Dernière chance

Comme vous le savez déjà je m'appelle ANDELA SiKINI Ange Gillian étudiante en économie de gestion niveau 2 à l'Université catholique d'Afrique centrale et l'écriture c'est ma passion.

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Moi je suis différente, je lai toujours été. Pour ma mère, cest comme si jétais une extraterrestre. Mais parfois, jaurais voulue lire de l'espoir dans ses yeux, trouver et puiser en elle la force de me battre contre les tendances négatives qui mattiraient chaque jour un peu plus. Quelque part, je lui en veux de ne pas mavoir préservé des méandres de la vie. Mais à présent que jai compris la leçon, il se fait trop tard. Je suis derrière les barreaux ! Dans un endroit où la lumière du jour, bien que trop faible, vient méclairer et retrancher un jour de plus aux 730 quils me restent à passer ici. Alors je ne fais que ressasser le passé.
Je me souviens encore du temps où jétais plus jeune, insouciante, naïve. Dans ma famille de trois enfants, joccupais la troisième place. Vous l'aurez compris, jétais la plus chouchoutée. Benjamin mon frère ainé était vraiment la fierté des parents, responsable, brillant élève, rigoureux dans son travail, tout le prédestinait à un avenir radieux, il est actuellement médecin. Il était suivi de près par Naila très jolie, elle ressemblait beaucoup à notre mère tant sur le plan physique que psychologique. Avec son teint ébène, son gabarit plutôt potelé et son aptitude à exécuter facilement les travaux domestiques, une bonne femme au foyer. La dernière fois que je lai vue, elle semblait épanouie dans son foyer avec Marc qui est son petit garçon, que je naurais pas la chance de côtoyer hélas. Puis il y avait moi, la petite brebis galeuse, le petit canard boiteux qui venait faire tache au milieu des autres.
Sur le plan scolaire, je nétais pas vraiment brillante mais mon père maimait et n'en tenait pas trop rigueur. Ah oui mon père, ce brave homme. Il était mon modèle, le premier homme que jai aimé et dailleurs jaurais dû men tenir là. On se ressemblait tellement : le même teint pâle, sourire, nez épaté, tête ronde à la seule différence que la sienne était dépourvue de cheveux crépus qui inondaient la mienne. Et surtout, le même gout pour l'aventure, le risque et le défi. Tout le monde qui me voyait disait : « tiens voici la fille de monsieur Essomba ! » Il était militaire mais pour moi, il était un super héros, un confident, un allié. Cétait ça mon monde, une jolie utopie qui a pris fin lorsque mon père a été affecté dans la ville de Kumba situé dans la région du sud-Ouest Cameroun. Pour faire face aux assauts des ambazoniens désirant la division du pays. Ces derniers tuent sans réserve, sans se soucier du fait que tu sois une femme, un enfant ou un père de famille !
Le jour de son départ, mon père avait réuni notre maisonnée. Située au quartier Oyomaban, nous avons grandi dans un environnement où nous côtoyons la pauvreté de près. Cependant, le salaire de mon père nous permettait de vivre décemment dans cette petite maison. Je revois encore ma mère m'accueillir pour me servir dès mon retour de lécole, les plats dont elle seule avait le secret. L'odeur enivrante de sa cuisine me manque. C'était donc au cours du repas que mon père nous annonça son voyage. Et me promis de revenir rapidement. Maintenant je pleure pour laisser s'échapper la colère, l' amertume accumulée dans mon coeur car j'aurais au moins voulu lui dire jusquà quel point je l'aime !
Je me souviens de l'empressement avec lequel je rentrais tous les soirs. Ma mère était généralement à la cuisine, je lui demandais si papa était rentré mais toujours la même réponse non, et au fur et à mesure que le temps passait, la tonalité de sa réponse était plus empreinte de tristesse que de certitude. J'ai joué le tournoi des équipes de foot du quartier l'année dernière pour lui, comme il me l'avait recommandé. Je voulais qu'il vienne crier pour moi comme l'avait fait les autres parents, recevoir sa légendaire tape dans le dos, l'entendre rire, me féliciter pour ma victoire, je voulais pouvoir...... Ces satanées larmes recommencent à couler, puis la douleur s'intensifie. L'air dans mes poumons samenuise, j'essaie de me calmer pour reprendre une respiration normale. Alors je me recroqueville sur le sol humide de ma cellule, ma voisine la plus proche dort heureusement à poings fermés. Je n'aurais pas voulu répondre à ses questions indiscrètes, encore moins me montrer faible face à elle.
