Cet ourlet flammé
un soir au velours des roses
le coupable en fuite
Né au tout début du vingt-et-unième siècle, Fiacre est le cinquième enfant d'une fratrie remuante et peu docile.
À sa naissance, il n'a pas reçu le don de la richesse, de l'ambition, ni du pouvoir. Mais en plus d'une intelligence suffisante pour comprendre la place modeste et envahissante des humains dans les rouages de la machinerie universelle, il possède la capacité de traduire le langage des animaux et des plantes en langue vernaculaire.
Cela a contribué à sa vocation, qui très tôt le poussa à exercer une profession en contact étroit avec la Terre.
Employé municipal au Grand Jardin attenant au Muséum d'Histoire Botanique, Fiacre a découvert des phénomènes tout simplement extraordinaires, propres à enrichir nos connaissances sur le peuple de l'ombre, les animaux du sol et du sous-sol, des airs et des taillis.
Le jardinier Fiacre entretient un dialogue permanent avec les arbres de « son » domaine. Le grand ginkgo biloba lui confie :
Dans ma feuille, deux ne font qu'un.
Je suis l'arbre des amoureux.
C'est moi l'arbre aux quarante écus,
Mille m'en attribuent certains.
Le cèdre du Liban, planté lorsque Victor Hugo trottinait à peine dans sa barboteuse, le toise du haut de ses trente-et-un mètres, l'abrite sous ses branches de trente-cinq mètres d'envergure et lui parle des hôtes très inattendus qu'il héberge : un tout récent pullulement de perruches, espèce invasive, piaillante et polluante. Elles sont si bavardes qu'il peine à distinguer ce qu'elles souhaitent lui dire, tout au plus perçoit-il un bruit de fond :
Vertes feuilles bien charnues,
Nous voilà, les ingénues.
Toujours un mot à placer
Qui voudrait donc s'en passer ?
Chaque jour qui naît lui réserve ce genre de surprise.
Un matin par exemple, il essaye d'aplanir une pelouse bien ravagée par les taupinières.
« Les taupes poussent, le gel a la frousse », comme dit son chef qui a toujours le mot de la situation, car c'est le chef.
Les monticules de terre marquent l'arrivée du printemps, signent le surcroît de travail pour l'artisan du sol.
C'est alors que l'employé s'entend interpeller par une petite voix mutine.
— Hep là, mon Fiacrounet, qu'est-ce qui t'arrive ? Tu ne comptes tout de même pas nous chasser sous prétexte qu'on évacue quelques matériaux de déblai ?
Terre de taupinière, bonheur de tes primevères, mon p'tit père.
Terre de galeries passée au tamis, régal pour tes semis, mon ami.
Écoute-nous, mon p'tit gars, nous vir' pas avec pertes et fracas !
La taupe se prend-elle pour La Fontaine, pour l'almanach Vermot, pour la biche aux abois, ou le phénix des hôtes de ces bois ? Elle veut juste lui faire comprendre que ses galeries, c'est pas de la diablerie... Il faut qu'il se le tienne pour dit.
Fiacre, énervé, rétorque : je vais y réfléchir.
Et se tourne vers d'autres tâches : cela ne manque pas. Les rosiers viennent de lui susurrer qu'ils ont besoin d'une coupe de cheveux, rien de plus normal. Les plants de framboisiers qui attendent patiemment dans la resserre, lui font savoir par des crissements acides leur hâte de lui faire une fleur.
Les taupes, omniprésentes, ne tardent pas à se manifester à nouveau.
— Fiacrounet, ouvre bien tes esgourdes, reprend leur chef des opérations, le père Lallu. À ses côtés la jolie Mirette, sa fidèle épouse, lui donne de grands coups de museau, l'air de rien, essayant de le censurer.
— Je suis tout ouïe.
Lallu reprend sans tenir compte des semonces de sa Mirette aux yeux myopes.
— Alors on va t'informer d'un secret encore bien gardé mais qui pourrait vous sortir d'affaire. On vous a entendus vous plaindre, vous lamenter de cette histoire de course au gaz, de coupure obligée de robinet de tyran, de prix énormes, de glagla dans vos maisons...on n'a pas tout compris mais nous les taupes, nous sommes toujours bien informées, toujours en pointe à guetter l'info. On ne pouvait pas vous laisser en plan. Tu sais que nous construisons nos galeries pour nous nourrir en parfaite harmonie avec nos amis les vers de terre qui apportent leur généreuse contribution volontaire à notre survie dans vos jardins ? Leurs turricules, vus d'en bas, ont de jolies formes mais au-delà de l'esthétique, pourraient bien être une source d'énergie, et par le travail de labourage qu'ils fournissent, te faire économiser du carburant et de l'huile de coude !
