Son combat à elle

« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître. » Par ces mots, elle réaffirmait sa détermination de ne pas accorder à ce monsieur, qui, comme ce charlatan de quartier, parce qu'il vendait quelques comprimés attendait qu'on l'appelle docteur, son appellation de Maître.
Pour elle, plus qu'un mot ou un titre attribué, maître emportait l'idée de la personne même, de la prestance, de l'honneur et d'un comportement digne d'être respecté et imité. Ce n'était pas sa première altercation avec ce genre de personne. Sa détermination n'en avait pourtant pas été altérée, tout au contraire, elle en ressortait plus forte. Les idéaux et les valeurs qui l'habitaient étaient murés d'un édifice solide qui, au fil des difficultés, en ressortait plus solide. Témoin cet épisode où alors qu'elle en était à ses débuts, avait mis à rude épreuve ses idéaux. D'une famille pauvre, habitée dès son plus jeune âge du souhait intense de faire la différence de par son éducation, ses croyances et sa formation, avait nourrit cet espoir dans son choix de carrière. L'argent était un besoin, mais jamais une obsession. Le conseil reçu dès son premier jour et qui pouvait sembler judicieux était : « si tu veux aller loin dans ce métier, apprends à ne t'occuper que de tes propres affaires, sois au service des patrons, peu importe ce qu'ils te demandent et sache t'arrêter lorsque les intérêts d'un ‘capo' sont en jeu, fais-le et tu ne le regretteras pas. » Comme pour influer sur la conscience de sa jeune collègue qu'elle sentait hardie, cette greffière du second âge rajouta : «  je vois en toi beaucoup de potentiel, tu es jeune et belle, la vie va te sourire, mais tâche de suivre mon conseil. » il ne fallu pas beaucoup de temps pour éprouver ces paroles. Il lui fallu quelques nuits blanches pour la décider à aller vers son supérieur, sur ce qui semblait être, dans un dossier, une erreur. « Grâce à vous, un innocent ne se retrouvera pas derrière les barreaux, félicitations à vous mademoiselle. Pour une première intervention, elle est tombée à pic. Cette personne vous inviterait sans aucun doute au restaurant. » « Merci M. c'est pour cela que j'ai décidé de faire ce travail » dit-elle. En ressortant tout émue, des paroles l'arrêtèrent : « Ce genre ‘d'erreur' ne devrait plus se reproduire. Faites-moi venir le maître en charge de cette affaire ! » Ce dernier n'était nul autre que son chef d'équipe...
Au-delà de tout ceci, sa plus grande récompense était de voir les personnes qu'elle avait pu aider toutes souriantes, satisfaites de voir leurs droits respectés et justice rendue. Avoir cette personne qui s'intéressait réellement à elles juste parce qu'elles étaient tout d'abord des êtres humains.
Elle finit par fonder son propre cabinet qui lui permettrait d'agir et d'aider sans les entraves du système ou de la hiérarchie. Cela ne se fit pas sans heurte. Les ‘maîtres' face auxquels elle avait exprimé sa désapprobation quant à leur déontologie ne lui avaient offert aucun soupir. L'un d'entre eux en est allé au point de monter une affaire qui a semblée solide car montée de toutes pièces avec des preuves et des témoins fictifs.
Dans cette affaire qui a faillie avoir raison d'elle, elle était accusée de n'apporter toute son aide à toutes ces personnes que par amour d'un gain malhonnête et disproportionné. Il l'accusait de s'enrichir secrètement sur le dos de ses clients tout en faisant croire le contraire. Il a monté des personnes qui diraient avoir été ses clientes et que pour arrangement, ce qui devait rester secret, elle recevrait 70% des gains si jamais l'affaire était tranchée en leur faveur. Qu'elle leur faisait croire qu'elle était leur seul espoir et qu'ils ne trouveraient pas meilleure offre ailleurs au vu du cas désespéré de leurs affaires.
