« En avril ne te découvre pas d’un fil, mais en mai fais ce qu’il te plaît. » Tu parles, il pleuvait des cordes. Ciel plombé, cinquante nuances de gris, pour être dans le coup. Il ... [+]
Histoire du soldat F.
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« Des macchabées, ça disparaît tous les jours. » C'est tout ce qu'il trouvait à répéter, et il ressassait dans sa tête cette phrase comme pour s'en convaincre, sachant pourtant pertinemment qu'elle était invraisemblable et inacceptable. Et, comme si cette piètre défense ne l'accablait pas suffisamment, son supérieur venait d'être remplacé par un nouveau gradé, à qui il devait exposer l'affaire et dans l'antichambre duquel il patientait depuis maintenant plus d'une heure. L'homme ne s'était pas encore présenté aux troupes de la capitale, personne ne savait qui il était, quelles pouvaient être ses opinions, mais nul doute que le chaos ambiant de cette dernière semaine, dans lequel il avait été propulsé après le limogeage soudain de son prédécesseur ne jouerait pas en faveur de notre soldat préposé à la garde d'un mort.
Plus que jamais, Faustus se sentait un pion facilement éjectable sur le plateau d'un jeu qui le dépassait. Or il est peu de dire qu'il redoutait ce renvoi, qui à coup sûr signifierait un reniement définitif de la part d'une famille exigeante et habituée au meilleur. Devenir militaire, entrer dans l'armée de la plus grande puissance de l'Histoire dont les œuvres éclipsaient les royaumes, les empires et tous les régimes passés, présents, et sans doute à venir (si tant fût qu'il y eût un avenir après elle) avait été la dernière chance pour un jeune homme perdu, incapable de faire preuve de sérieux dans son travail, et ce quoiqu'il ne manifestât aucune habileté remarquable au combat.
Impossible de se faire renvoyer, donc, mais impossible également de se justifier. Non seulement les quelques mots qui lui venaient ne faisaient aucun sens, mais en plus il avait failli. Les consignes, pourtant, étaient claires. Jusqu'à ce qu'il soit relevé, il ne devait ni bouger ni relâcher la garde de la porte d'une chambre mortuaire. C'était aussi simple que cela, c'était loin d'être la mission la plus dure à remplir pour Faustus, lequel avait déjà été de garde une semaine durant à la porte-Nord de la ville, qui n'était pas connue pour son calme ou sa tranquillité. Enfin, de tels raisonnements n'avaient plus de sens aujourd'hui puisque c'était Ariel tout entière qui semblait agitée, quels que fussent la porte, le quartier, la rue, la maisonnée. Peut-être cela était-il dû à l'écrasante chaleur de ces derniers jours, chaleur qui l'oppressait encore dans cette pièce où il patientait depuis si longtemps, chaleur peut-être responsable de cette faillite à son devoir. Car après tout, il ne voyait pas d'autre explication logique à cet évanouissement soudain. Il avait bien dormi la nuit précédente, n'ayant heureusement pas été réquisitionné pour encadrer le tumulte qui sourdait dans les collines et qui avait fini par s'étendre au centre-ville. Mais enfin ! Qu'avait-il donc pu arriver pour qu'il sombre dans une telle léthargie ? Il n'y avait, du reste, rien de fatiguant à garder une porte derrière laquelle, de plus, reposait un mort. Un mort ! Je t'en donnerai, moi, des morts, soupira-t-il à part lui. D'autant plus que ce mort-là, selon Faustus, ne méritait aucunement qu'on surveille son cadavre, mais bien plutôt qu'on le brûle. Les meneurs de contestation, on les surveillait quand ils étaient vivants. Pas une fois qu'ils avaient succombé au supplice qu'on avait pu leur infliger. D'ailleurs, il n'y avait aucune raison justifiant la garde de ce cadavre. Ceux que l'on avait exécutés à ses côtés pourrissaient probablement, à l'heure qu'il était, dans une fosse commune, sous les mouches et le soleil de plomb. Mais il avait fallu qu'un imbécile décide de porter notre mort disparu dans un lieu à part, ce que les autorités avaient accepté, à condition que ledit lieu fût gardé nuit et jour pour éviter que l'endroit ne devienne un nouveau cœur de la contestation voire un lieu de recueillement. Soit, cela se tenait.
Tout ce raisonnement n'avait donc servi qu'à revenir au point de départ, à cet axiome absurde qui voulait que les macchabées disparaissent tous les jours. En même temps, était-ce si fou ? Au vu des événements des derniers jours, pas tant que ça. Il fallait bien reconnaître que tout avait un parfum d'irréel, et le séisme qui, l'avant-veille, avait fait trembler les murs des plus imposants bâtiments de la ville y était probablement pour quelque chose. En fait, il y avait tant à gérer que Faustus se convainquait progressivement que son supérieur ne serait non seulement pas d'humeur à entendre son récit, mais qu'en plus il n'en aurait rien à faire. Qu'était-ce donc que la disparition d'un corps quand plus de cent autres s'étaient fait la malle deux jours plus tôt ? Qu'est-ce qui empêchait Faustus de prendre la fuite immédiatement, ce qu'avait lucidement fait celui avec qui il devait garder la salle mortuaire ? Rien, sinon un sens du devoir qui en d'autres moments l'aurait honoré. Et c'était ce sens du devoir qui le forçait à rester planté là, attendant toujours que la porte massive qui fermait le bureau de son capitaine ne s'ouvre.
