Il s'appelait Richard

« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître.» s'exclama Roco, indigné. Il voulait bien être gentil mais cela était la goutte de trop. Il n'allait pas se laisser encore piétiner par ceux-lâ. C'était sa deuxième semaine au travail et voilà que les moqueries et les commentaires et comportements déplaisants, déguisés en badinages, ne s'arrêtaient toujours pas. Se disant que ce n'était qu'un rite de passage, Roco se reteint de leur faire de reproche jusqu'à présent. Mais quand l'un des travailleurs, tout juste 3 ans plus âgé que Roco, reclama que ce dernier lui adresse comme maître, sous prétexte qu'il était un travailleur permanent, contrairement à Roco, il ne put se retenir de lui répondre.

Roco avait souvent remarqué l'attitude avec laquelle les gens d'un certain âge traitaient ceux qui avaient 16 ans comme lui. Comme s'ils étaient des vaut-rien, des paresseux, comme ils aimaient souvent le dire.
Et alors s'il était jeune? Ils l'avaient été aussi. Il fut un temps où, eux aussi se sentaient capable de tout faire, d'aller décrocher les étoiles juste en tirant les bras assez haut, d'aller jusqu'au bout du monde juste en marchant assez longtemps, assez loin. Roco se fit une conclusion assez vite. S'il agissaient si hostilement envers lui, c'était probablement parce qu'ils étaient jaloux, ou tristes même. Tristes d'avoir passé le temps, jaloux de ne pouvoir que se rappeler de ces année- là, sans pouvoir les toucher ne serait-ce encore une fois et sans aucune chance de pouvoir les revivre.

Roco se promit de ne jamais devenir comme ces hommes-là, ou du moins, d'en être le moins semblable possible. Il traiterait les plus petits avec bienveillance, il leur dirait qu'ils étaient capables de grandes choses. Il ne lècherait pas les bottes de ces bourgeois juste afin de securiser quelques pièces de plus. S'il devait un jour se marier, il le ferait par amour et non par dépit. Et s'il avait la chance d'avoir des enfants, il les emmenerait jouer au parc frequemment, les emmeneraitt voir la mer de temps en temps. Il leur dirait des mots tendres, il leur dirait des 'je t'aime' autant qu'il le pourrait. Ceux était des mots que Roco lui même n'avait jamais entendu son père prononcer, ni à lui, ni à sa mère, ni à qui que ce soit. Ils dineraient tous ensemble autour d'une même table sur laquelle il essaierai tant bien que mal d'y mettre du pain. Et si par malchance ils arrivent des jours où il en manquait, il se souviendrait des mots de sagesse de sa grand-mère et les repeterait à sa propre famille. Roco se souvenaient vividement de sa grand mère et des moments passé avec elle, bien que cela faisait déjà des années qu'elle n'était plus de ce monde. Il la voit encore, debout sur la terrace, en train d'arranger des roses qu'elle avait cueillies de son jardin. Et quand Roco la regardait avec ces grands yeux intenses et curieux de gamin, elle lui souriait et lui faisait cette même reflexion à chaque fois:
"Tu vois Mon petit Richard, la vie c'est comme une rose. Elle est jolie, elle a des pétales aux couleurs variés et vives, et elle a un parfum propre à elle. Mais, elle porte aussi des épines, qui te percent et te saignent souvent les doigts, même quand tu fais attention. Mais tu sais, cela n'ote rien de sa beauté, elle en vaut toujours la peine."
Roco ne comprenait pas ce qu'elle voulait dire mais il hochait quand même la tête. Quelque chose lui disait qu'il devait se rapeler de ces mots là pour des jours avenir, pour des jours où elle ne serait plus la.
Maintenant qu'il avait 16 ans, Roco comprenait de plus en plus ce qu'elle entendait par ces paroles-là.