Ce fut pour elle un moment bouleversant qui la poussa un moment à s'interroger sur les raisons qui la motivaient dans ses actions. Si elle avait bien fait de venir en aide à toutes ces personnes. Et là lui revenait le conseil qu'elle avait reçu son premier jour de travail de la part de cette collègue du second âge et se demandait si elle n'aurait pas bien fait de le suivre. Elle pensa un instant à tout arrêter, en plus que cela ne changerait pas grand-chose, puisque de toutes les façons, son droit d'exercer lui serait retirer à la vue d'une telle affaire et pire encore, elle risquait la prison. « La prison », cette idée la terrorisait, non du fait de l'endroit en lui-même. Elle s'était toujours dit et même préparée au fait que ses actions pourraient un jour l'y conduire, mais jamais elle ne pensait y aller du fait d'accusations pour avoir fait des choses qu'elle n'aurait même jamais imaginées. Toute sa carrière lui repassait en boucle. Les bons comme les mauvais moments. Une bouteille de whisky ouverte, un verre à moitié plein, un paquet de cigarette encore fermé. Elle n'a jamais fumé, mais elle a entendu et vu des personnes qui en parlaient comme d'un calmant, comme d'un thérapeute pour oublier. Elle en connait les méfaits, la preuve est que toute petite, son père qui était un alcoolique invétéré et un fumeur les avait abandonnés sa maman ainsi que ses frères et sœurs, c'est d'ailleurs l'une des raisons majeures de son combat, de ses peines, de sa détermination. Assise là, à même le sol dans cette semi obscurité de son appartement, cette idée de son père lui revient, d'un geste brusque elle balance, après l'avoir broyé, le paquet de cigarette dans la poubelle, se lève et va vider son verre à moitié plein et le reste de la bouteille dans l'évier de la cuisine. Après un long bain, qui sera comme un nettoyant pour ses idées, elle prend de nouvelles dispositions. Au sorti de son bain, le mur portant les photos retraçant sa carrière, ses combats, ses aspirations sont là. Elle se replonge passionnément dans chacune de ces scènes, revit chacun de ces instants, ressent à nouveau chacune de ces émotions. Et là elle est convaincue de n'avoir pas commis d'erreur, elle a fait le bon choix, en fait, son regret en ce moment est de n'avoir pas pu faire plus jusque-là. Mais pour pouvoir poursuivre sur cette voie et continuer à aider le maximum de personnes, il faudrait pour elle en la circonstance, se battre, s'aider elle-même.
Grande est sa surprise le lendemain lorsqu'elle passe la porte de son cabinet. Il n'y a pratiquement pas où mettre le pieds. Il est rempli par collègues, employés, amis et en grande majorité par une foule de personnes qu'elle a aidé durant toute sa carrière. Tous sont là pour lui apporter leur aide. C'est un tableau vivant qui lui arrache des larmes. Pour elle, c'est la récompense suprême. Tout son travail, toutes ses batailles, toutes ces personnes... elle ne pouvait espérer mieux. L'émotion fera vite de laisser place à la raison, il faut se mettre au travail. Monter un dossier comme on dit dans ce contexte « en béton ». Elle finira, après un procès assez médiatisé, par avoir gain de cause.
Cette affaire donnera un souffle nouveau à son cabinet. Elle qui avait toujours voulu aider le plus de personnes possible, se voyait offrir, grâce à la couverture médiatique de l'évènement, une publicité gratuite. Le téléphone n'arrêtait plus de sonner, on appelait de partout. Bientôt, il a fallu s'adapter à cette célébrité. Sa prière était exaucée. Il fallait à présent faire le tri dans les affaires sans en négliger une . Elle devint peu à peu le visage de l'héroïne qui donne de l'espoir à tout un peuple. Elle s'était promis de ne faire aucune distinction parmi les personnes car pour elle, ce n'est pas l'appartenance qui déterminait le fait d'avoir raison ou pas.
Une carrière riche se bâtie de bons, mais aussi de moments difficiles. Des ‘maîtres' elle en aura rencontré. Son respect, elle ne l'aura pas accordé à tous. Apporter son aide tout d'abord parce qu'on est humain, respecter l'autre parce que c'est une personne et pas d'abord parce que c'est une personnalité.