En ce qui nous concerne, nous avons aménagé une salle d'entraînement, et nous pédalons quotidiennement sur de petits vélos équipés de génératrices pour fournir de l'électricité verte.
Vous vous plaignez de ce climat qui vous joue des tours, vous fait perdre vos récoltes, ce temps si capricieux, avril en février, janvier en avril ! Oh pour nous ça ne change guère là-dessous : grâce à notre système, nos galeries sont climatisées, on veut bien vous présenter notre modèle,sans copyright et sans droits d'auteur.
Nous avons nos ingénieurs, nos techniciens, nos pros du réseau de distribution. Pour l'instant c'est à petite échelle mais si toutes les taupes du monde pouvaient se donner la patte, imagine ! Tous les maîtres-chanteurs de la Terre seraient bons pour la retraite définitive. Plus de dépendance énergétique, plus de pollution, plus de guerre...
— Oh là, chef taupier, tu ne t'emballes pas un peu ? Plus de guerre ?
— Bon, je reconnais, je vais un peu vite en besogne. Mais ma vie souterraine, je la borde de rêves, je la tapisse de projets d'avenir. Tiens, regarde donc les bousiers. Enfin, regarde, façon de parler, car moi je les renifle, et je sais qu'ils transportent une certaine matière qu'ils roulent en boule devant eux... ce sont nos méthaniers à nous, tu me suis ? Produire de l'énergie, de l'engrais, c'est faire d'une bouse deux courses...et nous ne manquons pas d'en tirer profit pour faire fonctionner notre clim'.
Mémé Taupinette, ma pauvre ancêtre dont la fourrure vint caresser de douceur la gorge d'une courtisane, m'enseignait cette comptine en l'honneur des bousiers, les vincents :
« Saint Vincent, donne-moi ton sang rouge, j'te donnerai mon sang blanc ». Elle racontait que c'était un jeu d'enfant, étonnant, un peu répugnant. Mais peut-être précurseur de mon idée d'utiliser ces insectes pour fournir de l'énergie.
De même pour les scarabées : Sous leur exosquelette mordoré, ils s'affairent au jardin. Quand ils volent, leurs ailes postérieures font office d'éoliennes et de ventilateurs.
Et leurs élytres, elles, pourraient tenir tête à une armée avec leurs boucliers !
Fiacre a donc conclu un pacte avec les taupes et les bousiers dans le but d'une gestion durable du Jardin dont il a la charge.
Et dans le bassin, depuis que les taupes l'ont briefé, il a mis des poissons-torpilles capables de produire du courant, des raies et des poissons-chats électriques...
Une ruche abrite des frelons d'Orient : ils transforment l'énergie solaire en électricité, ce sont des panneaux solaires vivants.
Fiacre s'esbaudit, en est tout ébaubi, s'émerveille. Que vont lui enseigner encore les habitants de son Jardin ? Il le contemple et voilà que tout se mélange. Les fleurs et les fruits font la révolution, se moquant bien des saisons.
Croquilles et horlitzias, rosoines et prunisiers, dalhianthèmes, bigniofeuilles, camélilas, olimins, ciranges, magniolinthes, primesols, toute une symphonie où le bleu profond et le rouge vif, le jaune d'or et le vert émeraude laissent se fondre en eux les tons pastel comme des caresses, les ocres telles des griffures, et tout ce petit monde brûle lui aussi d'une énergie secrète, fait danser la lumière, briller les yeux du jardinier qui en devient fou de bonheur.
Et pendant ce temps-là, les taupes studieuses et assidues pédalent, pédalent, les bousiers roulent, roulent, les vers digèrent, les poissons éclairent, les scarabées ventilent.
Son jardin est un univers très productif, en mouvement perpétuel. À la tête de sa petite industrie, Fiacre est le plus heureux des hommes, le plus comblé des rois, et rêve encore de changer le monde.
À sa naissance, il n'a pas reçu le don de la richesse, de l'ambition, ni du pouvoir. Mais en plus d'une intelligence suffisante pour comprendre la place modeste et envahissante des humains dans les rouages de la machinerie universelle, il possède la capacité de traduire le langage des animaux et des plantes en langue vernaculaire.
Cela a contribué à sa vocation, qui très tôt le poussa à exercer une profession en contact étroit avec la Terre.
