Quelle heure est-il, Trésor ?

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7 h 57. Je peux voir les lumières de la rue à travers les persiennes fermées. Il gèle à pierre fendre dehors ce matin. Dans la chambre douillette, sombre et silencieuse, Émilie dort à côté de moi, tranquillement, comme un bébé. De là où je suis, je ne peux voir que sa chevelure brune sortant de la couette couleur crème. J'adore la regarder dormir.

7 h 58. Je me souviens du jour de notre première rencontre. Nous nous étions vus l'un l'autre dès qu'elle entra dans le magasin. C'était l'un de ces magasins bric-à-brac où vous pouviez trouver à peu près tout. Elle circula dans les allées quelques instants. Puis me fixa du regard, attentivement. Elle partit. Puis revint, d'un air décidé et se dirigea vers moi. Dix minutes plus tard, nous quittions le magasin, ensemble.

7 h 59. Nous vivons ensemble depuis 12 ans. Je n'ai jamais plus regardé quelqu'un d'autre. Je pense à cette relation si spéciale que j'entretiens avec Émilie. Nous parlons à peine ; je peux passer des heures à ne faire que la regarder travailler ou regarder la télé, elle me jetant régulièrement des coups d'œil en coin. Ce regard qu'elle a toujours pour moi, qui lui est si caractéristique, est gravé à jamais dans ma mémoire.

8 h 00. Il est l'heure pour elle de se lever. Je commence avec douceur à lui chanter une chanson, sa préférée. Elle attend quelques secondes, puis me tapote tendrement du bout de ses doigts, comme elle le fait toujours. Elle entrouvre ses yeux embrumés et me regarde. Puis elle se retourne et se rendort, disparaissant sous la couette.
Il fait encore sombre dehors et je sais que c'est difficile pour elle de se lever. Je lui laisse encore un peu de temps, dix minutes de plus.

8 h 10. Les dix minutes se sont écoulées. Je chante de nouveau la chanson préférée d'Émilie, très doucement au début puis un peu plus fort afin d'être sûr qu'elle m'entende, mais tout ce que j'obtiens c'est une nouvelle bourrade et un regard embué avant qu'elle ne se retourne et ne se rendorme.
De nouveau, je lui accorde dix minutes de plus. Je ne suis pas surpris ; c'est le même scénario tous les jours, du lundi au vendredi. C'est une sorte de rituel auquel nous nous livrons chaque matin à 8 h 00, à la seconde près. Nous jouons ce petit jeu depuis des années et il n'y a pas de raison que cela change.

8 h 20. Je sais que je ne peux rien espérer d'autre qu'une nouvelle bourrade et de nouveau un regard furtif mais je dois le faire, sinon elle m'en voudrait. Cette fois, elle ne me laisse même pas terminer la première phrase de la chanson. Bourrade puis regard, mais cette fois, elle saute hors du lit et se précipite dans la salle de bain.
Quelques minutes après, elle en ressort et s'habille rapidement.

8 h 32. Au moment où elle saisit ses clefs et son sac, elle me jette un regard contrarié. Elle est en retard. Elle me regarde toujours de cette façon lorsqu'elle est en retard. Elle rejette la responsabilité sur moi, en étant en même temps totalement consciente que je ne peux rien y faire, mais je l'aime, telle qu'elle est.
Sans dire un mot, elle sort en courant comme si l'immeuble était en feu. La porte claque. J'entends le bruit de ses talons aiguilles sur le trottoir s'estompant au fur et à mesure qu'elle s'éloigne. L'appartement est soudain plongé dans un silence sans vie.
Je passe la totalité de cette morne journée à proximité du lit, perdu dans mes pensées. Je suis d'une humeur de dogue. Il pleut toute la journée. J'ai bien remarqué qu'Émilie avait changé au cours des dernières semaines. Je le sens. Elle rentre de plus en plus tard et semble préoccupée. Peut-être voit-elle quelqu'un.

21 h 00. Émilie n'est pas rentrée pour dîner mais je commence à m'y habituer. Le fait qu'elle puisse voir quelqu'un me tarabuste depuis quelques jours.

Minuit. Toujours pas là. Peut-être lui est-il arrivé quelque chose. Je commence à m'inquiéter. Elle a pu avoir un accident ; elle a pu être attaquée en rentrant à la maison. Ou peut-être n'a-t-elle pas prévu de rentrer cette nuit.

1 h 42. J'entends soudain un bruit de clefs dans la serrure, ses clefs. J'ai entendu ce bruit si souvent qu'il me semble pouvoir le reconnaître entre mille. Je me suis fait tellement de souci. Quel soulagement ! Maintenant, je sais qu'elle va se déshabiller, comme d'habitude, et se glisser dans le lit, juste à côté de moi.

Mais cette fois, elle n'est pas seule. Je suis à peu près sûr d'entendre la voix d'un homme. Ils plaisantent ensemble et j'entends leurs gloussements étouffés. C'est comme si je recevais un uppercut. Je réalise soudain que je ne l'ai jamais vue heureuse. Peut-être n'aime-t-elle pas la vie qu'elle mène. Mais que puis-je y faire, après tout ? Je fais déjà le maximum.

Ils entrent dans la pièce, sans allumer la lumière. Il fait si sombre que je ne peux pas les voir. Ils ne me remarquent pas non plus. Ils se déshabillent mutuellement, doucement, leur souffle devenant plus court et plus bruyant. Je contemple la scène, immobile, horrifié.

— Tu peux me rendre un service, trésor ? dit-elle à voix basse, coupe l'alarme du réveil. Demain, c'est samedi.

J'ai juste le temps de voir une grosse main... me mettre sur « off ».

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