Roco avait du mal à se calmer après l'incident de ce matin-là. Quand vint l'heure de la pause, il décida de marcher un peu, histoire de se changer les idées. Comme d'habitude, le port grouillait de monde et les commerces semblaient en profiter pleinement. A sa droite, il vit le floriste, arrangeant le même bouquet pour la seconde fois et un peu plus loin, à sa gauche, il pouvait apercevoir le petit magasin de cordonnier où il travaillait. Chaque vacances, Roco y allait travailler pour ce faire quelques sous pour la prochaine rentrée des classes. Roco n'était pas particulièrement passioné de chaussures mais cela ne le dérangeait pas plus que ça. En même temps, Roco n'aimait pas particulièrement l'école non plus, mais il y allait quand même. Il n'avait pas tellement le choix; c'était soit l'école, soit travailler au garage avec son père, et entres les deux, le choix était vite fait pour Roco.

Roco était arrivé à ce stade de sa scolarité où plusieurs de ses camarades, ainsi que lui-même, se demandaient s'ils continuerait l'école. Plus jeune, il avait vu beaucoup de garçons quitter l'école à 16 ans. La plupart d'entres eux s'en allait apprendre le métier de leur père tandis que d'autres intègraient la force militaire. A cette époque il se disait à lui-même qu'il irait jusqu'au bout, coȗte que coȗte. Roco avait toujours été bon élève; ses enseignants disaient souvent à son père qu'il était doué et qu'avec un peu d'effort, il pourrait sans doutes décrocher une bourse au grands examens finals. Le père de Roco leur avait cru au début, et ainsi, il ne s'acharnait plus à convaincre Roco de venir travailler au garage avec lui. « Voyons voir ce que cela donne.» disait-t-il d'un ton nonchalant. Cependant, plus le temps passait et plus Roco avançeait en classe, plus les dépenses envers sa scolarité se faisaient ressentir. Et avec chaque jours qui passaient, il pouvait voir dans le regard de son père, que ce dernier était de moins en moins convaincu. « On en a assez vu. » semblait-t-il dire.

Roco considéra alors ces options encore une fois, assis sur un banc sur le port. Il revit la scène de ce matin et décida aussitôt qu'il ne pourrait pas vivre cela au quotidien. Peut-être qu'il pourrait chercher un emploi chez un autre cordonnier? Ou peut-être faudrait-il qu'il accepte enfin l'offre de son père? Peut-être que devenir mécanicien comme son père et son grand-père n'était pas une aussi mauvaise idée. Mais Roco n'arrivait pas à se convaincre lui-même; il ne pouvait s'empêcher d'imaginer une vie différente. Et s'il quittait cette ville? Et s'il osait desirer quelque chose de nouveau? Et s'il décidait d'aller là où personne de sa famille n'est jamais allé? Et s'il se permettait de faire de ce rêve, une réalité? Ces pensées ne cessaient de ruminer dans sa tête.

Et ce soir-là, Roco alla trouver son enseignant et lui implora de parler à son père pour le convaincre de lui accorder plus de temps, de lui assurer qu'il allait décrocher cette bourse. Le mois suivant, Roco repris le chemin de l'école avec une determination nouvelle. Deux ans plus tard, au examens finals, Roco obtint le prix d'excellence et reçu une bourse pour continuer ces études. Il intégra une école de droit dans la capitale. Et au fil des années, la passion et determination de Roco continuaient de se renforcer. Quinze ans plus tard, Roco eut la chance de travailler dans sa ville natale. On menaçeait de raser tous les petits commerces du port pour construire un grand complexe commercial. L'Association des Petits Commerçants avait fait appel au services de Roco. Pendant des jours avant son arrivé, on entendait dire dans toute la ville que le fils de Roger, qui était devenu un homme de loi, allait être de retour.
-Roco, est-ce bien toi? demanda l'un des members de l'association en le voyant.
- Roco pour les intimes, Maître Richard pour les clients. Répondit alors l'homme.