Employé municipal au Grand Jardin attenant au Muséum d'Histoire Botanique, Fiacre a découvert des phénomènes tout simplement extraordinaires, propres à enrichir nos connaissances sur le peuple de l'ombre, les animaux du sol et du sous-sol, des airs et des taillis.
Le jardinier Fiacre entretient un dialogue permanent avec les arbres de « son » domaine. Le grand ginkgo biloba lui confie :
Dans ma feuille, deux ne font qu'un.
Je suis l'arbre des amoureux.
C'est moi l'arbre aux quarante écus,
Mille m'en attribuent certains.
Le cèdre du Liban, planté lorsque Victor Hugo trottinait à peine dans sa barboteuse, le toise du haut de ses trente-et-un mètres, l'abrite sous ses branches de trente-cinq mètres d'envergure et lui parle des hôtes très inattendus qu'il héberge : un tout récent pullulement de perruches, espèce invasive, piaillante et polluante. Elles sont si bavardes qu'il peine à distinguer ce qu'elles souhaitent lui dire, tout au plus perçoit-il un bruit de fond :
Vertes feuilles bien charnues,
Nous voilà, les ingénues.
Toujours un mot à placer
Qui voudrait donc s'en passer ?
Chaque jour qui naît lui réserve ce genre de surprise.
Un matin par exemple, il essaye d'aplanir une pelouse bien ravagée par les taupinières.
« Les taupes poussent, le gel a la frousse », comme dit son chef qui a toujours le mot de la situation, car c'est le chef.
Les monticules de terre marquent l'arrivée du printemps, signent le surcroît de travail pour l'artisan du sol.
C'est alors que l'employé s'entend interpeller par une petite voix mutine.
— Hep là, mon Fiacrounet, qu'est-ce qui t'arrive ? Tu ne comptes tout de même pas nous chasser sous prétexte qu'on évacue quelques matériaux de déblai ?
Terre de taupinière, bonheur de tes primevères, mon p'tit père.
Terre de galeries passée au tamis, régal pour tes semis, mon ami.
Écoute-nous, mon p'tit gars, nous vir' pas avec pertes et fracas !
La taupe se prend-elle pour La Fontaine, pour l'almanach Vermot, pour la biche aux abois, ou le phénix des hôtes de ces bois ? Elle veut juste lui faire comprendre que ses galeries, c'est pas de la diablerie... Il faut qu'il se le tienne pour dit.
Fiacre, énervé, rétorque : je vais y réfléchir.
Et se tourne vers d'autres tâches : cela ne manque pas. Les rosiers viennent de lui susurrer qu'ils ont besoin d'une coupe de cheveux, rien de plus normal. Les plants de framboisiers qui attendent patiemment dans la resserre, lui font savoir par des crissements acides leur hâte de lui faire une fleur.
Les taupes, omniprésentes, ne tardent pas à se manifester à nouveau.
— Fiacrounet, ouvre bien tes esgourdes, reprend leur chef des opérations, le père Lallu. À ses côtés la jolie Mirette, sa fidèle épouse, lui donne de grands coups de museau, l'air de rien, essayant de le censurer.
— Je suis tout ouïe.
Lallu reprend sans tenir compte des semonces de sa Mirette aux yeux myopes.
— Alors on va t'informer d'un secret encore bien gardé mais qui pourrait vous sortir d'affaire. On vous a entendus vous plaindre, vous lamenter de cette histoire de course au gaz, de coupure obligée de robinet de tyran, de prix énormes, de glagla dans vos maisons...on n'a pas tout compris mais nous les taupes, nous sommes toujours bien informées, toujours en pointe à guetter l'info. On ne pouvait pas vous laisser en plan. Tu sais que nous construisons nos galeries pour nous nourrir en parfaite harmonie avec nos amis les vers de terre qui apportent leur généreuse contribution volontaire à notre survie dans vos jardins ? Leurs turricules, vus d'en bas, ont de jolies formes mais au-delà de l'esthétique, pourraient bien être une source d'énergie, et par le travail de labourage qu'ils fournissent, te faire économiser du carburant et de l'huile de coude !
En ce qui nous concerne, nous avons aménagé une salle d'entraînement, et nous pédalons quotidiennement sur de petits vélos équipés de génératrices pour fournir de l'électricité verte.
Vous vous plaignez de ce climat qui vous joue des tours, vous fait perdre vos récoltes, ce temps si capricieux, avril en février, janvier en avril ! Oh pour nous ça ne change guère là-dessous : grâce à notre système, nos galeries sont climatisées, on veut bien vous présenter notre modèle,sans copyright et sans droits d'auteur.
