Je doute que vous me connaissiez, j'ai eu dans le passé un rôle assez intéressant, mais le domaine où j'excellais n'était pas très médiatique.
Fumeur, fêtard à mes heures, ne crachant pas sur un verre d'alcool, je brillais malgré tout raquette en main sur les parquets de badminton. La première fois que j'y ai joué, j'ai écrasé la concurrence. Arrivant au niveau national en collège puis participant à des compétitions européennes chez les juniors, je m'adonnai aussi à la littérature et à l'Histoire. Ce chemin tout tracé devait me mener aux Jeux olympiques, en simple ou en double. Je ne pouvais pas manquer cette consécration selon mon entraineur et la présidente de mon club qui trustait tous les honneurs depuis sa création aux lendemains des jeux de Séoul.
Je devais mais je n'en fis rien ! Une maudite blessure à un tendon me priva des Olympiades de Sydney, je tentai de remettre le couvert quatre ans plus tard pour Athènes mais je n'avais plus le feu sacré et puis les jeunes arrivaient dans le badminton qui cessait d'être un simple amusement de plage pour devenir un vrai sport consacré par une pratique massive et une détection sérieuse des jeunes pour le haut niveau.
Je cessai donc la compétition et passai aux choses sérieuses au niveau boulot, en achevant mes études et en passant mon concours de professeur. D'EPS pensez-vous ? Non, que neni, je voulais enseigner l'Histoire, n'ayant jamais été un adepte de la théorie du mouvement, du référentiel bondissant et autres élucubrations des scientifiques du corps.
Après avoir rempli mon contrat dans ces deux domaines, je pus profiter d'une très belle mutation dans nos banlieues qui faisaient l'envie du monde entier, dans le « très beau quartier » des Baudottes à Sevran.
Je vous passe sur les classes intenables, les menaces à l'extérieur, l'incompréhension de l'administration et la détresse des jeunes professeurs. Non, là n'est pas l'essentiel. J'effectuai mon travail consciencieusement, sans esbrouffe, m'acclimatant à l'environnement sans pour autant céder aux sirènes de la culture rap.
Dans le RER qui me ramenait à Paris et à son tourbillon culturel, il m'arrivait de penser à certains élèves un peu isolés et martyrisés.
Poètes mutiques, albatros perdus sur le bitume, souvent d'origine européenne ou asiatique (Sri Lanka, Inde, Chine), ils trainaient leur misère de jeunes de banlieues victimes du caïdat des zones périphériques et de l'oppression économique du centre, subissant la dictature universelle et intemporelle des plus forts sur les plus faibles. Ne trouvant aucun terrain où exceller, ils erraient dans la cour et dans les cours en évitant les baffes. Le rap ne voulait pas d'eux, encore moins le foot et les sports de combats.
Un jour, l'un d'entre eux répondant au nom exotique et imprononçable de Sugirtan Baskaran, me questionna sur la raquette que j'avais dans mon sac de cours. Je lui expliquai mon art, mon sport, il écouta passionnément, et malgré son pays d'origine où le badminton était un sport de premier plan, il m'avoua qu'il en ignorait jusqu'à l'existence. Je lui montrai ensuite comment y jouer dans un bout de gymnase que les footeux nous laissaient entre midi trente et treize heures.
Au bout de deux semaines, j'eus sous mes ordres une dizaine d'affidés qui venaient pour éviter les claques et les humiliations, souffler un coup et s'adonner à l'art du volant.
Intriguée, notre principale, une femme divorcée qui taquinait gentiment la bouteille, me convoqua dans son bureau. Elle découvrit avec surprise mon passé de sportif de haut niveau, puis me demanda si je voulais encadrer ces jeunes le mercredi après-midi, pour les entraîner et les amener à avoir plus de confiance en eux.
Je ne m'attendais pas à ce genre de proposition. Comme tout bon enseignant de collège, je m'adonnais au repos du mercredi après-midi, avec au choix la sieste ou de belles promenades dans le centre de Paris.
