À vos marques. Prêts, une - deux

C'est un recoin paisible à l'écart du tumulte, Où tous mes à peu-près peu à peu s'accumultent; Il n'y poussera pas, bien sûr, les Fleurs du mal, On dirait le jardin du bon facteur Cheval ... [+]

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Je m'appelle Victoire, et je déteste perdre.

Je m'étais qualifiée aux championnats de France d'athlétisme.
J'ai vite (extrêmement vite, ha-ha) gagné ma série et ma demi-finale et l'excitation à peine retombée, je suis retournée à ma place dans les tribunes au milieu des autres athlètes. Là je me suis mise à suivre d'un œil distrait le reste des épreuves de la matinée, en encourageant mollement mes camarades de club, l'esprit accaparé par mon ultime course de la journée: La finale du 100 mètres. Ça galopait aussi dans ma tête : « Te raconte pas des histoires, ma poule, les temps des qualifiées sont tombés et ça va être chaud bouillant : huit coureuses en vingt-cinq centièmes de seconde, une quasi égalité parfaite, une vraie loterie! »
Tout allait se jouer sur la qualité du départ.
Le starter officiel égrenait les ordres : À vos marques, prêts... Et le coup de pistolet libérait son flot d'athlètes, série après série, me rapprochant inéluctablement de l'heure de l'épreuve, de l'heure de vérité.
À vos marques, prêts
À vos marques, prêts
Petite musique entêtante.
À vos marques, prêts
À fond les filles, courez

C'est à la fin des séries du 110 mètres haies juniors que l'idée s'est imposée à moi : Le starter énumérait les commandements de départ avec la précision d'un métronome : À vos marques, prêts, une seconde, une autre, puis le coup de revolver...
Jamais une seconde deux secondes trois secondes ou une seconde et demie. Non. Prêts, une - deux. À chaque course, toujours deux secondes, deux secondes précisément. Ce type avait avalé un chrono. Il suffisait d'en profiter, et de partir dans le coup de feu, prenant ainsi un avantage décisif sur les autres coureuses ! Je me mis à brailler avec les copines: « Allez les jaunes, allez les jaunes, allez les jaunes et bleues » sur l'air des lampions.

Je passais le reste de la matinée à vérifier la justesse de ma théorie, et à m'entraîner à prendre le départ non pas en réagissant au « Bang », mais après avoir chantonné intérieurement « une - deux ». Au bout d'une dizaine de courses, je dus me rendre à l'évidence, ça fonctionnait, et bigrement bien. Excellent départ à chaque fois. Je me dis: « Ma petite cocotte, cette fois-ci tu rentres à la cazam avec la grosse breloque en sautoir »

En début d'après-midi, je partis m'échauffer sur un petit nuage.
Puis on appela les finalistes à la chambre d'appel, et je mis mon dossard, mes chaussures à pointes dans un état second; j'accédai à la piste par le tunnel, euphorique. Réglage des starting-blocks, ultimes courses, sautillés et assouplissements.
Debout immobile deux pas derrière la ligne de départ en compagnie des autres concurrentes.
« Finale du cent mètres cadettes. Juges à l'arrivée, prêts ? Chronométreurs, prêts ? Starter, à vous »

« Mesdemoiselles ! À vos marques ! » Dit une voix... Féminine.

Ils avaient changé de starter.
J'ai passé la ligne d'arrivée huitième et bonne dernière.
Je m'appelle Victoire et je déteste les starters.