Leïla

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En classe, je suis assise à côté de Leïla. On rigole bien toutes les deux.
Parfois aussi, elle m'énerve un peu, surtout quand elle me pique ma gomme ou mon stylo rose qui écrit des mots magiques. Le rose, c'est fait pour ça. Faire des jolies phrases qui parlent de fées et de magie. Mais les meilleures amies, ça se dispute toujours un peu, c'est normal, me dit souvent maman. Et quand on rigole, c'est pas des petites rigolades. C'est plutôt des grosses poilades, on se tord de rire sur nos chaises et on finit sous la table tellement on est pliées en deux. À chaque fois, bingo, on se retrouve avec une croix sur le tableau du comportement. La maîtresse, elle ne rigole pas du tout avec les croix. Chaque semaine elle remet les compteurs à zéro, et pour chaque croix récoltée, on doit faire dix lignes pour le lundi suivant. Une fois, j'ai eu quatre croix dans la semaine, je me suis farci quarante lignes ! Et pas n'importe lesquelles ! La phrase était super méga longue : « Ce n'est pas en riant comme une baleine que j'apprendrai des choses sur les cétacés. »

Je n'ai rien compris. Et j'ai passé tout mon dimanche à écrire, écrire, et encore écrire.

Depuis, avec Leïla, on a appris à rire en fermant la bouche. En plus, il paraît que c'est drôlement bon pour les dominos. Oui, je sais, on dit les abdominaux. Mais mon petit frère, lui, il dit les dominos, et franchement, je trouve que c'est mieux. Et c'est plus simple à écrire. Donc dès qu'on a envie de rire, on ferme la bouche, ça fait bouger le ventre dans tous les sens, et c'est encore plus drôle. Le plus difficile, c'est de ne pas pouffer. Enfin exploser. Parce que sinon, l'air qu'on gardait bien fermé dans la bouche sort d'un coup avec un bruit de prout géant, et là, c'est la double croix assurée.

Un matin, je me suis retrouvée seule à ma table, Leïla était malade.
J'ai trouvé la journée longue, mais j'ai quand même rigolé un peu, quand Baptiste a dit que Madame Gascar était une île à côté de l'Afrique. La maîtresse, elle, n'a pas beaucoup d'humour. D'ailleurs, je me demande si elle a déjà ri une fois dans sa vie. Elle a dit :

— Mon petit Baptiste, tu me copieras dix fois : « À Madagascar, il y a des lémuriens mutins qui mangent des mangues molles. »

Et elle a esquissé un tout petit sourire, très mince, presque invisible. C'est le maximum qu'elle sait faire. Elle doit avoir un truc qui se bloque dans la mâchoire dès qu'elle commence à plisser les lèvres, parce que ça s'arrête toujours d'un coup, entre le sourire constipé et le rire pas très net.

Le lendemain, quand j'ai vu que Leïla était encore absente, j'ai demandé à maman si je pouvais aller la voir chez elle. Je voulais lui apporter ses devoirs, mais aussi la faire rire un peu, pour qu'elle guérisse plus vite. Maman a fait une drôle de tête et m'a dit qu'il valait mieux attendre quelques jours. J'ai pensé que Leïla avait peut-être une maladie contagieuse. Mais quand même, ça me chiffonnait de ne pas voir ma meilleure copine. Alors j'ai demandé encore une fois. Cette fois, maman s'est assise avec moi sur mon lit et a serré mes mains très fort. J'ai compris que quelque chose n'allait pas. Quelque chose de grave.

Maman m'a expliqué que Leïla allait devoir rester quelque temps à l'hôpital, à cause d'une maladie à laquelle je n'ai rien compris. Enfin, si, ce que j'ai compris, c'est que ma meilleure copine n'allait pas revenir à l'école avant un long moment, et qu'on ne se marrerait pas de sitôt comme des baleines à cause de trucs débiles.

J'ai quand même eu le droit d'aller voir Leïla une fois à l'hôpital. J'avais un peu peur avant de la revoir, mais finalement, j'ai trouvé qu'elle n'avait pas si mauvaise mine que ça. On a rigolé comme avant, même les médecins s'y sont mis pour nous raconter des blagues. Il y a même eu un moment où j'ai complètement oublié que j'étais à l'hôpital, et que ma meilleure copine était malade. Et puis au moment de partir, Leïla a sorti de sous les draps un doudou en forme d'éléphant et me l'a tendu en disant :

— Tiens, prends mon éléphant, comme ça, si tu veux qu'on se parle, même si je suis encore à l'hôpital, tu n'auras qu'à lui parler à lui, et tu verras, il te répondra, et ce sera un peu comme si c'était moi qui te répondais.

Leïla a fini par guérir. Ouf !
Il a fallu plusieurs mois, mais elle est revenue à l'école. Je vous raconte pas la tartine de leçons qu'elle a dû rattraper. C'était plus une tartine, c'était un méga super kebab XXL.
Maman m'a finalement dit le nom de la maladie que Leïla avait eue, un vrai nom barbare. Rien que de le prononcer, je vous jure, ça donne la fièvre. Il doit y avoir des maladies, comme ça, qu'on attrape rien qu'en essayant de prononcer correctement leur nom. ça pique la gorge, ça fait tousser, bafouiller, grimacer, éternuer. Stop !
Je vous l'écris quand même, mais je vous préviens, ce sera le seul truc sérieux dans cette histoire : la leucémie aiguë lymphoblastique. Autant dire que je l'ai rebaptisée la maladie du « lapin en plastique », c'est plus simple, et puis un lapin en plastique, pour ceux qui n'en ont jamais rencontré, c'est un peu une sorte de « Bugs Bunny » qui se prendrait pour un nain de jardin, alors c'est drôlement grave, faut le soigner tout de suite !

Depuis, avec Leïla, on a repris nos parties de rigolade, et quand on se dispute, je repense tout de suite à cette longue période où elle n'était pas là et tout de suite, on redevient copines.

Pour la vie.

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Image de Leïla
Illustration : Clémence Itssaga

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