjectif : 1) qui, dans la perception occidentale, est perçu comme étrange et lointain et stimule l’imagination. Exemple : des moeurs exotiques ; 2) qui provient de pays lointain notamment tropicaux.
Et bien, c’est ça ! E-xac-te-ment.
La porte cède pour nous permettre de pénétrer dans un monde insoupçonné sous une chaleur étouffante.
« C’est chouette, hein ? »
J’hésite. Comment ne pas casser les rêves de la jeunesse ? L’enthousiasme du premier jour…
Je me tais et j’explore, puisque c’est… Etrange et lointain, et que, pour sûr, ça stimule l’imagination.
« Il est lumineux, n’est-ce pas ? »
En effet, le néon au-dessus de l’évier inox, très, très fatigué donne un bon éclairage de l’ensemble. Les plaques de cuisson sont en bon état. Inusables ! (c’est vrai, j’avais les mêmes il y a trente ans, elles ont tenu, les bougresses !). Le frigo est solide lui aussi : « oh, un coup de peinture anti rouille… c’est rien, ça ! »
Le reste du jour est apporté par deux velux.
« Dans Velux, il y a luxe ! » déclare Monsieur Immo.
Mon étudiante future s’approche d’un des deux puits de lumière.
« Y’a pas trop de joints aux fenêtres, si ? »
-Oh vous savez, on est sous les toits, le chauffage est compris, vous mettrez à fond, c’est plié ! Sympas, hein les poutres apparentes ? »
Apparentes est le mot juste. Vraiment, on ne peut pas les rater. Elles sont rouges. Rouge sang de bœuf. Le lino est beige, jaune pisseux par endroits.
A propos, où sont les toilettes ? La salle de bain ?
« Ah oui ! Vous êtes passées devant ! »
Je sais bien que j’ai 100 ans depuis le début de la visite mais là, franchement, je sèche…
Nous avons franchi une porte, et une seule. Et dans la pièce il n’y a que l’évier « vintage »…
« Venez voir ! »
Monsieur Immo retourne sur le palier à l’extérieur.
« Tadam ! Voilà ! »
Le même geste théâtral que pour le toit terrasse. Cet homme est d’une jovialité que rien n’entame.
Tadam… Les toilettes sont bien là. La cuvette est bien noire, bien épaisse et encore remplie.
« C’est du solide ! » dit l’homme en tirant sur la bobinette de la chasse d’eau qui cherra bientôt sans aucun doute.
« Il y a aussi la douche ! »
A ce stade, « aussi » a un sens délicieux qui explique la couleur du lino de l’autre côté du mur. En effet, il y a aussi ce qui a dû faire office de douche un jour.
« ça marche avec l’eau chaude du resto en bas. »
Devant mes sourcils interrogatifs, il poursuit : « oui, comme ça on gagne de la place dans l’appartement ! Pas de ballon d’eau chaude… »
C’est un point de vue.
« On retourne dans "ta" pièce principale ? »
Le tutoiement appuyé qui vient de s’inviter dans la conversation fait que d’un coup je m’en trouve exclue. Je reste en retrait et laisse un peu mariner ma fille. Elle ouvre le placard sous- évier de la « quitte-chaînette » comme le prononce Monsieur Immo.
La kitchenette renferme une petite famille de rongeurs. Gaston Lagaffe a vécu ici. Maintenant j’en suis sûre.
Le sourire de mon étudiante pâlit. Je perçois bien que son Graal s’éloigne un peu…
« Sous les toits, ça avait l’air bien » me dira-t-elle en sortant, une fois que Monsieur Immo a pris congé en nous rappelant l’urgence de notre décision, car… à ce prix-là ! Et là, vraiment, nous avons pu le laisser s’exprimer de bon coeur, ce fou-rire contenu pendant toute la visite !
« Le fil de la télé, la douche au caca, les souris, les plaques pourries, le lino qui prend l’eau ! Mais, c’est le Titanic cet appart !
- Et non, ma chérie, c’est la vie ! Allez, à l’abordage ! »
- C’est la télé, vous allez voir !
- Ah ?
- Ne bougez pas, j’allume le va-et-vient… Qui ne revient plus. »
L’agent immobilier hilare nous précède dans un méandre qui semble donner accès au logement que nous sommes venues visiter, ma fille et moi. Elle va étudier loin de la maison. Nécessité fait loi… Agence immobilière pour trouver l’appartement de nos rêves.
Lumière. Mur tagué, douteux, sale. Nous suivons le guide. Dans la montée d’escalier d’énormes manchons en aluminium et des forêts de fils électriques gras et poussiéreux. Linky n’est pas encore passé par là. Mais qui, du reste, peut bien passer par là ?
« Le toit terrasse ! ». D’un geste théâtral, notre guide ouvre les bras et nous invite à franchir un seuil. En effet. C’est un toit. Et ça doit aussi être une terrasse, à en juger par le nombre de bouteilles vides entassées. C’est aussi probablement un local poubelle, un atelier de réparation de vélos, un lieu d’hébergement pour amours éphémères. Des petits morceaux de chewing-gums collés tout autour du chambranle forment une mosaïque du plus bel effet. La déco. Un petit côté trendy…
Nous reprenons la montée. Encore deux étages.
