Entre Les fissures du Silence

_Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Elle n'ose pas me le dire mais cela beugle dans son regard quand ses yeux daignent se poser sur moi. Je suis le portrait craché de tout ce dont son livre sacré la pousse à abhorrer. Tout de moi la répugne; ma nature inconvenante, mes pulsions charnelles et surtout le démon vengeresse qui m'habite depuis l'enfance. Oui pour elle, se venger c'est se livrer aux griffes acérées du diable.
_ voyons ma fille, ne serais tu pas un peu méchante envers ta mère et envers toi même? Une mère ne souhaite que le meilleur pour ses entrailles et la tienne n'en est pas différente, j'en suis sur, elle veut juste te conduire au droit sentier. Et ces desirs vengeresses, il faut les réprimer avant qu'ils ne souillent ton âme, la vengeance est au Seigneur mon enfant. Confesse! Il prendra soin de ton âme.
_mon père, j'ai...
Elle hésite. Le silence est un univers mystérieux que seul son maître connait les contours; ce qu'il habite, rejette. C'est un monde qui une fois créé, n'invite plus personne. Tout ce qu'elle voulait dire s'agitait entre les commissures de ses lèvres, mais n'émit aucun son. Par où commencer, tant d'envies, de désirs et de turpitudes se sont empilés depuis sa dernière confession. Devrait-elle commencer par le canif duquel le sang égouttait encore dans son sac? Non, surtout pas! D'ailleurs que fait-elle là? Elle ne cherche pourtant pas l'absolution divine, elle abhorre tout ce qui se rapporte au surnaturel; c'est l'ennemi de la vie libre, une paralysie pour l'âme aventureuse. Elle ne saurait supputer toutes les fois où elle aberra ce droit sentier qu'on lui chante depuis toujours, mais tout ce qui l'amena là, dans cette pièce, ce soir là, rejouait dans son esprit avec une telle lucidité que même la plus vivide des imaginations ne saurait l'inventer.
Elle se rappelait du jour ou Edgard l'approcha au bord de la rivière tandis qu'elle lessivait dans ce bourg lontain des Cayes. Une ville dont la beaute ne suffit pas d'etre dit, il faut la vivre; ses rives, ses mers débordantes et ses gens habités d'une hospitalité qui donne envie d'y démeurer. C'était évident qu'il n'était pas du coin, ils parlèrent longtemps, sa voix habitait une telle douceur. La complicité entre eux fut telle que leurs corps trouvèrent l'attente inuile. Devant la passion du coeur souvent s'efface toutes les convenances. Ils y restèrent un bon moment. Eprise par ses caresses, sa tendresse qui sucitait des sensations nouvelles et sa douceur qui anihilait les gémissements habituelles d'un corps lors de la déhiscence, Aurelie s'abandonna.
C'est le cri des oiseaux vespéraux qui lui rappela qu'à cette heure elle devait déjà être rentrée. Elle se pressa de se rhabiller et partit si vite qu' ils eurent à peine le temps de fixer leur prochain rendez-vous. Un sourire s'accolait sur son visage, le pas sautillant, rien ne l'importunait, même pas le renversement du sceau d'habits blanc qu'elle portait, elle les ramassa sans sourciller. Une telle gaffe habituellement lui injecterait du sang dans les yeux, mais aujourd'hui, c'est une excuse pour y retourner demain. Son sourire ne se dissipait pas et elle était impatiente d'aller tout raconter à Sara, sa meilleure amie qui toujours lui vantait ses aventures les plus délirantes; son rencard au bord de la mer avec Jean, ses ébats dans l'arrière cour de l'école avec Marco et plus encore. Pour une fois Aurélie en avait une.

Sara écoutait attentivement son amie dont l'esprit défiait toutes les lois de la gravité, elle pavanait dans les nuages, s'emportait par ses propres mots. Une drôle de frisson vint sillonner la chair de Sara, une folle envie de douceur la ceignit. Elle connu bien des plaisirs, mais ces caresses langoureuses dont témoignaient Aurelie lui était encore étrangère, personne ne se souciait de son climax à elle. Sara feint un sourire. Elles rièrent un moment et regagnèrent chacune leur maison attenante. Aurélie flottait encore dans son petit nuage. Engoncée dans ses libidirêves, même les prières trop zélées de sa mère ne la mécontentait et son corps s'agitait de part et d'autre comme un jeune papillon au premier matin d'un printemps. Le corps d'Edgard, la langue D'edgard, tout de lui l'égarait dans ce monde onirique et sensuel. Demain était lent et l'envie pressante.
