La extranjera

Mes mains écrivent ce que ma bouche n'a jamais su dire Instagram : ombre_lunaire Wattpad : Ombre_lunaire Mon blog : https://ombrelunaire20.wixsite.com/website

Image de Jeunes Écritures AUF RFI - 2021
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Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Avoir une fille, en premier enfant, était mal vu dans la société actuelle. Les hommes avaient pris le pouvoir sur tout le territoire bolivien depuis le coup d'État du général Barrientos, en 1964. Mon pays était en guerre contre lui-même, empêchant à la fois les femmes d'être libres, mais aussi à la fois contre tous ceux qui s'opposaient à la dictature. Avoir une fille avant un garçon faisait partie, malheureusement, du premier degré d'opposition : cela entraînait une punition sur toute la famille. Ainsi, la mienne a subi une régression de classe sociale en passant de classe aisée à classe moyenne : c'était une honte pour mes parents, en particulier pour mon père qui était passé de patron à ouvrier dans SA propre entreprise. Il n'a cessé de me dire lors de mon enfance : « Tu ne réalises pas, Gabriela, à quel point tu m'as fait du mal ? Tu as détruit mon avenir ! ». Ma mère surenchérissait en me lâchant : « Gabriela Sales, tu as enlevé la vie de rêve de ton cher père. Aies honte de ta naissance et surtout, rappelles-toi que tu es différente de cette famille. Tu n'es pas née au bon moment ! »
De mes trois ans jusque mes seize ans, je pensais que c'était réellement moi le souci. Cependant, en grandissant, j'ai compris que le vrai problème s'était tout simplement le pouvoir psychologique qu'exerçait le régime politique sur les Boliviens. Je ne comprenais pas pourquoi personne ne se manifestait pour faire changer les choses. Pour moi, il était temps d'exterminer ce régime politique. Vous me direz : « Qu'est-ce qu'une gamine de dix-sept ans comme toi pourrait faire ? Tu te crois assez maline pour changer le cours des choses ? ». Croyez-moi ou pas, je suis plus intelligente que vous ne le pensez. Les filles n'ont pas accès à l'éducation et doivent rester gentiment à la maison pour apprendre les bonnes manières. Dès nos dix-huit ans, nous pouvons être marier à n'importe quel homme d'une classe supérieure ou égale à la nôtre. Les chanceuses seront mariées à un jeune homme et les plus malheureuses, comme moi, vont se retrouver avec un quadragénaire. Mes parents m'ont promise à un homme de la classe aisée, permettant ainsi à mon père de récupérer les faveurs du régime et pouvoir réaccéder à son poste de patron. De toute manière j'ai bien compris que mes parents n'avaient aucune estime pour leur Gabriela et que plus vite ils en seront débarrassés, plus vite ils pourront mettre en avant leurs fils Mauricio et Alejandro, les deux chouchous de la famille.
Je vis comme un fantôme dans la demeure des Sales. Je suis dans l'obligation de rester enfermée dans ma chambre lorsqu'il y a des invités et mon repas m'est servie dans ma chambre, fermée à clefs pour que j'évite de m'enfuir. Même mes fenêtres sont impossibles à ouvrir ! Une vraie prisonnière la pauvre Gab... Cependant, ce que mes parents ne savent pas, c'est que j'ai découvert un passage secret de ma cellule à la bibliothèque qui est juste à côté. Ils me pensaient tellement sotte qu'ils en ont oublié de bloquer la porte qui a un accès direct à cette pièce remplie d'informations. J'ai remarqué ce passage à mes neuf ans lorsqu'un jour j'avais fait tomber un jouet en dessous de mon armoire. N'ayant pas assez de forces pour le déplacer, j'ai fait appel à ma servante préférée Asma, ma seule alliée dans cette maison. C'était la seule qui me respectait et qui me donnait des petits cadeaux en cachette les jours de fêtes. Elle se retrouve aux services des Sales depuis dix ans déjà, après avoir quitté le Gabon et sa famille. Pour en revenir à la bibliothèque, je suis devenue une amoureuse de lecture et cela m'a permise de me faire mon éducation seule ; parfois Asma me tenait compagnie. C'était aussi elle qui m'apprenait à bien me tenir à table, à marcher correctement et à savoir « tenir une conversation » face à un homme : cela consistait à hocher la tête de temps à autre et de proposer de la sucumbé aux invités de mon prochain fiancé. Comme je l'ai dit juste avant, je vais devoir me marier avec un homme qui s'appelle Fernando et personnellement je n'ai aucune envie de faire ma vie avec un empoté de son genre. J'ai déjà pu faire sa rencontre une fois à mes quinze ans pour qu'il voit la « marchandise » et analyser si je pourrais lui faire de beaux garçons, en particulier. Je me suis sentie tellement sale lorsque ses yeux m'ont lorgnée de la tête au pied ! La prochaine fois que je reverrais cet homme, ce sera le jour de mon mariage, dans cinq mois. Il faut absolument que je trouve une solution pour fuir cela.
