Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Pour une enfant, et après, en tant que jeune adolescente, être différente c'est un privilège, une autre façon de dire « j'existe, regarde je suis là ».
C'était l'expression de ma rébellion contre mes parents, contre la société, contre le monde adulte entièrement incompréhensible pour moi à l'époque.
Quand ma mère soulignait ma différence, en espérant qu'un jour je changerais, je serais comme ma sœur aînée plus calme, plus sage, et peut-être plus intelligente. J'étais contente qu'elle me vît comme cela différente. J'ignorais que cet adjectif ferait toujours partie de ma vie. Maintenant, j'ai 26 ans et être différente à cet âge-là ce n'est pas forcément une chose que l'on cherche à être. Être différent c'est être bizarre aux yeux des autres, être exclue quelquefois, vivre avec un sentiment de solitude même au moment où vous êtes le mieux entouré
Mais définir la signification concrète d'une personne normale cela reste une sorte d'énigme. Qui a vraiment le pouvoir ou même le devoir de définir la norme ? La société ? La culture ? Les principes ? Des noms qui sont utilisés plus dans leur sens figuré que dans leur sens propre. Est-ce qu'on peut vraiment définir la société ? Est-ce qu'en réalité il y a une phrase qui peut définir la société française par exemple ? Une société à cent facettes. Je me perds encore une fois dans mes idées. Je cherche qui est la première personne ayant utilisé ce mot et dans quel contexte, je tape sur Google "qui est la première personne qui a utilisé le mot « société »". Aucune réponse n'existe. Apparemment, il n'y a que moi qui suis intéressée par cette question, "ce n'est pas trop étonnant que les gens pensent que je suis bizarre", me dis-je à voix haute.
Heureusement, personne n'est là, je suis toute seule dans mon appartement lillois. Cela fait plus de 6 mois que je suis à Lille, et à peu près deux ans que je suis en France. Un projet d'immigration qui a pour but de continuer mon master en journalisme. Projet d'immigration ou d'expatriation ? Encore une question de langue, et de point de vue. Comme je viens de Syrie, pays du tiers monde, je vais rester sur le choix du terme immigration, laissant le plaisir pour les habitants du premier monde d'utiliser l'autre mot.
C'était un choix de changer le pays, ce n'était jamais une obligation comme tout le monde le pense. Faire des études en France, c'est une autre étape pour concrétiser mon rêve, devenir journaliste internationale. Un rêve qui date depuis longtemps avant la guerre dans mon pays, et qui va se poursuivre longtemps après.
Mais dans ma vie quotidienne en France, c'est presque impossible que les gens me perçoivent comme cela, pour eux, c'est plus facile de coller des étiquettes aux fronts des femmes comme moi : une jeune femme syrienne, qui a fui la guerre, comme des millions d'autres personnes, qui sont venues en Europe ces dernières années.
J'ai l'habitude maintenant de ce regard de pitié quand je dis ma nationalité " Ah, tu es syrienne tu n'en as pas l'air ! » Comme s'il y avait des caractéristiques qui différencient les Syriens des habitants du reste des pays du monde, après suit une liste de questions dont l'ordre diffère selon la personne et sa capacité à accepter les étrangers « Tu es réfugiée ? » « Tu es musulmane ? » « Tu as besoin d'un avocat pour tes papiers ? »
Des questions dont la réponse est non, non et non. Même si j'aurais été honorée et fière de répondre oui, mais ce n'est pas mon histoire. Oui, il est possible d'être syrienne sans être réfugiée ni musulmane. Même si c'est rare, mais moi je suis là, j'existe, et je ne suis pas extraterrestre comme ma mère le pensait quand j'étais petite.
