Départ

Toute histoire commence un jour, quelque part. La mienne commence, je ne me rappelles plus avec certitude de la date, à travers le désert.
Quand je leur ai informé que je partais, mon père m'a juste dit avant de regagner sa chambre « J'espère que tu sais ce que tu fais ».Ma mère m'a fait des reproches, comme à son habitude. Elle croyait pouvoir me faire changer d'avis. Elle ne comprenait pas que je n’étais plus son petit garçon qui appelait sa maman quand il pleurait. Il n'est jamais trop tard, mais il est toujours trop tôt.
Après avoir échoué à me faire une situation dans mon pays, l’immigration était mon dernier recours. C’est avec mes économies d'un an de travail que je me suis mis en route. Je n'avais plus ni l'argent, ni le temps pour emprunter la voie normale, recommandable ;passeport,visa,billet d'avion. J’ai décidé de tenter ma chance par voie de terre. En route !D'abord au Nigeria, en voiture ,où nous avons converti nos monnaies en devises étrangeres.Puis nous avons emprunté le chemin des trois frontières. A partir de là, il fallait cheminer dans le désert, à pied. A cause de l’absence de station dans ces espaces vides, les véhicules ne pouvaient y circuler .Nous serions, contre rétribution escorté par des touareg qui connaissaient la zone, des passseurs.

En marche ! je ne savais plus exactement où j'étais; Au Mali ou au Niger ?Solitaire, je pensais souvent à mes frères, à ma mère, à mon père ;si je me perds, quels seront mes repères ?
La journée, nous étions dans un four, la nuit nous étions dans un frigidaire. Tous les visages étaient inquiets,apeurés,fatigués.Mais il y'avait dans notre petit groupe, un jeune homme qui paraissait serein quoiqu'il arrive. Il conservait le même air et les mêmes habitudes, peu importe les conditions. Je remarquais qu'il ne manquait jamais de faire ses prières et qu'il se foutait bien d'être abandonné là, sur son tapis de sable par la troupe. Du coup, il m’intéressait, il m’intriguait.Souleymane,c'est comme ça qu'il s'appelait quand nous avons fait les présentations. Il venait du Sénégal. Il avait quitté son pays parce que sa mère était malade, et parce qu'il était trop pauvre pour payer les frais de traitement. Pécher du poisson ou faire du pouce-pouce ne peuvent pas suffire toute une vie entière pour payer une seule dialyse. Voilà !
Pour tout dire, les confidences me pesaient déjà. Je ne parvenais plus à trouver le rythme de vie à travers tout ce concert de drames et de larmes. Ma vie me préoccupait déjà assez, pour que je m'intéresse à celles des autres.Toutefois, j’ai commencé à lui poser des questions sur les rituels quotidiens qu'il effectuait. Malgré tout ses problèmes, il était en paix, en harmonie. Contrairement à moi, il acceptait l'ordre des choses et du monde. Il me récitait des sourates de l'Alcoran. « Tout fidèle doit accomplir ses prières cinq fois par jour, comme le recommande le Prophète ». Je lui demandais de me traduire.
: “La Vérité est venue. Et le Faux ne peut rien commencer ni renouveler”.
“Si je m'égare, je ne m'égare qu'à mes dépens; tandis que si je me guide, alors c'est grâce à ce que Mon Seigneur m'a révélé, car Il est Audient et Proche”.
Si tu voyais quand ils seront saisis de peur, - pas d'échappatoires pour eux, - et ils seront saisis de près !
Ils diront alors : “Nous croyons en lui ”, - Mais comment atteindront-ils la foi de si loin ?
alors qu'auparavant ils y avaient effectivement mécru et ils offensent l'inconnu à partir d'un endroit éloigné !
On les empêchera d'atteindre ce qu'ils désirent, comme cela fut fait auparavant avec leurs semblables, car ils se trouvaient dans un doute profond.’’