Il se peut que ma solution soit arrivée plus vite que prévu, un jour de juin : j'étais partie aux marché avec Asma pour acheter des fruits quand soudain mon regard est tombé sur CE garçon. Brun, très grand et bien musclé, je parle bel et bien de Paco, le fils du dictateur dont toutes les jeunes filles sont tombées raides dingues amoureuses. Je le trouve charmant, oui, mais de là à tomber dans ses bras ? Jamais. Cependant, je suis allée vers lui, laissant Asma se charger seule des achats. Paco m'a bien accueillie et on peut facilement parler de tout et de rien avec lui. Il est ouvert d'esprit et très instruit. Nous nous somme baladés dans un parc en rigolant, encerclés par ses gardes et zieutés par les Boliviens qui passaient par là : des regards mélangés d'incompréhension et de haine envers moi, la fille qui parlait au fils du dictateur. Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que je détestais autant qu'eux cet être infâme qui était la copie de son père : une ordure en tous points. Je n'avais qu'une seule idée en tête et c'était de sortir avec Paco pour le manipuler et cesser par la suite cette dictature.
Un mois avant mon mariage, j'étais en couple caché avec Paco. Je sortais tout le temps avec Asma pour faire croire à mes parents que j'allais aux courses mais je passais tout mon temps avec Paco pour le séduire et le faire tomber amoureux de ma personne. Et cela n'a pas loupé : Paco ne voulait que moi et m'offrir son amour. Comme quoi, il n'y a pas que les hommes qui sont doués pour charmer ! C'était simple en fin de compte de tirer le louveteau dans ses filets : il me restait le chef et c'était tout bon. Paco m'a fait rencontrer son père un mois après et je me suis présentée comme une fille très sage et naïve. Mes parents ne se doutaient de rien et surtout, j'avais réussi à convaincre le dictateur et Paco de ne pas dévoiler cette relation car sinon les fans de mon pseudo-copain allaient lui faire des crises de jalousie et l'emprise sur elles allait disparaître.
Deux jours avant le jour J, j'ai enclenché la dernière étape de mon objectif : l'assassinat du dictateur et de son fils. Pour ce faire, je les ai tous les deux convoqués dans une pièce de leur maison, sans gardes, en prétendant vouloir leur faire une proposition. Je leur avais même concocté moi-même leur sucumbé qu'Asma m'avait appris à faire, tout en y ajoutant secrètement plein de somnifères pour l'un et des antidépresseurs pour l'autre. Ils sont tous les deux morts empoisonnés, juste après avoir signé un contrat disant que j'étais l'épouse de Paco et que je succéderai au dictateur si lui et son fils mourraient d'une quelconque façon. Tout le monde a cru à mon histoire du fils qui voulait impérativement le pouvoir et qu'ils se sont auto-tués pour que personne n'ait les cartes en mains. Je leur ai inventé tout ceci en pleurant à chaudes larmes, étonnée moi-même de mon talent d'actrice. Comme quoi, il n'y a pas que les hommes qui sont doués pour manipuler !
C'est ainsi que moi, Gabriela, la extranjera de mi familia, ait accédé au pouvoir en tant que présidente de la Bolivie. Mes parents étaient abasourdis par cette nouvelle et ont essayé de revenir en rampant vers moi mais je les ai envoyés baladé, me concentrant sur ma nouvelle vie.
Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais devenue une héroïne.