Moi,je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère c'est comme si j'étais un extraterrestre...
Dernière phrase prononcée par le nègre en sueur couché à côté de moi avant que je me lève pour vérifier si on n'est pas en train de nous guetter. À travers un trou du coin de la serrure, je me rassure que personne ne se trouve aux alentours mais je ne reviens pas tout de suite sur mes pas. Je reste à genoux, appuyée contre la porte, la tête en direction du trou mais je ne regarde plus rien. Peut-être que je regarde le vide. Je suis loin dans mes pensées...je cogite, je ressasse. Pour la première fois depuis notre entrée dans cette pièce torride, j'arrive à remettre en question ma décision. Pour la première fois, je me demande si j'ai bien fait. Aurais-je pu faire un autre choix ?
-Psssttt!
Je sursaute en voyant qu'il me fait signe depuis sa cachette. Je me souviens alors qu'il n'a pas fini de se confier à moi. Je me souviens que son histoire m'intéresse et que je dois l'écouter avant qu'il ne parte.
"Un extraterrestre ?"
Je reviens sur ce mot afin de lui montrer combien j'étais attentive. N'ayant point remarqué que j'étais plongée dans un questionnement intérieur, il continue son récit toujours à voix basse.
-Oui,à cause de la manière dont j'aborde la vie, la bravoure exceptionnelle que je manifestais comparativement aux autres enfants de mon âge et certains plus âgés. Mon caractère n'était pas celui d'un humain normal. C'était également le point de vue de nombreux adultes qui contemplaient mon dévouement. Ce dévouement qu'ils voyaient en moi comme un atout considérable, c'est ce qui me garde en vie. Même si celle-ci se résume au fait d'être vécue au jour le jour, je trouvais toujours la nécessité de me battre parce que cette vie qui s'offrait à nous -moi,ma mère, ma sœur et nos voisins des trottoirs- n'est pas faite pour des humains. Nous nous en rendions compte seulement dans nos moments de faiblesse. C'était surtout en ces moments que ma mère me traitait d'extraterrestre. En effet, je m'efforçais à être fort ou du moins à paraître comme tel même lorsque je me suis senti le plus faible. Je ne perdais jamais courage. Quand mes frères de la rue revenaient épuisés à leur point de départ,résignés au fait de ne pas trouver de travail ou de l'aumône,je parcourais d'autres rues en train de chercher. Je cherchais, je cherchais, je cherchais et je parvenais toujours à trouver quelque chose. Un de ces jours, je suis sorti tôt le matin et,n'ayant rien trouvé à proximité du palais, je me suis agrippé à un bus de Pétion-Ville pour quémander. On m'a chassé. J'ai donc fait l'aller-retour de deux autres communes pour revenir avec cent gourdes en poche retrouver ma mère morte à côté de ma sœur en pleurs. Morte de quoi ? Je ne sais toujours pas.
Ce jour-là,j'ai cessé d'être un extraterrestre ou j'en suis devenu un, tout dépend de l'idée que vous vous faites d'un tel être.
Il se tait pour me regarder essuyer mes larmes du revers de la main. Dès le début, son histoire n'a fait que me toucher le cœur.
Je ne sais pas si je devrais ressentir tout ça mais c'est ce qui arrive : je ressens de la rage, de la culpabilité, du remords...
Le rythme de mon cœur s'accélère. J'aimerais lui demander si c'est à partir de ce jour qu'il a commencé à voler mais je n'ose pas. Comment le traiter de "voleur"?
Devinant sûrement ce que j'ai en tête, il poursuit :
-Je suis différent ! oui,je l'ai toujours été. Face à de telles situations j'ai vu pas mal de mes pairs devenir fous ou se suicider en soutenant que la vie n'a plus de sens. Moi,après avoir passé des jours déprimé,nourri par les autres pauvres quand ils font bonne recette, je me suis relevé et j'ai voulu continuer à vivre. Pour vivre on doit manger et la nourriture est la plus rare de mes possessions. Que pouvais-je chercher de plus ? De quoi avais-je besoin si ce n'est pas de manger ?
Le besoin de vivre implique celui de se nourrir. J'ai la vie mais pas de nourriture. Je cherche celle-ci.
Ma sœur elle, ne faisait que pleurer l'absence de notre mère. Devenue hystérique, elle se faisait violer le jour comme la nuit, ce qui engendrait souvent des bagarres entre ces violeurs et moi. C'est là que vient se présenter l'obligation de nous procurer un toit. Je suis devenu alors frustré, et je me suis lancé dans le vol. Je me suis mis à voler dans les tap-tap et les bus de diverses régions de la capitale. Je n'ai jamais fait de la prison, ce que je viens d'effleurer ce soir avec cette patrouille qui est au carrefour. Quel Saint vous a envoyée me sauver ? C'est peut-être ma mère là où elle se trouve.
Quand vous m'avez poussé à l'intérieur, fermé la porte et que j'ai entendu la foule arriver, j'ai failli m'évanouir. Je croyais que vous aviez utilisé ce moyen pour me livrer à eux. Au contraire, vous me protégez sans tenir compte du fait que je viens d'entrer chez votre voisin pour prendre ce qui ne m'appartient pas.
Pourquoi faîtes-vous tout ça ? À quelle fin ?
Je dois vous avouer que je suis gêné, embarrassé...je ne sais quoi penser face à cette présence,symbole de protection injuste.
