La Faute

Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Ou du moins, la faute qu'elle n'aurait jamais dû commettre. Pendant longtemps, j'ai cru que j'ai été adopté. Mais non! Si j'existe aujourd'hui, c'est parce que mes parents sont tombés sur un condom fait au bord de la Cathédrale de Port-au-Prince, QG des produits défectueux. Maman m'avait même contestée, comme si le résultat positif de grossesse que j'étais à l'époque était un résultat électoral du pays. À l'hôpital, après ma naissance, je suis sûre qu'ils ont dû faire un tirage au sort pour savoir s'ils rentreront ou pas avec moi à la maison. Maison où, je me suis jamais senti à ma place. À ma entrée en fac, j'ai pour la première fois senti que je vivais, et que j'étais à ma place. J'aimais y passer la plupart de mon temps car je m'y sentais en sécurité. Tout à changer après que ce soi-disant policier, évadé de Mars & Kline comme d'autres de ses confrères, ait tué de sang froid un étudiant à l'enceinte de sa fac. Des personnes saines d'esprit n'auraient pu afficher de tels comportements. Maintenant, à chaque fois que j'y vais je me dis: c'est peut-être moi le prochain.
En fait ,j'ai pas peur de mourir, je le suis déjà. A moins qu'il est possible de traverser en enfer sans ça. Je m'inquiète juste de n'avoir jamais vécu. Dans les rues de Port au prince, nous sommes tous des morts ambulants. Chacun attend l'accident de voiture ou de moto, la fusillade ou le bal marron qui lui fera définitivement passé à l'autre bord. Ce n'est pas la peine de penser qu'on pourra être sauvé à l'hôpital. Car si on y arrive en vie, après que les secours auront pris 1h minimum avant de débarquer. En privé, il faut d'abord montrer son portefeuille. Et en public,si on y va, ce serait que pour profiter d'une morgue gratuite. Il est plus facile d'y trouver une grenade lacrymogène qu'une bombonne à oxygène. Le comble, on ne peut même pas critiquer voir protester. Grégory et le Professeur Dorval vous le confirmeront.

Moi, je décide de quitter le rang formé par ma mère. En effet, je vais m'exempter de son joug disciplinaire à la noix, qui n'est qu'un processus de formatage pour faire de moi un gentil petit toutou de ce système machiste. J'arrête de faire semblant d'être une gentille. En être une, c'est chose impossible dans un pays comme celui-ci.
Maintenant, je vais profiter de chaque sursis accordé. Alors ce soir, je sors avec "Jeune homme par exemple". Je sais que ma mère ne sera pas d'accord. Elle va me parler d'insécurité et autre. Sans savoir que l'insécurité, je la vis à l'intérieur de moi au quotidien. Elle ne veut jamais que je passe une nuit dehors sans elle. Et avec elle, c'est toujours une veillé de nuit qui m'attend. Je sais que je n'aurai pas son approbation, mais je sortirai de toute façon. Car il faut vraiment que j'aille changer mes idées. Faire semblant que tout va bien, même si tout va mal.
Jeune homme par exemple et moi sommes rencontrés à l'église. Il était assis derrière moi et en me tournant la tête nos yeux se sont croisés et là j'ai perdu tous mes repères. On est ensemble depuis deux mois. Je sais qu'il m'est susceptible d'être brisé par lui. Mais dès ma conception, je vis le brisement. Il ne reste que mon carcasse à briser. Au moins, cette fois-ci j'aurai choisi mon bourreau. Je l'appelle jeune homme par exemple, depuis notre première rencontre. Quand je lui ai appelé monsieur, il m'a dit qu'il ne l'était pas encore. J'ai alors demandé comment je pouvais appelé les pas encore monsieur, et là il m'a dit jeune homme par exemple. Depuis,c'est son nom pour moi. Bref!