Ce capitaine, qui était-il ? Serait-il compréhensif au vu des événements inexpliqués de la semaine ou bien au contraire tellement sur les nerfs que la moindre chose qui dérogerait encore à la normale le ferait exploser ? Quelle idée, aussi, avaient eu les chefs, de renvoyer celui qui était à ce poste auparavant ! Il faisait son travail d'une manière remarquable et juste, et les troupes l'appréciaient tout particulièrement. Par malheur, il n'avait pas pu s'empêcher de faire une réflexion, une fois expiré le condamné à mort que Faustus était censé garder, réflexion que les autorités jugèrent bien trop complaisante à l'égard dudit condamné et il avait aussitôt été muté dans les possessions les plus orientales de l'empire, de façon à ce qu'il ait le temps de méditer sa remarque. Il faut dire que l'administrateur d'Ariel et des territoires qui l'environnaient semblait prendre cette affaire à cœur, puisque, suivant les conseils des autorités parallèles autochtones, dont se serait volontiers débarrassé Faustus, il avait placé ces deux gardes devant la tombe du meneur des rebelles, pour une durée possiblement renouvelable de trois jours. Faustus avait détesté se sentir l'employé de ces petits potentats locaux, lesquels semblaient se faire une joie de commander aux deux soldats.
Autant de pensées qui n'amélioraient pas sa situation. Impossible d'expliquer la disparition de ce corps. Il se repassait en boucle les dernières heures et ne trouvait aucune justification plausible, convenable. À vrai dire, il était si désemparé qu'il n'avait même pas eu la force de retenir les illuminées venues adorer le corps sans vie du trépassé, désobéissant ainsi aux instructions que lui avaient données les fameux notables qui chuchotaient à l'oreille du gouverneur. Et de toute manière, ces femmes-là avaient dû être déçues puisque le constat fait était rigoureusement et malheureusement le même : sans raison, le corps avait disparu.
Faustus en était là de son monologue intérieur quand le serviteur du capitaine lui indiqua que celui-ci allait le recevoir. Au moment de rentrer dans le bureau, le jeune soldat se dit que l'on n'avait sans doute pas fini d'en entendre parler, de ce Jésus.
Plus que jamais, Faustus se sentait un pion facilement éjectable sur le plateau d'un jeu qui le dépassait. Or il est peu de dire qu'il redoutait ce renvoi, qui à coup sûr signifierait un reniement définitif de la part d'une famille exigeante et habituée au meilleur. Devenir militaire, entrer dans l'armée de la plus grande puissance de l'Histoire dont les œuvres éclipsaient les royaumes, les empires et tous les régimes passés, présents, et sans doute à venir (si tant fût qu'il y eût un avenir après elle) avait été la dernière chance pour un jeune homme perdu, incapable de faire preuve de sérieux dans son travail, et ce quoiqu'il ne manifestât aucune habileté remarquable au combat.
Impossible de se faire renvoyer, donc, mais impossible également de se justifier. Non seulement les quelques mots qui lui venaient ne faisaient aucun sens, mais en plus il avait failli. Les consignes, pourtant, étaient claires. Jusqu'à ce qu'il soit relevé, il ne devait ni bouger ni relâcher la garde de la porte d'une chambre mortuaire. C'était aussi simple que cela, c'était loin d'être la mission la plus dure à remplir pour Faustus, lequel avait déjà été de garde une semaine durant à la porte-Nord de la ville, qui n'était pas connue pour son calme ou sa tranquillité. Enfin, de tels raisonnements n'avaient plus de sens aujourd'hui puisque c'était Ariel tout entière qui semblait agitée, quels que fussent la porte, le quartier, la rue, la maisonnée. Peut-être cela était-il dû à l'écrasante chaleur de ces derniers jours, chaleur qui l'oppressait encore dans cette pièce où il patientait depuis si longtemps, chaleur peut-être responsable de cette faillite à son devoir. Car après tout, il ne voyait pas d'autre explication logique à cet évanouissement soudain. Il avait bien dormi la nuit précédente, n'ayant heureusement pas été réquisitionné pour encadrer le tumulte qui sourdait dans les collines et qui avait fini par s'étendre au centre-ville. Mais enfin ! Qu'avait-il donc pu arriver pour qu'il sombre dans une telle léthargie ? Il n'y avait, du reste, rien de fatiguant à garder une porte derrière laquelle, de plus, reposait un mort. Un mort ! Je t'en donnerai, moi, des morts, soupira-t-il à part lui. D'autant plus que ce mort-là, selon Faustus, ne méritait aucunement qu'on surveille son cadavre, mais bien plutôt qu'on le brûle. Les meneurs de contestation, on les surveillait quand ils étaient vivants. Pas une fois qu'ils avaient succombé au supplice qu'on avait pu leur infliger. D'ailleurs, il n'y avait aucune raison justifiant la garde de ce cadavre. Ceux que l'on avait exécutés à ses côtés pourrissaient probablement, à l'heure qu'il était, dans une fosse commune, sous les mouches et le soleil de plomb. Mais il avait fallu qu'un imbécile décide de porter notre mort disparu dans un lieu à part, ce que les autorités avaient accepté, à condition que ledit lieu fût gardé nuit et jour pour éviter que l'endroit ne devienne un nouveau cœur de la contestation voire un lieu de recueillement. Soit, cela se tenait.