L'heure était enfin venu mais elle ne trouvait toujours pas Sara à qui elle promit de ne pas partir sans la voir. Je te donnerai quelque chose qui lui accrochera à toi pour toujours, lui avait dit son amie. La gaieté et l'impatience lui causaient une telle palpitation au coeur, qu'elle n'aie pu s'attarder. Arrivée, devant elle se déroulait une scène qui freina ses pas voltigeants aussi sec qu'une voiture qui, en vain essaie d'éluder une collision. Figée sur place, une frénésie qu'elle contena à peine l'empara brusquement tandis qu'Edgard gamahuchait Sara, lui faisant les mêmes mamours dont elle était le sujet la veille. Piegee dans l'ambiguité de ces emotions; une rage qui se renforce au fur et à mesure que cette scène se déroule mais qui ne peut se comparer aux désirs qui la chevauchent. Elle voulait étrangler Sara, mais flanchait à l'idée d'être caressée de nouveau. Plantée là, elle regardait d'un oeil jaloux et désireux, Edgard qui s'assouvissait de ces déhanchements sinueux.
Elle se précipita vers lui avant qu'il n'eue le temps de se rhabiller, tandis que Sara partait en courant, sachant qu'Aurelie ne devait pas tarder. Elle lui fit un sourire léger qui habitait pleins d'émotions, mais qui surtout criait, Vas y, a mon tour! Edgard la repoussa. Elle se fige encore une fois. Etrangère aux sens des hommes qui, à peine regardent une femme une fois leur désir satisfait, un climax qui mène au dégout et au mépris, jusqu'à la prochaine turgescence. Mais c'était plus que ça, il était complètement envoûté par le savoir-faire de Sara. Elle le regarde partir. Et voudrait écorcher ces désirs qui malgré elle, encore l'irradiaient. Se venger de Sara! Le seul motif qui lui fit bouger.
Le lendemain, Sara devait retrouver Edgard. Aurélie, présente lorsque cela fut convenu, colporta à tout le quartier ce qui allait suivre. La mère de Sara toute décontenancée se mêlait à la foule agitée. Tous arrivés, couverte de honte, elle agrippa sa fille par l'oreille tandis qu'elle s'adonnait aux caresses d'un homme étrangé de tous et lui la torda le long du chemin. Sara était encore nue, la foule riait. La satisfaction évidente d'Aurélie déplu à sa mère, par quel diable trahit-on ainsi une amie se demandait-elle. La honte s'abatti sur toute la famille de Sara. Dans une ville comme celle là, une jeune fille dont les turpitudes sont ainsi connues n'a plus rien à espérer. Depuis, Sara disparu. Et personne n'a revu l'inconnu, même pas Aurélie qui souvent trainait au bord de la rivière, espérant une visite qui ne venait pas.
Forcée par sa mère qui ne la supportait plus, Aurélie se rendit à Port-au-Prince pour un séjour chez sa tante. Un soir tandis qu'elle se balladait en ville, elle vit Sara habité par un sourire qu'elle reconnu et eut habité bien avant elle. Elle ne pu se contenir, sortit le canif offert par son feu père pour la protéger quand lui il ne le pourra plus, l'avait il dit. Elle attendit le bon moment et la lui enfonca en plein coeur, espérant causer une entaille aussi profonde que celle infligée au bord de la rivière ce jour là. Puis courru dans tous les sens jusqu'à la Cathédrale.
La parole ne brise pas les murs érigés par le silence, elle les peint et dissimule l'existence d'un monde que seul l'oublie envahira. Mon père j'ai péché, finit elle par sortir. Le curé prononca sa formule d'absolution.
_Vas en paix mon enfant.
Elle s'en alla avec aucune paix, sachant que la pénitence n'est qu'un similacre pour une conscience légère, pour rescidiver avec le coeur net. Elle avanca vers la porte d'un pas décisif, se disant qu'Edgard lui reviendra ou ira trouver Sara.