Une rencontre pas comme les autres

Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Elle me répétait sans cesse que je vivais dans un autre monde, que je voyais toujours les choses différemment, comme si j'étais sur une autre planète.
Depuis toute petite, je rêvais d'un monde meilleur, un monde dépourvu d'injustice et d'inégalité. D'ailleurs, quand on me demandait quel serait mon unique souhait si je ne devais en avoir qu'un seul, je leur répondais : « je souhaite que l'injustice soit effacée de ce monde ».
Je croyais qu'une fois l'injustice disparaîtrait de cette planète, tous les autres problèmes se résorberaient aussi. J'étais tellement accrochée à ce rêve, à ce souhait, que je commençais déjà à construire dans ma tête mon petit monde à moi, ma petite planète où tous les hommes vivent égaux, où on dit non à toute forme d'injustice, où chaque enfant nait en paix et vit profondément son enfance. Cependant, les années passaient et plus je grandis et plus je me rendais compte que ce monde malheureusement n'existe pas. Plus je grandis, et plus je voyais ce rêve d'un monde meilleur encore très loin avant qu'il ne puisse devenir réalité. Je me questionnais sans cesse pourquoi l'homme s'est avéré être un loup pour l'homme, pourquoi l'humanité ne fait rien face à l'injustice, pourquoi malgré tous ces progrès, malgré toutes les organisations qui déclarent promouvoir la paix et l'égalité, nous ne sommes toujours que dans le même cercle vicieux de violence et d'injustice. Petit à petit je perdais espoir de voir un jour ce monde devenir un endroit meilleur. Je n'avais même plus cette envie de changer ce monde car je compris que seule je ne peux rien faire et que malheureusement la plupart des gens n'ont pas la même vision, jusqu'au jour où je fis une rencontre pas comme les autres...
C'était le 29 août 2020. Je me souviens à quel point je ne me sentais pas à l'aise à cette époque, l'explosion du 4 août au port de Beyrouth a en effet gardé un goût amer dans le cœur de chaque libanais. Personne n'arrivait à digérer ce qui s'était passé, des sentiments de rage, de tristesse, d'incompréhension se mêlaient dans nos esprits. En ce 29 août, j'étais toujours sous le choc de cette catastrophe. Vers l'après-midi je décidai de faire un petit tour dans un jardin situé près de ma maison, histoire de me ressourcer un peu auprès de la nature et vider ma tête de toutes ces ondes négatives qui ne m'avaient pas quittée depuis. Je m'assis sur l'herbe fraîche du jardin, et suis restée longtemps à contempler ma ville Beyrouth qui ne se situe qu' à quelques kilomètres de là. Le soleil commença à se coucher, je le regardais disparaitre peu à peu à l'horizon et espérais qu'il emporte avec lui la peine de mon peuple meurtri, la souffrance de ma ville détruite. Tout à coup, j'entendis une petite voix me dire : « Tu sais... quand on est tellement triste on aime les couchers de soleil». Je me retournai en direction de la voix, et à ma grande surprise vis un petit bonhomme déguisé en un drôle de costume. Il était vêtu d'un pantalon blanc avec des bottes, une longue veste verte et portait une épée par la main. Eh oui évidemment, qui ne l'aurait pas reconnu, c'est le costume du Petit Prince bien sûr ! Je souris en le voyant, il ressemblait tellement au Petit Prince avec ses cheveux dorés. Ce petit bonhomme me rappela mon enfance, je vis dans son regard l'innocence, la pureté que je recherchais sans cesse dans ce monde. Je luis dis alors : « Tu as un très joli costume, tu sais moi aussi j'aimais beaucoup le Petit Prince quand j'avais ton âge ». Il me fixait du regard bizarrement, puis vint et s'assit près de moi. Nous sommes restés un bon bout de temps sans rien dire, simplement contemplant le coucher du soleil. Puis, après un moment il reprit parole : « J'aime beaucoup les couchers de soleil, chez moi je peux les voir autant de fois que je le souhaite et quand je le veux». Je souris encore, ce petit bonhomme se prend vraiment pour le Petit