Nous avons décidé de passer par le Maroc, valait mieux éviter la Lybie(trafiquants et terroristes) .Nous sommes arrivé dans un halo de lumière et de poussière. Je me rendais compte de plus en plus que la situation était désespérée. J’avais déjà vu des images de migrants, mais à ces proportions là, ça me stupéfiait. Qu’est-ce-qui se passait donc, pour que tant de jeunes fuient l'Afrique comme un pestiféré ?Nous avons voulu nous renseigner tout de suite, Souleymane et moi. Mais les conditions ici avaient rendu même les plus généreux avides, pour une parole, il fallait payer. Nous avons donc dû,contraints,d'emmener un groupe dans une échoppe de la place. Avec de l'alcool, même les plus reservés,les plus farouches deviennent bavards, faciles ;conciliant en somme. Tous avaient mis déjà une certaine période là, ce pouvait être quelques semaines, quelques mois, ou quelques années. Ils vivaient tous avec cet espoir de traverser cette barrière barbelée de huit mètres , de rejoindre l'Espagne et leurs rêves...La distance entre la réalité et leurs rêves se résumait à cela, huit mètres. Chaque jour, des centaines d'entre eux essayaient de franchir cette frontière. Avec plus ou moins de succès. Il y'avait un qui se vantait d'avoir essayé huit-cent soixante cinq fois de passer la barrière .Et dire qu'il le comptait à chaque fois dans un carnet.
Ceux qui avaient déjà échoué ou ceux qui ne se sentaient pas encore prêts à cette épreuve vivaient dans un camp à quelque distance. Un assemblage de tôles et de toiles, qu’ils appelaient du nom de maison. Ils patientaient en essayant de trouver du travail en ville, histoire de survivre.
Il faut dire que mes économies avaient considérablement diminué. Entre les frais de voyage, la paie des passeurs, et les dépenses pour manger et boire, il ne me restait que le necessaire.Je suis donc allé au lieu qui nous avait été indiqué pour avoir du travail. Il a fallu que j'y aille une fois pour être à jamais dégouté.Des milliers de personnes attendaient chaque jour à un point de regroupement. Voici comment ça se passait. Trois ou quatre camions venaient chaque matin chercher les travailleurs. Dès que les camions ouvraient leurs malles arrière, il fallait à bout de bras essayer d'être parmi les élus qui allaient y pénétrer. Aller travailler dans le bâtiment en ville et rentrer le soir avec quelques dinars en poche. Mais il faut dire que la plupart rentraient au campement le soir, ivres d’alcool ou de sexe, après s'être arrêté dans un bar ou au bordel. Je savais à quoi m'attendre, mais dès que les voitures ont garé, une tristesse s'est emparé de moi, je n'avais plus la force de me battre. Je suis rentré tout doucement. Au loin, les chauffeurs refermaient déjà leurs malles. Ceux qui avaient pu entrer jubilaient en poussant des cris de joie et en frappant des mains la carrosserie des voitures. Ils tançaient ceux qui n'avaient pu entrer, et qui restaient là, ahuris et résignés dans la fumée des tuyaux d'échappement. Je voulais déjà quitter ce lieu, j’en avais déjà assez vu, trop vu. Chaque lieu et chaque personne possède une dose de poésie, quand on l’a déjà consommée, il faut où s'en aller ou se tuer, ce qui est aussi une autre façon de partir.

La veille, Souleymane avait particulièrement prié. Ma mère m'aurait demandé aussi de prier en ce moment. Elle m'aurait demander de prier à tous moments, d'ailleurs. Elle m'aurait dit « Laissons tout entre les mains de Dieu » ;mais pour moi, Dieu a baissé les bras, depuis longtemps. Quand nous avons entamé la montée de la barrière, les fers me comprimaient les mains. On aurait dit une tentative d'évasion ; d'une prison à ciel ouvert,l'Afrique.Les gardes du mirador essayaient de nous décourager en tirant des balles en l'air ou en nous hurlant de descendre. J’avais vraiment du mal, mes cuisses et mes jambes ne me répondaient plus.Je m'étais épuisé dans ma traversée du désert. Les barreaux me laissait des blessures aux membres. Je me familiarisais avec la douleur en comprimant les mâchoires, et en pensant à l'avenir qui m'attendait au-delà. Une foule avait mis de la distance entre moi et mon ami. Je ne l'apercevais plus qu'à travers les interstices de leurs mouvements, tout en haut en train de grimper. Le fait de le voir m'a vraiment motivé, je ne voulais pas qu'il me plante là et qu'il continue l'aventure sans moi.J'ai rassemblé toutes mes forces et je me suis saisi de la barrière avec plus de vigueur. Je me focalisais exclusivement sur mon objectif, quand nous avons entendu un bruit lourd. J’ai continué mais les cris des autres m'ont alerté. Il devait se passer quelque chose de suffisamment grave. Je me suis arrêté pour regarder ce qui se passait en bas. Et j'ai remarqué les vêtements de Souleymane. Il était étalé au sol là, entouré déjà par des personnes qui l'examinaient. Il y'a eu comme tout un ballet dans mon cerveau, J’étais tellement sous le coup de ce choc que je tremblais. Nous avons transporté Souleymane sur un drap jusqu'à l'hôpital. À proximité du centre de santé, les autres m'ont laché,ils craignaient d'être arrêtés par la police pour manque de papiers. J’ai hurlé à deux infirmières qui passaient par là. Et elles sont allés tout de suite chercher une civière. Il paraissait apaisé, même dans la souffrance. Il aurait juste fallu l'auréole au-dessus de sa tête pour qu'on le confonde à un Saint...Quand il s'est reveillé,les médécins lui avaient mis du plâtre sur tout le corps. C’était effrayant, il avait l'aspect d'une momie. Les pronostics n'étaient pas bon du tout. Il s’était cassé le coccyx et quelques os de la colonne vertébrale. Il finirait sur un fauteuil roulant, au pire et il marcherait pour toujours en boitant, au mieux. Il ne voulait pas du tout prévenir sa famille, de peur d'ajouter du chagrin au chagrin de sa mère. Il a fallu que j'insiste, pour qu'il accepte de leur donner signe de vie. Il me disait de continuer, qu’on s'occuperait bien de lui. Je ne voulais pas l'abandonner, mais il m'a forcé la main. J’ai dû partir.