Après ces questions fermées auxquelles je réponds toujours brièvement, faute d'envie de raconter ma vie à tous les êtres humains ; c'est le tour des questions avec des buts éducatifs expliquant les choses les plus basiques en France comme « Tu vois qui est Victor Hugo ? » « Tu connais Charles de Gaulle ? » « Tu me comprends quand je parle français sinon je peux parler plus lentement ? » Tout en ignorant le fait que je suis une étudiante en journalisme, la filière où la maîtrise de la langue française est plus que nécessaire, et que même en Syrie on étudie l'histoire de la France ainsi que la littérature française et l'œuvre de Victor Hugo.
C'est dur de vivre cela au quotidien, de toujours défendre mon identité, qui je suis, d'être identifiée à des idées toutes faites qui ne me ressemblent pas.
Depuis la première journée en France, j‘ai été l‘objet d'un combat de nature identitaire. Un combat que je dois mener pas seulement envers les autres, mais aussi envers moi-même. À force de répétition, tu finis par croire ce que les autres voient en toi et tu oublies qui j'étais avant de quitter ton pays. Je me demande si le visage qui apparaît dans le miroir m'appartient vraiment, « Est-ce vraiment moi ? » La réponse n'est pas évidente. Dans une vie parallèle, peut-être un peu plus jolie que celle-là, dans laquelle la guerre n'aurait pas eu lieu en Syrie, ce combat aurait pu être plus facile. Et mon histoire aurait pu ressembler à celle de n'importe quel étranger en France.
En vrai, je n'ai pas le droit de juger la première impression que je peux donner aux gens. Malheureusement, la Syrie, pays de guerre, évoque toujours le déménagement forcé, la misère, les bombardements. Après dix ans de guerre, c'est compréhensible que les Français mettent tous les Syriens dans une même case.
Si un jour, j'étais tombée sur un Français à Damas, aurais-je pu prendre le même rôle éducatif, en lui expliquant qui était le président, et qu'il y avait une guerre dans ce pays, toutes les informations basiques. J'aurais pu aussi le mettre dans la case « Européen bourgeois gâté » selon l'idée que les Syriens se font des Européens.
C'est étonnant à quel point on ressemble aux autres, même si l'on vient de pays et de cultures différentes. Nos chemins de pensée restent, plus ou moins, les mêmes. Cependant, la chance de trouver un Français à Damas est réduite à moins de 1%, particulièrement ces dernières années.
Ce qui est bien dans l'écriture c'est que je peux créer des scénarios qui n'existent pas dans la vie réelle. Donner à toutes les personnes les mêmes opportunités dans la vie, d'oser voir comment on pourrait être dans une autre vie, dans un autre pays et entourée par d'autres gens. En même temps, c'est la double peine. Après avoir fermé le cahier et posé le stylo sur la table. Le retour à la vie quotidienne semble difficile et triste en même temps, après une sortie échappatoire à travers des mots bien choisi et des images appartenant à une vie fictive.
L'envie me tente encore une fois d'ouvrir ce cahier, et de me plonger dans le scénario idéal de ma vie. Mais mon cerveau a pris la décision " Non, il faut que tu sortes de ta chambre, ça ne sert à rien de rester là coincée derrière un bureau, la vie n'est pas là. C'est en sortant que tu vas vraiment vivre". En général, je n'écoute pas ce que me dit mon cerveau, ce sont mes sentiments qui prennent les rênes de ma vie. Cette fois, je change la règle, j'écoute mon cerveau, je sors de ma chambre, et je commence une nouvelle journée. Dehors, il fait soleil, mes yeux n'y sont pas accoutumés. C'est alors que je me rends compte que cela fait au moins deux jours que je suis enfermée chez moi. Je me sens coupable envers moi-même. « Comment en suis-je arrivée là, c'était pourtant bien mon rêve de venir ici ».
Une grande envie de vivre commence à me posséder.Je marche, je marche un peu vite. Je cherche des expériences à vivre, mauvaises ou bonnes, qu'importe. À la fin, les mauvaises expériences inspirent souvent des histoires capables de toucher plus de personnes que les bonnes.
Quand j'aurai 80 ans je n'ai pas envie de dire que j'ai vécu une vie facile, joyeuse où tout allait bien, mais plutôt de dire j'ai vécu une vie qui méritait d'être expérimentée.