Je la fis patienter une semaine puis lui donnai mon aval. J'avais besoin de m'occuper des autres, de transmettre ce qui me faisait vibrer, et surtout je les appréciais car ils écoutaient et progressaient à pas de géant.
La première année, nous mîmes en place notre routine et terminâmes la saison avec des inter-collèges improvisés en fin d'année face aux autres établissements de Sevran, Livry-Gargan et Aulnay nord. Sous l'œil goguenard des professeurs d'EPS qui étaient surtout des adeptes des activités naturelles en plein air, nous remportâmes quelques accessits en double messieurs et en double mixte. C'étaient des signes très encourageants. Mes ouailles commençaient à respirer et à susciter de l'indifférence, ce qui était un mieux indéniable dans leur parcours de victimes !
L'année suivante, je passai avec succès mes diplômes d'éducateur sportif, je pouvais donc légalement encadrer des jeunes dans les compétitions UNSS.
Cette nouvelle eut un effet catalyseur chez mes « fous du volant » qui arrivèrent au premier entrainement avec des raquettes et des chaussures Yonex et Babolat, cadeaux de parents qui croyaient enfin en eux, et aussi en moi.
Gonflés comme jamais, nos entraînements gagnèrent en intensité, les volants fusaient et les exclamations de plaisir éclataient au mépris des footballeurs et autres combattants du bitume.
Nous remportâmes ensuite nos premières rencontres.
Un fait indéniable que je me dois de vous expliquer avant de poursuivre mon récit. Les gens d'ici préfèrent la Ligue des champions et l'UFC, le badminton trouve peu d'adeptes, mais avec nos premières victoires, la rue nous regarda avec respect. On nous demandait tous les jeudis ce qui s'était passé le mercredi après-midi, les regards se chargeaient d'une lente mais ferme admiration.
Et puis, Sugirtan et ses amis n'étant plus sujets aux agressions verbales et physiques, ils purent ainsi développer leurs capacités scolaires et voir l'avenir avec un peu plus d'espoir.
Je notai leur progrès lors des conseils de classe. Ils brillaient en Maths, en Physique et en Technologie, chez moi ils étaient juste passables mais je n'étais pas exigeant dans ce domaine, prenant en compte leur désir de rejoindre les bons lycées et les filières scientifiques, et puis j'étais plus professeur de badminton que d'Histoire-géo, réglant aussi un compte avec un passé chargé d'amertume.
Après l'échelon local, nous écrasâmes la concurrence au niveau départemental, en triomphant de Saint-Denis, la Courneuve et Aubervilliers. Nous étions qualifiés pour les finales régionales qui se tenaient à Paris. C'était la première victoire en départementale d'une équipe du collège André Malraux depuis dix ans et le fameux parcours des basketteuses qui étaient allées jusqu'au niveau national. Des photos furent prises et un article élogieux rédigé par les jeunes rédacteurs du journal du collège.
Il y eut de la pression, beaucoup de pression, de l'espoir aussi.
Nous arrivâmes au mois de mars tant attendu. Après les régions, nous pouvions rêver au championnat de France en mai dans la bonne ville de Marseille.
Nous avions rendez-vous avec les autres collèges d'île de France dans la célèbre salle Georges Carpentier dans le treizième arrondissement. Nous commençâmes par des victoires face aux parisiens, mais fatigués, victimes de la pression et rêvant un peu trop au niveau national, nous ne parvînmes pas à surpasser les champions du 78 et du 91.
Nous finîmes troisième des régionales. Donc pas de championnat de France UNSS à Marseille. Mes champions avaient tout donné, ils pleurèrent abondamment, j'écrasai une larme en toute discrétion. Encore une fois, je passai à côté, une triste habitude chez moi décidemment.
Je ne m'attendais pas à les revoir en mai après les vacances de Pâques, ils étaient présents au rendez-vous, avec une motivation intacte et de la passion à revendre. En avance, ils voulaient continuer à apprendre et à progresser.
