Je m’étais pourtant juré de ne tuer personne durant cette guerre… Engagement qui n’a pas été simple à respecter, et encore moins aujourd’hui qu’hier. Les premiers temps, je corrigeais... [+]
Mes hommes et moi logions dans cette ancienne maison de maître délabrée en retrait de la ligne de front. Nous nous étions installés au rez-de chaussée, dans les quelques pièces donnant sur le jardin, à l’arrière du bâtiment. Luxe suprême, j’avais une chambre à moi, avec un lit et un bon matelas, les propriétaires ayant quitté les lieux précipitamment.
Je devais ce privilège à mon grade de sous-lieutenant. Les hommes du rang avaient étendu leur paillasse à même le sol, dans le salon. Les blessés, quant à eux, avaient préféré se terrer au sous-sol, craignant une offensive de l’artillerie ennemie exposant les niveaux supérieurs.
- 21 décembre 1916 -
Peu après mon réveil, alors que je m’apprêtais à saisir ma tasse de café, je me rendis compte que ma main droite ne répondait plus. Le liquide bouillant versa, tachant ma vareuse et mon pantalon d’uniforme. Le juron qui me vint aux lèvres sous le coup de l’émotion résonna étrangement à mes oreilles. Je le répétai encore et encore, à chaque fois différent mais toujours inadéquat: muerte, merdre... tandis que mon avant-bras, inutilisable, pendait misérablement le long de ma cuisse...
J’étais encore en plein désarroi, quand un soldat de retour du front frappa à la porte de ma chambre. J’avais pu, entre temps, mettre tant bien que mal mon bras en écharpe. De ma main valide, j'abaissai brusquement le loquet. L’homme sursauta. Constatant mon infirmité, il s’exclama :
- Vous êtes blessé, mon Lieutenant ?
Je ne répondis pas, et lui arrachai des mains le pli cacheté qu’il me tendait gauchement comme un bouquet de fleurs fanées. Celui-ci émanait du capitaine Bressols, qui me donnait l’ordre de rejoindre la ligne de front dès le lendemain matin. La nuit précédente avait été particulièrement meurtrière. Les hommes devaient être relevés. Je hochai la tête pour entériner cette décision, et congédiai le messager d’un revers de main...
( Il témoignera par la suite contre moi devant la hiérarchie, insistant sur l’impression qu’il avait eue que le lieutenant « n’était pas dans son assiette » )
Au cours de la journée, ma main retrouva peu à peu sa dextérité habituelle, et mon élocution s’améliora sensiblement. Je pus enfin quitter la chambre pour donner des ordres d’un ton encore hésitant, mais sans susciter pour autant de curiosité de la part de ces hommes occupés avant tout à défendre le peu d’intimité qu’ils pouvaient encore revendiquer. Ce n’est qu’à la tombée du jour que s’invitèrent de violents maux de tête, en vagues successives, d’intensité croissante, à se taper la tête contre les murs. Je bus plusieurs gorgées de cognac au goulot d’une petite flasque que je conservais précieusement dans une poche intérieure. Mais La douleur ne s’estompa réellement qu’après que j’eus mis la main sur un flacon de laudanum entamé lors d’un récent accès de dysenterie.
La nuit, je dormis comme un naufragé ayant déployé des efforts surhumains pour gagner le rivage où il laissera enfin s’échouer son corps exténué.
- 22 décembre 1916 -
Au champ du coq, je me redressai brutalement, mais ressentis une fatigue si vive que je me recouchai sur le champ. Quelque temps après, je me réveillai à nouveau, à cause du bruit produit par les lourds brodequins à semelles cloutées sur le plancher de la pièce contigüe. L’écho de ce tumulte se réverbérait en s’amplifiant contre les parois de mon crane. L’espace d’un instant, je ne réalisai plus où j’étais, ni quel rôle j’étais censé tenir. Puis, dans un rai de lumière, je distinguai mon uniforme replié sur le dossier d’une chaise. Je l’enfilai à grand peine, ainsi que mon képi, qui me parut trop large et froid au toucher. Qu’est-ce-qui me décida enfin à ouvrir la porte pour paraitre devant mes hommes ?
Le sens du devoir, et rien d’autre...
* * *
Nous étions prêts à lever le camp, le paquetage aux pieds. Le lieutenant ne s’était toujours pas pointé, alors que le soleil était levé depuis une bonne heure. Quand il apparut, hagard, un pot de chambre sur la tête, nous avons tous eu envie de pleurer. Sur son sort, certes, mais surtout sur le notre, appelés à combattre au péril de notre vie, désormais sans le soutien d’un officier.