Prince, mais je ne voulais pas le décevoir alors je décidai de me prendre aussi au jeu et lui dis : « Tu as beaucoup de chance, j'aimerai vraiment un jour venir visiter ta planète ». A cet instant il rétorqua : « Mais non, maintenant tu ne peux plus venir sur ma planète, tu es déjà une grande personne ». Je le regardais stupéfaite et, je ne sais pourquoi je me suis sentie vexée à ce moment-là. Pour la première fois, quelqu'un me reprocha de ressembler aux grandes personnes, moi à qui au contraire on disait toujours que j'étais différente d'eux, que je gardais toujours mon âme d'enfance. Puis il continua : « Mais tu n'es pas la seule, vous êtes tous rapidement devenus de grandes personnes, vous avez oublié vos rêves d'enfance, vous avez renoncé à vos désirs, à vos souhaits. Penses-tu qu'en venant simplement contempler les couchers de soleil tu pourras changer ce monde ? ». J'étais bouche bée en l'écoutant, d'un côté je ne comprenais pas d'où ce petit bonhomme sortait toute cette analyse, et d'un autre côté je réfléchissais à son discours qui me chamboula complètement. Mais oui, où est passé la petite fille qui rêvait de changer ce monde, qui s'était promise que coûte que coûte elle se battra contre l'injustice. Pourquoi me voilà aujourd'hui abattue, désorientée, oubliant mon plus grand rêve. Je répondis alors à ce mystérieux enfant : « Mais comment pourrais-je changer ce monde toute seule ? Penses-tu que quelques personnes seulement pourront faire face à toutes les injustices de ce monde ? ». Il hocha la tête, et soupira : « Tu vois que t'es devenue une grande personne ! ». A ce moment-là je commençai à m'énerver, pourquoi je donnais tellement d'importance à ce que disait ce petit enfant, ce n'est qu'un enfant au final, qu'a-t-il connu de ce monde. Je lui dis alors : « Il est facile d'avoir des rêves à ton âge et de croire qu'on pourra tous les réaliser, mais tu verras un jour tu grandiras et tu comprendras que la vie fonctionne différemment et que parfois nous sommes obligés d'accepter ce monde tel qu'il est car nous ne pourrons pas toujours changer les gens ». Il sursauta d'un coup et répliqua : « Mais oui tout justement, tu ne pourras pas changer les gens mais au moins ne laisse pas ce monde te changer à toi. Chez toute grande personne l'enfant qu'elle était sommeille toujours dans son âme, mais peu gardent cette âme d'enfance vivante et les violences du monde peuvent facilement éteindre cette flamme des temps de votre enfance». J'écoutais ce petit bonhomme et je ne comprenais pas ce qui m'arrivait, c'est drôle de le dire mais je commençais vraiment à me sentir en face du personnage qui a bercé mes nuits d'enfance et qui m'avait tant fait rêver. Le soleil était déjà complètement couché, le ciel s'était transformé en une palette de couleurs mariant rose, violet, et bleu. Le petit que j'ose maintenant nommer Petit Prince poursuivit son discours avant de me quitter, et me dit des paroles qui raisonnent toujours dans mes oreilles : « Aie confiance en la voix qui t'interpelles du fond de ton être, n'oublie jamais tes rêves, ne renonce jamais. Je ne dis pas que la route est facile mais au moins ne renonce pas. Tu rencontreras en cours de chemin beaucoup d'autres personnes animées par les mêmes envies, encourage les à poursuivre leurs rêves, et ensemble vous pourrez construire un monde meilleur. Peut-être pas un monde parfait mais au moins un monde meilleur et ça c'est déjà mieux que rien». Et sur ces propos, il me quitta. En voyant sa silhouette s'éloigner je lui demandai : «Veux-tu que je t'accompagne vers ta maison?
- Ma maison est trop loin de là, me dit-il, et tu as une mission à accomplir, mais ne t'inquiète pas quand tu auras besoin de moi regarde le ciel au-dessus de toi et quand tu verras une étoile qui brille intensément sache que je suis avec toi ».
A ce moment, et comme dans un rêve je m'écriai: « Merci Petit Prince ! », et alors il rit d'un rire que je crois que toute personne qui l'ait connu le reconnaitra...