Braves petits !
Fumeur, fêtard à mes heures, ne crachant pas sur un verre d'alcool, je brillais malgré tout raquette en main sur les parquets de badminton. La première fois que j'y ai joué, j'ai écrasé la concurrence. Arrivant au niveau national en collège puis participant à des compétitions européennes chez les juniors, je m'adonnai aussi à la littérature et à l'Histoire. Ce chemin tout tracé devait me mener aux Jeux olympiques, en simple ou en double. Je ne pouvais pas manquer cette consécration selon mon entraineur et la présidente de mon club qui trustait tous les honneurs depuis sa création aux lendemains des jeux de Séoul.
Je devais mais je n'en fis rien ! Une maudite blessure à un tendon me priva des Olympiades de Sydney, je tentai de remettre le couvert quatre ans plus tard pour Athènes mais je n'avais plus le feu sacré et puis les jeunes arrivaient dans le badminton qui cessait d'être un simple amusement de plage pour devenir un vrai sport consacré par une pratique massive et une détection sérieuse des jeunes pour le haut niveau.
Je cessai donc la compétition et passai aux choses sérieuses au niveau boulot, en achevant mes études et en passant mon concours de professeur. D'EPS pensez-vous ? Non, que neni, je voulais enseigner l'Histoire, n'ayant jamais été un adepte de la théorie du mouvement, du référentiel bondissant et autres élucubrations des scientifiques du corps.
Après avoir rempli mon contrat dans ces deux domaines, je pus profiter d'une très belle mutation dans nos banlieues qui faisaient l'envie du monde entier, dans le « très beau quartier » des Baudottes à Sevran.
Je vous passe sur les classes intenables, les menaces à l'extérieur, l'incompréhension de l'administration et la détresse des jeunes professeurs. Non, là n'est pas l'essentiel. J'effectuai mon travail consciencieusement, sans esbrouffe, m'acclimatant à l'environnement sans pour autant céder aux sirènes de la culture rap.
Dans le RER qui me ramenait à Paris et à son tourbillon culturel, il m'arrivait de penser à certains élèves un peu isolés et martyrisés.
Poètes mutiques, albatros perdus sur le bitume, souvent d'origine européenne ou asiatique (Sri Lanka, Inde, Chine), ils trainaient leur misère de jeunes de banlieues victimes du caïdat des zones périphériques et de l'oppression économique du centre, subissant la dictature universelle et intemporelle des plus forts sur les plus faibles. Ne trouvant aucun terrain où exceller, ils erraient dans la cour et dans les cours en évitant les baffes. Le rap ne voulait pas d'eux, encore moins le foot et les sports de combats.
Un jour, l'un d'entre eux répondant au nom exotique et imprononçable de Sugirtan Baskaran, me questionna sur la raquette que j'avais dans mon sac de cours. Je lui expliquai mon art, mon sport, il écouta passionnément, et malgré son pays d'origine où le badminton était un sport de premier plan, il m'avoua qu'il en ignorait jusqu'à l'existence. Je lui montrai ensuite comment y jouer dans un bout de gymnase que les footeux nous laissaient entre midi trente et treize heures.
Au bout de deux semaines, j'eus sous mes ordres une dizaine d'affidés qui venaient pour éviter les claques et les humiliations, souffler un coup et s'adonner à l'art du volant.
Intriguée, notre principale, une femme divorcée qui taquinait gentiment la bouteille, me convoqua dans son bureau. Elle découvrit avec surprise mon passé de sportif de haut niveau, puis me demanda si je voulais encadrer ces jeunes le mercredi après-midi, pour les entraîner et les amener à avoir plus de confiance en eux.
Je ne m'attendais pas à ce genre de proposition. Comme tout bon enseignant de collège, je m'adonnais au repos du mercredi après-midi, avec au choix la sieste ou de belles promenades dans le centre de Paris.
