Être soumise...

Je suis une étudiante en histoire de l'Université d'État d'Haïti. Écrire pour moi, est plus qu'un talent mais une manière d'exprimer mes ressentis et de faire connaitre mes revendications. Vous ... [+]

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Moi, je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Elle ne pouvait pas comprendre comment il était difficile de me courber aux exigences de ma féminité et aux mœurs machistes de ma société. Il fallait que je ferme les yeux sur certaines réalités puantes, que je sois docile et surtout pas exigeante. Chez nous, à Poteau, c'était la règle de la sagesse féminine et la soumission était la prescription par excellence.
Hier, elle m'a encore sonné d'un de ses coups de manche pilon et m'a traité de salope car je ne voulais pas faire la vaisselle. Mon futur mari allait me renvoyer, c'était une honte qu'une dame ne sache cuisiner, faire la lessive, repasser, s'occuper des enfants. Jouer comme mon frère ferait de moi une paresseuse et la honte d'une famille. Alors, j'étais obligée de supporter l'autre qui disparaissait toute la journée et qui revenait tard dans l'après-midi, trouver sa nourriture bien préparée et mise à part. C'était ‘‘un petit garçon''. Voilà les mots qui m'excitaient et qui devenaient l'essentiel de mes préoccupations.
Ces mots-là "un petit garçon" partageaient l'émoi de toute une famille. C'était comme s'ils charriaient derrière eux l'espoir d'un avenir certain ou maman et papa s'enorgueillirent de mettre au monde un petit sauveur. Et moi dans tout ça ? J'étais une ombre refugiée derrière les nombreuses tentatives de rabaissement, derrière mes travaux domestiques, j'étais une fille. Ce fait, autant plus difficile à vivre qu'à assumer m'assaillait d'idées qui plus tard seraient jugées féministes. Ma conscience ne me permettait pas d'accepter ce genre sous-bassement, le bas de l'échelle d'une famille de deux enfants dont j'étais l'ainée et mon frère le cadet.
Ce que je voulais savoir c'était la raison élogieuse qui avait confié à Samuel cette supériorité. Etait-ce son sexe ? Intéressant ! Un pénis peut faire bien de choses. Définir une valeur hiérarchique prêt du sommet et donner dans l'ordre des choses une raison de fierté d'éduquer un garçon. Ce sera plus tard un homme. Je me demandais c'est quoi la différence entre devenir un homme et devenir une femme.
Lorsque j'osais poser ces genres de questions, mon père en qualité de bon pasteur laissait entendre sa Genèse 2 verset 22 : « L'Eternel Dieu forma une femme de la côte qu'il avait prise de l'homme, et il l'amena à l'homme », et de sa voix rauque, plein d'orgueil continuait : « vous êtes inférieures, vous les femmes, c'est biblique ». Et pourquoi, au fond de moi, ses dires sonnaient faux ? C'était comme s'il y avait un combat entre ce que je voulais vraiment et ce qu'on veut que je sois.
C'est ainsi qu'à mesure que le temps passait, mes appréhensions ne cessaient d'augmenter prouvant encore les défauts d'une fille indocile. Je ne voulais pas la soumission. Encore moins cette qualité de bonne petite femme qui constituerait un héritage de maman. Elle m'a toujours raconté que depuis son enfance, grand 'ma l'a éduquée à devenir ce qu'elle est aujourd'hui, la fierté de son mari et la preuve de longs jours de sacrifices à élever une femme. Maman disait toujours : « là où grand'ma est dans sa tombe, elle doit être fière, je n'ai pas déshonoré ses principes ». Parlant d'honneur, elle n'osait aucune contradiction sur ce que disait mon père pasteur Michel, elle doit se comporter en bonne madame pasteur. Et n'osant point remettre en question les vérités absolues de la bible, elle doit être totalement soumise.
En fait, maman est la cadette d'une famille de cinq enfants dont le quatrième, tonton Robert est un garçon. Oncle Robert est ingénieur, gran'Pa était toujours fier de le dire. Quant aux autres filles, elles étaient soumises. D'ailleurs, je savais entendre que maman avait fait la sixième et ensuite la couture. Malgré le fait que je ne l'ai jamais vu exercer ce métier, on disait qu'elle l'avait dans son sang, c'était un don.
