Une nuit sans lune

22ans, étudiante en architecture, passionnée de lecture et journaliste en herbe.

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Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre...

Pourtant, elle savait bien que j'allais être comme je le suis aujourd'hui. Elle savait que je ne serai pas comme tous les autres enfants et que je ne leur ressemblerai pas avec mes yeux en amandes, ma nuque épaisse et mes petites mains. Elle savait que je ne pourrai pas m'exprimer avec l'accent que tout le monde comprend, et que je tarderai à pouvoir lire et écrire. Elle savait que j'aurai besoin d'elle jusqu'au dernier jour de ma vie, et qu'elle devra toujours s'occuper de moi comme un tout petit bébé.
Moi aussi je le savais. Je l'ai toujours senti même si elle essayait tant bien que mal de cacher cette lourde vérité. Des fois, je la surprenais entrain de pleurer silencieusement au beau milieu de la nuit :
"Pardonne-moi maman si je te rends si triste...
- Ne dis pas ҫà ma chérie, tu n'y es pour rien."
Puis elle me serrait dans ses bras et me caressait tendrement:
"Dès que j'ai vu ton visage, j'ai tout de suite décidé de t'appeler Farah et tu es devenue la seule joie de ma vie."

Maman n'a jamais cessé de m'aimer en m'acceptant telle que je suis. Jamais elle n'a pensé m'abandonner. Même avant ma naissance, aucun instant a-t-elle renoncé à partager avec moi toute une vie, malgré la souffrance et les sacrifices que cela allait nécessiter. Malgré le regard des autres, leurs doigts pointants et leurs chuchotements. Malgré leur mépris ou encore leur pitié. Malgré mes différences et mes faiblesses. Malgré toutes les raisons qui font de moi un lourd fardeau que maman devait porter toute seule. Mais elle gardait toujours un sourire rayonnant, même quand elle ne comprenait pas mon attitude et mes gestes, ou quand je devenais subitement aggressive avec elle.

Maman travaillait jour et nuit pour subvenir aux dépenses de notre petite maison perchée dans une ruelle étroite d'un ancien quartier de Beyrouth. Elle me déposait chaque matin à "mon école" puis elle venait me récupérer l'après-midi. Et quand parfois elle devait repartir le soir, notre vieille voisine Leila me tenait compagnie.
Elle était si jolie ma maman. Elle s'appelait Amar, comme la lune, et elle dansait tellement bien. Au fond de moi, je me demandais pourquoi elle ne s'est jamais mariée, et pourquoi elle ne m'a jamais rien dit à propos de mon père...

Il fait frais ici dans la campagne. Tout est calme et serein. Les hommes et les femmes tout vêtus de blanc sont très aimables avec moi. Cela fait déjà des mois que je n'ai pas vu maman. Elle m'avait promis de ne jamais me quitter. Mais la dernière fois où nous étions sur notre canapé, la terre trembla si fort et soudain un bruit assourdissant retentit. Je ne sais pas ce qui c'est ensuite passé, et comment tout d'un coup je me suis retrouvée ici, seule sans ma maman.
Mais lorsque la nuit je regarde le ciel étoilé, je vois son doux visage dans les reflets blancs de la lune, et je n'espère qu'une seule chose: la retrouver pour me blottir contre elle tout comme avant.