Tout ce raisonnement n'avait donc servi qu'à revenir au point de départ, à cet axiome absurde qui voulait que les macchabées disparaissent tous les jours. En même temps, était-ce si fou ? Au vu des événements des derniers jours, pas tant que ça. Il fallait bien reconnaître que tout avait un parfum d'irréel, et le séisme qui, l'avant-veille, avait fait trembler les murs des plus imposants bâtiments de la ville y était probablement pour quelque chose. En fait, il y avait tant à gérer que Faustus se convainquait progressivement que son supérieur ne serait non seulement pas d'humeur à entendre son récit, mais qu'en plus il n'en aurait rien à faire. Qu'était-ce donc que la disparition d'un corps quand plus de cent autres s'étaient fait la malle deux jours plus tôt ? Qu'est-ce qui empêchait Faustus de prendre la fuite immédiatement, ce qu'avait lucidement fait celui avec qui il devait garder la salle mortuaire ? Rien, sinon un sens du devoir qui en d'autres moments l'aurait honoré. Et c'était ce sens du devoir qui le forçait à rester planté là, attendant toujours que la porte massive qui fermait le bureau de son capitaine ne s'ouvre.
Ce capitaine, qui était-il ? Serait-il compréhensif au vu des événements inexpliqués de la semaine ou bien au contraire tellement sur les nerfs que la moindre chose qui dérogerait encore à la normale le ferait exploser ? Quelle idée, aussi, avaient eu les chefs, de renvoyer celui qui était à ce poste auparavant ! Il faisait son travail d'une manière remarquable et juste, et les troupes l'appréciaient tout particulièrement. Par malheur, il n'avait pas pu s'empêcher de faire une réflexion, une fois expiré le condamné à mort que Faustus était censé garder, réflexion que les autorités jugèrent bien trop complaisante à l'égard dudit condamné et il avait aussitôt été muté dans les possessions les plus orientales de l'empire, de façon à ce qu'il ait le temps de méditer sa remarque. Il faut dire que l'administrateur d'Ariel et des territoires qui l'environnaient semblait prendre cette affaire à cœur, puisque, suivant les conseils des autorités parallèles autochtones, dont se serait volontiers débarrassé Faustus, il avait placé ces deux gardes devant la tombe du meneur des rebelles, pour une durée possiblement renouvelable de trois jours. Faustus avait détesté se sentir l'employé de ces petits potentats locaux, lesquels semblaient se faire une joie de commander aux deux soldats.
Autant de pensées qui n'amélioraient pas sa situation. Impossible d'expliquer la disparition de ce corps. Il se repassait en boucle les dernières heures et ne trouvait aucune justification plausible, convenable. À vrai dire, il était si désemparé qu'il n'avait même pas eu la force de retenir les illuminées venues adorer le corps sans vie du trépassé, désobéissant ainsi aux instructions que lui avaient données les fameux notables qui chuchotaient à l'oreille du gouverneur. Et de toute manière, ces femmes-là avaient dû être déçues puisque le constat fait était rigoureusement et malheureusement le même : sans raison, le corps avait disparu.
Faustus en était là de son monologue intérieur quand le serviteur du capitaine lui indiqua que celui-ci allait le recevoir. Au moment de rentrer dans le bureau, le jeune soldat se dit que l'on n'avait sans doute pas fini d'en entendre parler, de ce Jésus.
Merci d'avoir pris le temps de lire l'Histoire du soldat F. ! Premier texte sur cette page après plus d'un an d'interruption, il me tenait à cœur de vous le présenter. Pour autant, la prépa est une formation qui requiert une attention continue, aussi vais-je à nouveau cesser d'être très actif sur Short Edition, notamment pour la publicité (légitime (?)) dans les espaces commentaires ou par message. Si le texte vous a plu, n'hésitez donc pas à le partager sur le site ! Je vous en serai d'avance extrêmement reconnaissant. Sur ce, très bonne journée/soirée et à bientôt !
LR