Je devais ce privilège à mon grade de sous-lieutenant. Les hommes du rang avaient étendu leur paillasse à même le sol, dans le salon. Les blessés, quant à eux, avaient préféré se terrer au sous-sol, craignant une offensive de l’artillerie ennemie exposant les niveaux supérieurs.
- 21 décembre 1916 -
Peu après mon réveil, alors que je m’apprêtais à saisir ma tasse de café, je me rendis compte que ma main droite ne répondait plus. Le liquide bouillant versa, tachant ma vareuse et mon pantalon d’uniforme. Le juron qui me vint aux lèvres sous le coup de l’émotion résonna étrangement à mes oreilles. Je le répétai encore et encore, à chaque fois différent mais toujours inadéquat: muerte, merdre... tandis que mon avant-bras, inutilisable, pendait misérablement le long de ma cuisse...
J’étais encore en plein désarroi, quand un soldat de retour du front frappa à la porte de ma chambre. J’avais pu, entre temps, mettre tant bien que mal mon bras en écharpe. De ma main valide, j'abaissai brusquement le loquet. L’homme sursauta. Constatant mon infirmité, il s’exclama :
- Vous êtes blessé, mon Lieutenant ?
Je ne répondis pas, et lui arrachai des mains le pli cacheté qu’il me tendait gauchement comme un bouquet de fleurs fanées. Celui-ci émanait du capitaine Bressols, qui me donnait l’ordre de rejoindre la ligne de front dès le lendemain matin. La nuit précédente avait été particulièrement meurtrière. Les hommes devaient être relevés. Je hochai la tête pour entériner cette décision, et congédiai le messager d’un revers de main...
( Il témoignera par la suite contre moi devant la hiérarchie, insistant sur l’impression qu’il avait eue que le lieutenant « n’était pas dans son assiette » )
Au cours de la journée, ma main retrouva peu à peu sa dextérité habituelle, et mon élocution s’améliora sensiblement. Je pus enfin quitter la chambre pour donner des ordres d’un ton encore hésitant, mais sans susciter pour autant de curiosité de la part de ces hommes occupés avant tout à défendre le peu d’intimité qu’ils pouvaient encore revendiquer. Ce n’est qu’à la tombée du jour que s’invitèrent de violents maux de tête, en vagues successives, d’intensité croissante, à se taper la tête contre les murs. Je bus plusieurs gorgées de cognac au goulot d’une petite flasque que je conservais précieusement dans une poche intérieure. Mais La douleur ne s’estompa réellement qu’après que j’eus mis la main sur un flacon de laudanum entamé lors d’un récent accès de dysenterie.
La nuit, je dormis comme un naufragé ayant déployé des efforts surhumains pour gagner le rivage où il laissera enfin s’échouer son corps exténué.
- 22 décembre 1916 -
Au champ du coq, je me redressai brutalement, mais ressentis une fatigue si vive que je me recouchai sur le champ. Quelque temps après, je me réveillai à nouveau, à cause du bruit produit par les lourds brodequins à semelles cloutées sur le plancher de la pièce contigüe. L’écho de ce tumulte se réverbérait en s’amplifiant contre les parois de mon crane. L’espace d’un instant, je ne réalisai plus où j’étais, ni quel rôle j’étais censé tenir. Puis, dans un rai de lumière, je distinguai mon uniforme replié sur le dossier d’une chaise. Je l’enfilai à grand peine, ainsi que mon képi, qui me parut trop large et froid au toucher. Qu’est-ce-qui me décida enfin à ouvrir la porte pour paraitre devant mes hommes ?
Le sens du devoir, et rien d’autre...
* * *
Nous étions prêts à lever le camp, le paquetage aux pieds. Le lieutenant ne s’était toujours pas pointé, alors que le soleil était levé depuis une bonne heure. Quand il apparut, hagard, un pot de chambre sur la tête, nous avons tous eu envie de pleurer. Sur son sort, certes, mais surtout sur le notre, appelés à combattre au péril de notre vie, désormais sans le soutien d’un officier.
Julien.
Peut-être pas assez développé donc comme petite histoire, cependant très bien écrite et faisant ressortir la solitude morale extrême de ces hommes aussi bien du côté des officiers que des soldats.