Avant de repartir, j’ai voulu dire au revoir à Fatima, une jeune femme que j'avais rencontré pendant mes pérégrinations en ville. Je ne voyais que son visage, mais derrière son voile, je pressentais d'autres choses.... Nous avions lié conversation sur tout et sur rien. Et de fil en aiguille se cousaient des sentiments. Je crois qu'elle m'aimait bien, mais notre volonté d'union se heurtait à une division, la religion.
Avant de partir donc, je suis allé lui dire aurevoir,j'étais en train de lui faire des promesses, du genre quand je serais riche, je reviendrais te chercher pour t'épouser. Un de ses frères nous a surpris, il est resté un court instant éberlué, Il flottait dans le vertige de l'indécision; nous nous sommes fixés tous trois. Silence !Puis reprenant conscience de la situation, il s'est mis à hurler, elle lui a dit « Calmes toi Samir »Mais il n'entendait rien. Elle lui a dit « C'est juste un ami »Mais le supplier semblait l'exciter de plus belle. Rien ne pouvait plus l'arrêter. Les voisins ont été alertés et les passants ont commencé à se mêler de l'affaire. Fatima gardait un silence qui n'était troublé que par ses sanglots. Après que son grand frère leur ai tout expliqué, j’ai compris qu'il s'agissait ni plus ni moins que de me lapider.Motif,pour avoir atteint à l'honneur d'une croyante. Je n'ai pas attendu l'annonce d'une victoire pour faire mon Marathon.
Après cet épisode, je n'avais plus rien à faire là. Il s'agissait maintenant d'aller en Tunisie, de prendre un navire et de mettre les voiles vers l'Italie.
La mer !La mer !Tout de même, j’ai commencé à appréhender, en comparant la force des vagues et la fragilité de notre embarcation. Mais le sort était jeté. Je devais franchir mon Rubicon.Je ne sais pas comment j'ai réussi à ne pas m'évanouir. On avait dû mal à respirer, serrés comme on l'était .Ajouté à cette chaleur pas naturelle, celle du soleil bien naturelle celle là. Les Anciens croyaient que le soleil était un Dieu. Alors je lui ai adressé moi, une prière, une courte prière, une toute petite, au soleil. « Je suis déjà noir, épargnez moi du bronzage » Mais le soleil ne m'a pas exaucé.
Nous avons continué à être secoué. Je ne sais plus combien de temps exactement. Je flottais aux limites de l'inconscience. Cap vers la folie. Puis à un moment, certains ont commencé à vomir dans des sacs ;y'en a même un qui s'est fait dessus,tellement,il avait peur.Odeurs.Nausées.Ça me rappelait l'Evangile où le Christ se lève et apaise les vents et la mer et rétablit le calme dans la nature et dans le cœur de ses disciples ,mais il n'y avait pas de Christ pour nous. Chacun pour soi, Dieu pour personne.
Une vague plus sournoise que les autres. Une vague qu'on n'avait pas vu venir nous a tous rejetés à l'eau. S'en est suivi une bataille pour les bouées de sauvetage. Ceux qui pouvaient, essayaient déjà de rejoindre l’Europe à la nage. L’eau nous entraînait à son gré .Nous, nous attendions dans la surface bleue le bateau d'une association humanitaire ou d'une ONG .Il faisait froid. Je grelottais.
J'ai commencé à regretter, là-bas j'aurais dû rester ,c'était chez moi,j'y suis né, pas ici dans la Méditerranée.