Avec ma mère, les conversations ne sont jamais faciles, ce qui m'a toujours fait peur de lui demander une chose. La réponse est rarement un oui avec elle. Ainsi j'évite les discussions pour ne pas être irrespectueuse. Chose vraiment difficile quand je m'énerve. Alors que je me prépare dans la chambre que je partage avec maman depuis que mon père n'est plus. Elle est assise sur une chaise en paille, adossée à un mur de la galerie son téléphone en main. Elle est devenue plus accro que moi à son portable depuis qu'elle a ce téléphone intelligent. Derrière ce rideau qui sert de porte, j'ai fini de me préparer physiquement. Je travaille maintenant sur le mental. Je sais que ça va être la guerre au dehors.
Enfin je sors avec ces mots à la bouche.
- Man, je sors avec Cliff.
-Quoi? dit-elle, comme si elle n'avait pas compris.
- Cliff, m'a invité à sortir alors je sors avec lui.
-Et c'est maintenant que tu me le dis?
-J'aurai bien voulu le faire avant, mais je sais que tu as toujours un rêve prémonitoire pour me dissuader de ne pas sortir. Alors je te le dis que maintenant.
- Alors tu me traites de rêveuse, dit-elle, en se levant d'un bond sur la chaise.
- Mais, c'est pas comme si je mentais. Tu as toujours un rêve qui prédit des malheurs. Et j'en ai vraiment pas besoin là maintenant.
- Ce Cliff là, il me plait pas du tout.
-Comme si tu l'aurais dit, si c'était le cas.
-Tu ne sais rien de ce jeune homme, il est peut être un kidnappeur.
- En matière de kidnapping, c'est pas la peine d'en parler, je ne peux m'en protéger. Ces derniers temps, c'est un tirage aléatoire avec remise qui se fait n'importe où et n'importe quand.
- Et en plus tu portes quoi là? Tu veux te faire violer?
À ces mots j'étais en rage, je me concentrais pour ne pas crier. Je voulais tout lui balancer. Demander si c'est à cause de ce que je portais ce 18 juin 2007, l'année de mes 10 ans que cet inhumain de l'église de Papa avait pris mon innocence. Mais je voulais pas me sentir encore plus pitoyable que je ne l'étais déjà. J'ai juste répondu à maman que ce sont des personnes comme elle qui nourrissent tous ces crimes. En culpabilisant la victime vous ne faites que victimiser le coupable, ai-je ajouté. Mais c'est comme si elle n'avait rien entendu. Car elle poursuit avec un:
-Certaines fois, c'est nous même la cause de notre viol.
- Et merde maman! Il faut vraiment que tu parles de viol? On dirait que tu ne peux t'empêcher de le mentionner quand tu me parles. C'est tout ce que mon visage s'inspire? Hien Man! mon visage te rappelle ton viol? Je suis le fruit d'un viol? A force que je parlais, je m'énervais encore plus, ma voix augmentait de volume et je gesticulais comme un maestro devant son orchestre. Puis me calmant un tout petit peu car je devenais inaudible. C'est à ce moment que j'ai réalisé que je venais d'injurier ma mère.
- Tu as été violée puis contrainte de te marier c'est ça ? Et envahi par la honte, t'es allée te cacher en province. Mon nom Feuta c'est pour ça ? C'est pour ne jamais oublier ?
-Qu'est-ce qu'elle a Feuta?
Man fait pas semblant de ne pas savoir que Feuta est l'anagramme de faute. C'était une façon à toi de te rappeler ce que je suis pour toi. Une faute. Ça ne t'as pas suffit de déserter Port au Prince mais il fallait me marquer à tout jamais. Je la regardais pas en face en disant ces choses mais un son m'a fait tourner la tête. Maman ne respirait plus mais sniffait l'oxygène. Les larmes coulaient jusqu'à ses joues. Et moi, mes yeux étaient déjà tous trempés car j'arrivais pas à contenir les larmes. C'est pourquoi j'avais tourné la tête. Elle se laisse alors tomber sur la chaise derrière elle, me fait signe de prendre une des chaises à coté de la table à manger.
- C'est.. Ce.. Ce n'est pas ce que tu crois Tata, as.. Assied toi, je vais tout te raconter, a balbutié ma mère.
J'étais sidérée de voir maman dans cet état. Elle paraissait tellement vulnérable. La gentillesse et la détresse dans sa voix et son visage sombre et mouillé m'a fait perdre tout mes moyens et j'ai automatiquement obéi.