C'était l'expression de ma rébellion contre mes parents, contre la société, contre le monde adulte entièrement incompréhensible pour moi à l'époque.
Quand ma mère soulignait ma différence, en espérant qu'un jour je changerais, je serais comme ma sœur aînée plus calme, plus sage, et peut-être plus intelligente. J'étais contente qu'elle me vît comme cela différente. J'ignorais que cet adjectif ferait toujours partie de ma vie. Maintenant, j'ai 26 ans et être différente à cet âge-là ce n'est pas forcément une chose que l'on cherche à être. Être différent c'est être bizarre aux yeux des autres, être exclue quelquefois, vivre avec un sentiment de solitude même au moment où vous êtes le mieux entouré
Mais définir la signification concrète d'une personne normale cela reste une sorte d'énigme. Qui a vraiment le pouvoir ou même le devoir de définir la norme ? La société ? La culture ? Les principes ? Des noms qui sont utilisés plus dans leur sens figuré que dans leur sens propre. Est-ce qu'on peut vraiment définir la société ? Est-ce qu'en réalité il y a une phrase qui peut définir la société française par exemple ? Une société à cent facettes. Je me perds encore une fois dans mes idées. Je cherche qui est la première personne ayant utilisé ce mot et dans quel contexte, je tape sur Google "qui est la première personne qui a utilisé le mot « société »". Aucune réponse n'existe. Apparemment, il n'y a que moi qui suis intéressée par cette question, "ce n'est pas trop étonnant que les gens pensent que je suis bizarre", me dis-je à voix haute.
Heureusement, personne n'est là, je suis toute seule dans mon appartement lillois. Cela fait plus de 6 mois que je suis à Lille, et à peu près deux ans que je suis en France. Un projet d'immigration qui a pour but de continuer mon master en journalisme. Projet d'immigration ou d'expatriation ? Encore une question de langue, et de point de vue. Comme je viens de Syrie, pays du tiers monde, je vais rester sur le choix du terme immigration, laissant le plaisir pour les habitants du premier monde d'utiliser l'autre mot.
C'était un choix de changer le pays, ce n'était jamais une obligation comme tout le monde le pense. Faire des études en France, c'est une autre étape pour concrétiser mon rêve, devenir journaliste internationale. Un rêve qui date depuis longtemps avant la guerre dans mon pays, et qui va se poursuivre longtemps après.
Mais dans ma vie quotidienne en France, c'est presque impossible que les gens me perçoivent comme cela, pour eux, c'est plus facile de coller des étiquettes aux fronts des femmes comme moi : une jeune femme syrienne, qui a fui la guerre, comme des millions d'autres personnes, qui sont venues en Europe ces dernières années.
J'ai l'habitude maintenant de ce regard de pitié quand je dis ma nationalité " Ah, tu es syrienne tu n'en as pas l'air ! » Comme s'il y avait des caractéristiques qui différencient les Syriens des habitants du reste des pays du monde, après suit une liste de questions dont l'ordre diffère selon la personne et sa capacité à accepter les étrangers « Tu es réfugiée ? » « Tu es musulmane ? » « Tu as besoin d'un avocat pour tes papiers ? »
Des questions dont la réponse est non, non et non. Même si j'aurais été honorée et fière de répondre oui, mais ce n'est pas mon histoire. Oui, il est possible d'être syrienne sans être réfugiée ni musulmane. Même si c'est rare, mais moi je suis là, j'existe, et je ne suis pas extraterrestre comme ma mère le pensait quand j'étais petite.
Après ces questions fermées auxquelles je réponds toujours brièvement, faute d'envie de raconter ma vie à tous les êtres humains ; c'est le tour des questions avec des buts éducatifs expliquant les choses les plus basiques en France comme « Tu vois qui est Victor Hugo ? » « Tu connais Charles de Gaulle ? » « Tu me comprends quand je parle français sinon je peux parler plus lentement ? » Tout en ignorant le fait que je suis une étudiante en journalisme, la filière où la maîtrise de la langue française est plus que nécessaire, et que même en Syrie on étudie l'histoire de la France ainsi que la littérature française et l'œuvre de Victor Hugo.