Je la fis patienter une semaine puis lui donnai mon aval. J'avais besoin de m'occuper des autres, de transmettre ce qui me faisait vibrer, et surtout je les appréciais car ils écoutaient et progressaient à pas de géant.
La première année, nous mîmes en place notre routine et terminâmes la saison avec des inter-collèges improvisés en fin d'année face aux autres établissements de Sevran, Livry-Gargan et Aulnay nord. Sous l'œil goguenard des professeurs d'EPS qui étaient surtout des adeptes des activités naturelles en plein air, nous remportâmes quelques accessits en double messieurs et en double mixte. C'étaient des signes très encourageants. Mes ouailles commençaient à respirer et à susciter de l'indifférence, ce qui était un mieux indéniable dans leur parcours de victimes !
L'année suivante, je passai avec succès mes diplômes d'éducateur sportif, je pouvais donc légalement encadrer des jeunes dans les compétitions UNSS.
Cette nouvelle eut un effet catalyseur chez mes « fous du volant » qui arrivèrent au premier entrainement avec des raquettes et des chaussures Yonex et Babolat, cadeaux de parents qui croyaient enfin en eux, et aussi en moi.
Gonflés comme jamais, nos entraînements gagnèrent en intensité, les volants fusaient et les exclamations de plaisir éclataient au mépris des footballeurs et autres combattants du bitume.
Nous remportâmes ensuite nos premières rencontres.
Un fait indéniable que je me dois de vous expliquer avant de poursuivre mon récit. Les gens d'ici préfèrent la Ligue des champions et l'UFC, le badminton trouve peu d'adeptes, mais avec nos premières victoires, la rue nous regarda avec respect. On nous demandait tous les jeudis ce qui s'était passé le mercredi après-midi, les regards se chargeaient d'une lente mais ferme admiration.
Et puis, Sugirtan et ses amis n'étant plus sujets aux agressions verbales et physiques, ils purent ainsi développer leurs capacités scolaires et voir l'avenir avec un peu plus d'espoir.
Je notai leur progrès lors des conseils de classe. Ils brillaient en Maths, en Physique et en Technologie, chez moi ils étaient juste passables mais je n'étais pas exigeant dans ce domaine, prenant en compte leur désir de rejoindre les bons lycées et les filières scientifiques, et puis j'étais plus professeur de badminton que d'Histoire-géo, réglant aussi un compte avec un passé chargé d'amertume.
Après l'échelon local, nous écrasâmes la concurrence au niveau départemental, en triomphant de Saint-Denis, la Courneuve et Aubervilliers. Nous étions qualifiés pour les finales régionales qui se tenaient à Paris. C'était la première victoire en départementale d'une équipe du collège André Malraux depuis dix ans et le fameux parcours des basketteuses qui étaient allées jusqu'au niveau national. Des photos furent prises et un article élogieux rédigé par les jeunes rédacteurs du journal du collège.
Il y eut de la pression, beaucoup de pression, de l'espoir aussi.
Nous arrivâmes au mois de mars tant attendu. Après les régions, nous pouvions rêver au championnat de France en mai dans la bonne ville de Marseille.
Nous avions rendez-vous avec les autres collèges d'île de France dans la célèbre salle Georges Carpentier dans le treizième arrondissement. Nous commençâmes par des victoires face aux parisiens, mais fatigués, victimes de la pression et rêvant un peu trop au niveau national, nous ne parvînmes pas à surpasser les champions du 78 et du 91.
Nous finîmes troisième des régionales. Donc pas de championnat de France UNSS à Marseille. Mes champions avaient tout donné, ils pleurèrent abondamment, j'écrasai une larme en toute discrétion. Encore une fois, je passai à côté, une triste habitude chez moi décidemment.
Je ne m'attendais pas à les revoir en mai après les vacances de Pâques, ils étaient présents au rendez-vous, avec une motivation intacte et de la passion à revendre. En avance, ils voulaient continuer à apprendre et à progresser.
Braves petits !