Je repense à ce jour du 25 octobre 2018 où, on a vu l'information à la télé, concernant la mort de 6 personnes ainsi que plusieurs blessés lors de l'attaque contre le convoi du ministre de la défense dans la ville de Kumba. Je n'étais quen 3ème, mais javais l'esprit assez éveillé pour remarquer qu'il y avait un truc qui clochait dautant plus que javais ce mauvais pressentiment et ce malaise, qui m'oppressaient depuis la matinée. Il fut confirmé lorsque, toute suite après le journal, ma mère, qui d'ordinaire nimposait jamais d'heure pour se coucher, avait ordonné à ma soeur et à moi d'aller dans notre chambre sans raisons après le repas. Naila qui avait aussi regardé le journal avec nous, paraissait inquiète et personne ne voulait répondre à cette question qui me brulait les lèvres : Ques ce qui se passe ? Le lendemain, je fus réveillée par les cris. Alors je bondis de mon lit et trouvai ma mère, ma soeur et mon frère ainsi que certains oncles paternels comme tonton Bossadi au salon. Tout le monde était en larmes et ma mère me dit cette phrase qui mépoumona, tout en arrêtant mon coeur : Ton père est décédé hier. On dit souvent le temps soigne les blessures, mais jusquà présent la mienne est toujours béante. Car ce jour-là, mon coeur a ressenti le vide le plus immense qui pouvait exister, une douleur que je ne souhaiterais à personne dailleurs. Sur le coup, je voulais moi aussi en finir avec la vie, me suicider et aller le rejoindre. Avec qui me laissait il ? De quel droit la vie se permettait de me retirer ce que j'avais de plus précieux ? Pourquoi moi ? Toutes ces questions restées hélas sans réponse. Mais aujourdhui, quand j'y repense, je me dis que mon père aurait renié la fille que je suis devenue. Quest-ce que je ne ferais pas pour changer, redevenir la petite fille que tu venais chercher à lécole, que tu portais sur ton cou, celle que tu appelais « ma princesse ». Papa, tu me manques tellement. Ma voisine se retourne tout en provoquant un bruit aigu qui me fait sursauter. J'essuie en vitesse ces larmes qui viennent nettoyer mon visage rendu crasseux par la poussière. C'est ainsi que je m'endors avec l'esprit plus tranquille.
Le lendemain était un jour pluvieux, en fait cest normal nous sommes au mois dAvril. Ma voisine sétait réveillée plus tôt que moi, et au lieu de m'ignorer comme d'habitude se plaça en face de moi. Je n'avais jamais eu l'occasion de discuter avec elle, ni de mieux la regarder. Maintenant que cest fait, je peux vous dire qu'elle est mince, de taille moyenne, brune ou encore comme on dit chez nous elle a « le teint commercial », ses formes assez généreuses et son air plutôt mature me permettraient de lui donner environ trois ans de plus que moi. En fait elle n'est pas laide malgré ses tatouages apparents et son piercing sur le nez qui ne passe pas inaperçu sur son visage assez fin. Elle entama une discussion avec moi où elle me confia son passé de proxénète à cause de la pauvreté dans laquelle elle vivait. Mon besoin de me confier me poussa à lui dire la raison de mon incarcération :
-Jétais une dealeuse. Jai eu le malheur de commettre un péché capital important : la convoitise. Puis, comme beaucoup dautres filles j'ai cru en un amour utopique dont je me suis réveillée tardivement.

Une deuxième chance, cest tout ce que nous réclamons. Nous voulons pouvoir recommencer. Mais la vie ne fonctionne hélas pas comme ça. Certaines choses nous suivent toute notre vie. L'on ne peut faire confiance à une personne avec un casier judiciaire entaché. Le repentir tardif ne sert à rien ; nos sorts sont scellés. Nous ne pouvons que nous contenter de la place de pariât qui nous est dû de droit il faut l'admettre.