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Qui est là ?
C’est en automne qu’il acheta la maison.
Elle correspondait exactement à l’idée qu’il se faisait d’un refuge confortable pour ses vieux jours.
A la veille de ses soixante-sept ans, John Williams il avait décidé qu’il était temps de quitter l’appartement qu’il avait occupé tout près de l’Université où il avait été professeur pendant trente-quatre ans. Le temps était venu de prendre le large pour entamer une vraie retraite (la pente douce vers la mort, disait-il). Après avoir visité plusieurs maisons, celle-ci l’avait attiré d’emblée et il avait décidé que ce serait la sienne, celle qu’il ne quitterait plus jusqu’à la fin de ses jours. Là qu’il lirait tous les ouvrages qu’il avait mis de côté et qu’il n’avait pas eu le temps de lire encore, là qu’il prendrait le temps de déguster une tasse de thé en regardant le feu de cheminée, là qu’il pourrait laisser aller ses pensées sans crainte d’oublier l’heure, là qu’il savourerait sa solitude en écoutant Brahms ou Bach. Il avait toujours aspiré à ce paisible anonymat, cette solitude sans astreintes professionnelles ou mondaines qui permet à un homme – pardon, un vieil homme, de se retrouver.
Si la maison lui plaisait, il y avait néanmoins une petite chose qui le dérangeait : le silence inquiétant qui régnait à l’intérieur dès la nuit tombée. Chose toute naturelle lorsque les bruits de circulation et d’activité de la ville s’estompent ; sauf que là il lui semblait que la maison toute entière se refermait sur elle-même. Même le bruit de fond du téléviseur laissé constamment allumé et toutes les pièces éclairées par les lampes disséminées dans tous les coins n’ôtaient pas cette pénible sensation qu’une chappe était venue se poser sur le toit et que les murs de la maison étaient soudain devenus plus épais. Plus aucun bruit à l’extérieur ne parvenait et derrière les rideaux les quelques lampadaires de la rue lui donnaient un air encore plus sinistre.
Ce fut le troisième soir après son emménagement que les choses commencèrent.
Un soir où il somnolait devant le téléviseur, il fut réveillé par des coups frappés légèrement à la porte. Il était tard et il n’attendait personne. Il prêta l’oreille un long moment en réduisant le son du poste. Les coups recommencèrent presque imperceptiblement. Il se leva pour aller dans l’entrée.
- Oui, un instant...
Il se rapprocha de la porte pour aller ouvrir mais au dernier instant il se ravisa. Etais-ce prudent d’ouvrir alors qu’il était plus de vingt-trois heures ?
- Qui est là, je vous prie ? demanda-t-il.
Personne ne répondit.
- Qui est là ? Répondez, s’il vous Plait !
Rien ne répondit. Décidément, c’était assez louche.
- Autant vous avertir, je n’ouvrirai pas si vous ne me dîtes pas qui vous êtes.
Toujours rien.
- Mais répondez, bon sang. Pourquoi ne dîtes-vous rien ? Ça vous amuse ?
Il ne connaissait encore personne dans cette ville et il n’avait adressé la parole qu’à trois ou quatre interlocuteurs, le pharmacien, la libraire, le guichetier de la banque et la caissière. Hormis ces contacts personne n’aurait pu soupçonner qu’il était nouveau. Ses voisins étaient des gens tranquilles d’après ce qu’il avait pu voir, pas le genre à sortir après la nuit. Le quartier étant excentré, peu de chance de voir traîner des jeunes par ici.
- Qui êtes-vous à la fin ?
Il finissait par en avoir assez de ce silence. Qui que ce soit derrière cette porte le faisait exprès, c’était évident, pour lui faire peur. Mais il n’allait pas se laisser faire comme ça.
Il pensa à l’un de ses anciens étudiants qui cherchait peut-être à lui faire une farce. Mais il ne voyait pas qui aurait pu faire spécialement le trajet pour faire ce type de plaisanterie.
Brusquement il repensa à l’affreuse nouvelle qu’il avait entendu. Il avait appris la veille, par hasard, qu’un crime avait été commis non loin de chez lui.
L’angoisse à présent le saisissait. Il n’osait faire un seul mouvement.
Il éteignit la lumière, attendit.
Il resta debout dans l’obscurité, immobile et faisant attention de ne faire aucun bruit. Toujours rien ne se manifestait derrière la porte. Il trouva le temps long, portant son regard machinalement sur le cadran de l’horloge qu’éclairait un rayon de lune entrant dans le salon.
Trois petits coups à nouveau...
Il resta debout, le cœur battant, l’angoisse glaçant son corps.
Il s’approcha sans bruit de la porte, inspira profondément.
- Qui est là ? dit-il, guettant les bruits de l’invisible inconnu.
- C’est moi...
Il sentit sa peur redoubler. Cette voix, ce n’était pas une voix normale, ce n’était ni une voix jeune ni une voix âgée. Elle n’avait aucun âge. Et surtout, elle paraissait à peine humaine.
Il lui fallut faire un immense effort sur lui-même pour poursuivre :
- Qui ça, moi ?
- Nous... sommes... voisins...
- Voisins ?
Il ne bougea pas.
Et si c’était ce salaud qui en avait après une autre victime. Si c’était lui qui revenait dans le quartier parce qu’il avait repéré qu’il vivait seul.
- J’ai pas mal à faire, et je suis en famille ici... Repassez demain matin.
- Non... maintenant...
- Allez-vous en ! Vous avez compris ! Allez-vous en... Partez !
Il était presque la même heure le lendemain soir lorsqu’il entendit à nouveau des coups frappés à la porte. Les mêmes coups légers que la veille, frappés par une main timide aurait-on dit.
- Qui est là ? demanda-t-il tout contre la porte.
- C’est moi... ouvrir la porte...
- Mais qui êtes-vous ?
- Moi... Walter...
Il frissonna en entendant cette voix qui geignait.
- C’est une mauvaise blague ? articula-t-il.
Le silence à nouveau.
Il ne savait combien de minutes cela avait duré. La voix avait murmuré :
- Il fait... très froid... dehors.
- Vous allez me laissiez tranquille ! Déguerpissez, sinon j’appelle la police.
Au bout d’un long moment, il pressentit que la présence était partie.
Prenant son courage à deux mains il ouvrit sa porte. Personne. Il eut soudain envie de rire. C’était clair, quelqu’un lui avait joué un tour. Il s’attarda dehors quelques secondes malgré le froid pour admirer la lune. Un brouillard se levait. Toute la rue était silencieuse et déserte. Plus une seule fenêtre éclairée aux façades des maisons bordant un côté de la rue. De l’autre côté, des brumes blanches s’enroulaient autour des arbres et des tombes du cimetière en face. On aurait dit que des ombres remuaient entre les pierres tombales...
Il se détourna pour rentrer... Soudain il sentit un souffle glacial et eut la sensation que quelque chose le frôlait en passant près de lui. La porte restée entrouverte bougea légèrement comme sous l’effet d’un courant d’air. Une voix murmura : « Merci, John... »
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Bravo 5 voix
ma cavale : https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/la-mort-un-point-cest-tout
un voisin passé en coup de vent :-)
Merci.
Mais la fin me laisserait bien sur ma faim. Y aura-t-il une suite ?
Si vous avez le temps, je concours aussi..