Nous avons nos ingénieurs, nos techniciens, nos pros du réseau de distribution. Pour l'instant c'est à petite échelle mais si toutes les taupes du monde pouvaient se donner la patte, imagine ! Tous les maîtres-chanteurs de la Terre seraient bons pour la retraite définitive. Plus de dépendance énergétique, plus de pollution, plus de guerre...
— Oh là, chef taupier, tu ne t'emballes pas un peu ? Plus de guerre ?
— Bon, je reconnais, je vais un peu vite en besogne. Mais ma vie souterraine, je la borde de rêves, je la tapisse de projets d'avenir. Tiens, regarde donc les bousiers. Enfin, regarde, façon de parler, car moi je les renifle, et je sais qu'ils transportent une certaine matière qu'ils roulent en boule devant eux... ce sont nos méthaniers à nous, tu me suis ? Produire de l'énergie, de l'engrais, c'est faire d'une bouse deux courses...et nous ne manquons pas d'en tirer profit pour faire fonctionner notre clim'.
Mémé Taupinette, ma pauvre ancêtre dont la fourrure vint caresser de douceur la gorge d'une courtisane, m'enseignait cette comptine en l'honneur des bousiers, les vincents :
« Saint Vincent, donne-moi ton sang rouge, j'te donnerai mon sang blanc ». Elle racontait que c'était un jeu d'enfant, étonnant, un peu répugnant. Mais peut-être précurseur de mon idée d'utiliser ces insectes pour fournir de l'énergie.
De même pour les scarabées : Sous leur exosquelette mordoré, ils s'affairent au jardin. Quand ils volent, leurs ailes postérieures font office d'éoliennes et de ventilateurs.
Et leurs élytres, elles, pourraient tenir tête à une armée avec leurs boucliers !
Fiacre a donc conclu un pacte avec les taupes et les bousiers dans le but d'une gestion durable du Jardin dont il a la charge.
Et dans le bassin, depuis que les taupes l'ont briefé, il a mis des poissons-torpilles capables de produire du courant, des raies et des poissons-chats électriques...
Une ruche abrite des frelons d'Orient : ils transforment l'énergie solaire en électricité, ce sont des panneaux solaires vivants.
Fiacre s'esbaudit, en est tout ébaubi, s'émerveille. Que vont lui enseigner encore les habitants de son Jardin ? Il le contemple et voilà que tout se mélange. Les fleurs et les fruits font la révolution, se moquant bien des saisons.
Croquilles et horlitzias, rosoines et prunisiers, dalhianthèmes, bigniofeuilles, camélilas, olimins, ciranges, magniolinthes, primesols, toute une symphonie où le bleu profond et le rouge vif, le jaune d'or et le vert émeraude laissent se fondre en eux les tons pastel comme des caresses, les ocres telles des griffures, et tout ce petit monde brûle lui aussi d'une énergie secrète, fait danser la lumière, briller les yeux du jardinier qui en devient fou de bonheur.
Et pendant ce temps-là, les taupes studieuses et assidues pédalent, pédalent, les bousiers roulent, roulent, les vers digèrent, les poissons éclairent, les scarabées ventilent.
Son jardin est un univers très productif, en mouvement perpétuel. À la tête de sa petite industrie, Fiacre est le plus heureux des hommes, le plus comblé des rois, et rêve encore de changer le monde.
Merci Chbani Zaki pour votre passage par ici après la fin du concours, je le dis à chaque fois mais c’est agréable que les textes continuent à vivre, même quand ils ne sont pas allés en finale. Un grand merci !
Incontestablement, la compréhension est une bonne maladie mais on a remarqué qu’elle se répandait moins vite que certaines autres.
Mais il y a encore de l’espoir !
Moi, présidente de Short Edition, votre texte serait même lauréat
Moi, présidente de Short Edition, il y aurait des cookies pour le peuple !
J'ai, dans mon petit jardin, une belle série de pivoines juste devant mes rosiers. Entre les deux, il y a forcément des... rosoines ! (quel joli nom !) En voici donc cinq pour compléter modestement votre joli bouquet déjà bien garni ! Merci Fred , bravo, c'est très chouette !
C’est la saison des pivoines en ce moment, une splendeur, profitez-en !
Vos voix n’ont pas été enregistrées, encore un coup de mes taupes facétieuses 😵💫 Pouvez-vous appuyer une autre fois sur le buzzer ?
Ah, elles sont arrivées, un grand merci 🤩