J’observe ma future étudiante du coin de l’œil. A cet instant je mesure à quel point mon expérience peut ternir l’optimisme débridé de sa jeunesse. Ce sera son premier appart. Pour elle, tout est possible. La liberté, l’autonomie. La Vie quoi…
Le bruit qu’on entend ? Le resto.
« Vous savez, vous êtes passées devant. C’est une rue tellement vivante le soir. Les jeunes adorent. »
Même dans la journée je note que ça a l’air vivant. Une seule solution. Je ne suis plus jeune pour trouver ça « trop bien », comme le souligne ma progéniture. A ce moment, précisément, j’ai 100 ans.
Trois étages. Escalier approximatif. Moquette un jour, moquette toujours ! Couleur spectrale. Et toujours le concept déco chewing-tag. Le relief des petits bouts de gomme balise le chemin quand le va-et-vient… ne revient pas.
Une porte. Curieux comme entrée. Placard, un peu.
« Vous allez voir, c’est assez pittoresque ! »
L’adjectif qui me vient précisément est « exotique ».
Exotique : adjectif : 1) qui, dans la perception occidentale, est perçu comme étrange et lointain et stimule l’imagination. Exemple : des moeurs exotiques ; 2) qui provient de pays lointain notamment tropicaux.
Et bien, c’est ça ! E-xac-te-ment.
La porte cède pour nous permettre de pénétrer dans un monde insoupçonné sous une chaleur étouffante.
« C’est chouette, hein ? »
J’hésite. Comment ne pas casser les rêves de la jeunesse ? L’enthousiasme du premier jour…
Je me tais et j’explore, puisque c’est… Etrange et lointain, et que, pour sûr, ça stimule l’imagination.
« Il est lumineux, n’est-ce pas ? »
En effet, le néon au-dessus de l’évier inox, très, très fatigué donne un bon éclairage de l’ensemble. Les plaques de cuisson sont en bon état. Inusables ! (c’est vrai, j’avais les mêmes il y a trente ans, elles ont tenu, les bougresses !). Le frigo est solide lui aussi : « oh, un coup de peinture anti rouille… c’est rien, ça ! »
Le reste du jour est apporté par deux velux.
« Dans Velux, il y a luxe ! » déclare Monsieur Immo.
Mon étudiante future s’approche d’un des deux puits de lumière.
« Y’a pas trop de joints aux fenêtres, si ? »
-Oh vous savez, on est sous les toits, le chauffage est compris, vous mettrez à fond, c’est plié ! Sympas, hein les poutres apparentes ? »
Apparentes est le mot juste. Vraiment, on ne peut pas les rater. Elles sont rouges. Rouge sang de bœuf. Le lino est beige, jaune pisseux par endroits.
A propos, où sont les toilettes ? La salle de bain ?
« Ah oui ! Vous êtes passées devant ! »
Je sais bien que j’ai 100 ans depuis le début de la visite mais là, franchement, je sèche…
Nous avons franchi une porte, et une seule. Et dans la pièce il n’y a que l’évier « vintage »…
« Venez voir ! »
Monsieur Immo retourne sur le palier à l’extérieur.
« Tadam ! Voilà ! »
Le même geste théâtral que pour le toit terrasse. Cet homme est d’une jovialité que rien n’entame.
Tadam… Les toilettes sont bien là. La cuvette est bien noire, bien épaisse et encore remplie.
« C’est du solide ! » dit l’homme en tirant sur la bobinette de la chasse d’eau qui cherra bientôt sans aucun doute.
« Il y a aussi la douche ! »
A ce stade, « aussi » a un sens délicieux qui explique la couleur du lino de l’autre côté du mur. En effet, il y a aussi ce qui a dû faire office de douche un jour.
« ça marche avec l’eau chaude du resto en bas. »
Devant mes sourcils interrogatifs, il poursuit : « oui, comme ça on gagne de la place dans l’appartement ! Pas de ballon d’eau chaude… »
C’est un point de vue.
« On retourne dans "ta" pièce principale ? »
Le tutoiement appuyé qui vient de s’inviter dans la conversation fait que d’un coup je m’en trouve exclue. Je reste en retrait et laisse un peu mariner ma fille. Elle ouvre le placard sous- évier de la « quitte-chaînette » comme le prononce Monsieur Immo.
La kitchenette renferme une petite famille de rongeurs. Gaston Lagaffe a vécu ici. Maintenant j’en suis sûre.
Le sourire de mon étudiante pâlit. Je perçois bien que son Graal s’éloigne un peu…
« Sous les toits, ça avait l’air bien » me dira-t-elle en sortant, une fois que Monsieur Immo a pris congé en nous rappelant l’urgence de notre décision, car… à ce prix-là ! Et là, vraiment, nous avons pu le laisser s’exprimer de bon coeur, ce fou-rire contenu pendant toute la visite !
« Le fil de la télé, la douche au caca, les souris, les plaques pourries, le lino qui prend l’eau ! Mais, c’est le Titanic cet appart !
- Et non, ma chérie, c’est la vie ! Allez, à l’abordage ! »