C'est dur de vivre cela au quotidien, de toujours défendre mon identité, qui je suis, d'être identifiée à des idées toutes faites qui ne me ressemblent pas.
Depuis la première journée en France, j‘ai été l‘objet d'un combat de nature identitaire. Un combat que je dois mener pas seulement envers les autres, mais aussi envers moi-même. À force de répétition, tu finis par croire ce que les autres voient en toi et tu oublies qui j'étais avant de quitter ton pays. Je me demande si le visage qui apparaît dans le miroir m'appartient vraiment, « Est-ce vraiment moi ? » La réponse n'est pas évidente. Dans une vie parallèle, peut-être un peu plus jolie que celle-là, dans laquelle la guerre n'aurait pas eu lieu en Syrie, ce combat aurait pu être plus facile. Et mon histoire aurait pu ressembler à celle de n'importe quel étranger en France.
En vrai, je n'ai pas le droit de juger la première impression que je peux donner aux gens. Malheureusement, la Syrie, pays de guerre, évoque toujours le déménagement forcé, la misère, les bombardements. Après dix ans de guerre, c'est compréhensible que les Français mettent tous les Syriens dans une même case.
Si un jour, j'étais tombée sur un Français à Damas, aurais-je pu prendre le même rôle éducatif, en lui expliquant qui était le président, et qu'il y avait une guerre dans ce pays, toutes les informations basiques. J'aurais pu aussi le mettre dans la case « Européen bourgeois gâté » selon l'idée que les Syriens se font des Européens.
C'est étonnant à quel point on ressemble aux autres, même si l'on vient de pays et de cultures différentes. Nos chemins de pensée restent, plus ou moins, les mêmes. Cependant, la chance de trouver un Français à Damas est réduite à moins de 1%, particulièrement ces dernières années.
Ce qui est bien dans l'écriture c'est que je peux créer des scénarios qui n'existent pas dans la vie réelle. Donner à toutes les personnes les mêmes opportunités dans la vie, d'oser voir comment on pourrait être dans une autre vie, dans un autre pays et entourée par d'autres gens. En même temps, c'est la double peine. Après avoir fermé le cahier et posé le stylo sur la table. Le retour à la vie quotidienne semble difficile et triste en même temps, après une sortie échappatoire à travers des mots bien choisi et des images appartenant à une vie fictive.
L'envie me tente encore une fois d'ouvrir ce cahier, et de me plonger dans le scénario idéal de ma vie. Mais mon cerveau a pris la décision " Non, il faut que tu sortes de ta chambre, ça ne sert à rien de rester là coincée derrière un bureau, la vie n'est pas là. C'est en sortant que tu vas vraiment vivre". En général, je n'écoute pas ce que me dit mon cerveau, ce sont mes sentiments qui prennent les rênes de ma vie. Cette fois, je change la règle, j'écoute mon cerveau, je sors de ma chambre, et je commence une nouvelle journée. Dehors, il fait soleil, mes yeux n'y sont pas accoutumés. C'est alors que je me rends compte que cela fait au moins deux jours que je suis enfermée chez moi. Je me sens coupable envers moi-même. « Comment en suis-je arrivée là, c'était pourtant bien mon rêve de venir ici ».
Une grande envie de vivre commence à me posséder.Je marche, je marche un peu vite. Je cherche des expériences à vivre, mauvaises ou bonnes, qu'importe. À la fin, les mauvaises expériences inspirent souvent des histoires capables de toucher plus de personnes que les bonnes.
Quand j'aurai 80 ans je n'ai pas envie de dire que j'ai vécu une vie facile, joyeuse où tout allait bien, mais plutôt de dire j'ai vécu une vie qui méritait d'être expérimentée.