Je n'oubliais pas ce jour où comme à l'accoutumée, je l'ai aidée à préparer le repas du midi. Ce jour-là, elle préparait un bouillon de viande de chèvre mêlé à la sauce aux haricots appelé pwa Congo, avec des vivres et du dombreuil. C'était la nourriture préférée des garçons. Pour nous, cela ne comptait pas d'avoir une nourriture préférée. D'ailleurs, elle disait toujours :
-Moi, je mange de tout. Maman ne nous a pas gâtées. Chez nous, lorsqu'il y avait peu de viande, il fallait qu'on s'occupe d'abord des garçons et le plus souvent il ne restait rien. Alors, nous étions obligées de nous résigner. On nous a éduqué pour survivre.
-...
Rien à ajouter, elle s'était habituée...
-Ah oui ma fille ! Oh grâce et la bénédiction soient rendues au ciel de m'avoir appris la sagesse d'une dame. Dans le bourg, ma famille avait une renommée, les enfants étaient toujours bien éduqués. On disait toujours le bonjour tonton ou le bonjour matant le sourire aux lèvres à tout le monde. On respectait le voisinage. Ah ! C'était une référence les enfants de tonton Joseph et de man Anne. C'est pourquoi lorsque pasteur voulait prendre femme, sa première référence était chez nous. Il disait toujours qu'il avait vu en songe que Dieu avait un plan pour lui et la famille Joseph mais on ne savait pas encore laquelle d'entre nous. Il a fallu encore un autre songe pour que soit révélé que c'était moi. Ah pasteur ! Il avait les dons de prophéties et qui suis-je pour ne pas obéir à Dieu. Malgré tout ce qu'on dit, l'aimer était l'ordre du Saint-Esprit.
-hmmmm.
Et elle continuait sa litanie. Voulait-elle se donner du courage ou du moins s'est-elle réellement adaptée à ce genre de situation. Je me faisais du mal pour elle, elle a perdu une partie de son essence et elle n'était pas consciente. Elle continuait :
-Nous n'avons pas pris beaucoup de temps pour nous marier. A peine deux mois de fiançailles. Ah le mariage, c'était la plus bonne chose qui puisse arriver à une femme.
Elle roulait ces yeux, c'était comme si elle cherchait des souvenirs enfouis dans un recoin perdu de sa pensée. Que pourrait-elle songer, à part les journées infatigables et les nuits sans sommeil aux côtés d'un mari qui se plaisait à sa corvée sous prétexte qu'elle est une servante de Dieu ?
- Gran'ma, respect pour elle. Paix a son âme, la défunte. Je n'oublierai jamais ses conseils. Qu'elle ne se détourne pas de son chemin et que ses paroles servent de témoignages le jour du jugement. Dans ma jeunesse, elle m'avait toujours rappelé que la femme est synonyme de sacrifices et que je devrais tout faire pour rendre heureux ma famille. On dirait qu'elle a prédit mon avenir.
Je faisais la moue. Elle pouvait comprendre qu'en moi ces dires ne trouvaient aucune approbation, que j'avais beaucoup de ressentiments face à ces questions, et que cela ne cadrait pas avec ce que moi je veux dans la vie. Je les ai toujours fait comprendre qu'en devenant adulte, je voulais l'indépendance. Alors, les craintes raniment son regard. Elle devait se maudire de mettre au monde une fille comme moi. C'était comme si elle voyait le diable en moi. Ne se rend-elle pas compte de sa dépendance malheureuse ? Je n'étais pas fière d'elle, encore moins de ces mœurs qui la paralysaient. N'était-cela, elle aurait pu être quelqu'une d'autre, elle aurait pu devenir l'une de ses femmes impactant le monde sans l'ombre encombrant d'un mari. Elle aurait pu être mon modèle.
Ainsi, je me faisais du mal pour toutes celles, comme elle qui avaient accepté le handicap d'une société mesurée à l'aune des valeurs masculines, pour toutes les filles comme moi qui étaient obligées de grandir à l'ombre de quelqu'un et qu'on osait condamner à la même sentence que leurs ascendances. Que la lumière de la raison éclaire leurs âmes sensibles et avides de réjouissances, qu'elle les pousse à se rebeller, à changer le cours inégalitaire d'une société jonchée de supériorités conjuguées au masculin, qu'il advienne la justice et l'égalité des sexes.
Quand à cette prescription, point besoin d'exécution. Elle est trop fielleuse.