Vous remercier, je dois le faire même si je ne vois pas comment.
Vous me sauvez des coups, d'une course de durée indéterminée, de la prison, même de la mort.
Vous venez de sauver la vie d'un voleur mademoiselle, la vie de ma sœur également. Deux pauvres enfants qui ont eu la malchance d'être nés dans une famille monoparentale qui allait avoir sa maison réduite en cendres, sans un sou ni personne pour l'assister. Pauvres enfants envers lesquels la vie a toujours été injuste.
Pauvre enfant que je suis, vous venez de me sauver la vie. Je ne cesse de me demander à quelle fin. Pardonnez-moi mademoiselle !
-Moi aussi je me pose des questions auxquelles je ne trouve aucune réponse,n'en cherchons pas. Vous pouvez manger, prendre un bain et passer la nuit ici pour te reposer un peu. Vous partirez demain à l'aube à bord d'un taxi qui viendra vous prendre dans la cour afin de garder la discrétion.
Cet homme dont je ne connais même pas le nom ne trouve rien à dire face à mon acte incompréhensible. Il me regarde avec les lèvres entr'ouvertes,impressionné,comme si c'était moi l'extraterrestre.
Dernière phrase prononcée par le nègre en sueur couché à côté de moi avant que je me lève pour vérifier si on n'est pas en train de nous guetter. À travers un trou du coin de la serrure, je me rassure que personne ne se trouve aux alentours mais je ne reviens pas tout de suite sur mes pas. Je reste à genoux, appuyée contre la porte, la tête en direction du trou mais je ne regarde plus rien. Peut-être que je regarde le vide. Je suis loin dans mes pensées...je cogite, je ressasse. Pour la première fois depuis notre entrée dans cette pièce torride, j'arrive à remettre en question ma décision. Pour la première fois, je me demande si j'ai bien fait. Aurais-je pu faire un autre choix ?
-Psssttt!
Je sursaute en voyant qu'il me fait signe depuis sa cachette. Je me souviens alors qu'il n'a pas fini de se confier à moi. Je me souviens que son histoire m'intéresse et que je dois l'écouter avant qu'il ne parte.
"Un extraterrestre ?"
Je reviens sur ce mot afin de lui montrer combien j'étais attentive. N'ayant point remarqué que j'étais plongée dans un questionnement intérieur, il continue son récit toujours à voix basse.
-Oui,à cause de la manière dont j'aborde la vie, la bravoure exceptionnelle que je manifestais comparativement aux autres enfants de mon âge et certains plus âgés. Mon caractère n'était pas celui d'un humain normal. C'était également le point de vue de nombreux adultes qui contemplaient mon dévouement. Ce dévouement qu'ils voyaient en moi comme un atout considérable, c'est ce qui me garde en vie. Même si celle-ci se résume au fait d'être vécue au jour le jour, je trouvais toujours la nécessité de me battre parce que cette vie qui s'offrait à nous -moi,ma mère, ma sœur et nos voisins des trottoirs- n'est pas faite pour des humains. Nous nous en rendions compte seulement dans nos moments de faiblesse. C'était surtout en ces moments que ma mère me traitait d'extraterrestre. En effet, je m'efforçais à être fort ou du moins à paraître comme tel même lorsque je me suis senti le plus faible. Je ne perdais jamais courage. Quand mes frères de la rue revenaient épuisés à leur point de départ,résignés au fait de ne pas trouver de travail ou de l'aumône,je parcourais d'autres rues en train de chercher. Je cherchais, je cherchais, je cherchais et je parvenais toujours à trouver quelque chose. Un de ces jours, je suis sorti tôt le matin et,n'ayant rien trouvé à proximité du palais, je me suis agrippé à un bus de Pétion-Ville pour quémander. On m'a chassé. J'ai donc fait l'aller-retour de deux autres communes pour revenir avec cent gourdes en poche retrouver ma mère morte à côté de ma sœur en pleurs. Morte de quoi ? Je ne sais toujours pas.
Ce jour-là,j'ai cessé d'être un extraterrestre ou j'en suis devenu un, tout dépend de l'idée que vous vous faites d'un tel être.
Il se tait pour me regarder essuyer mes larmes du revers de la main. Dès le début, son histoire n'a fait que me toucher le cœur.
Je ne sais pas si je devrais ressentir tout ça mais c'est ce qui arrive : je ressens de la rage, de la culpabilité, du remords...
Le rythme de mon cœur s'accélère. J'aimerais lui demander si c'est à partir de ce jour qu'il a commencé à voler mais je n'ose pas. Comment le traiter de "voleur"?
Devinant sûrement ce que j'ai en tête, il poursuit :
-Je suis différent ! oui,je l'ai toujours été. Face à de telles situations j'ai vu pas mal de mes pairs devenir fous ou se suicider en soutenant que la vie n'a plus de sens. Moi,après avoir passé des jours déprimé,nourri par les autres pauvres quand ils font bonne recette, je me suis relevé et j'ai voulu continuer à vivre. Pour vivre on doit manger et la nourriture est la plus rare de mes possessions. Que pouvais-je chercher de plus ? De quoi avais-je besoin si ce n'est pas de manger ?
Le besoin de vivre implique celui de se nourrir. J'ai la vie mais pas de nourriture. Je cherche celle-ci.
Ma sœur elle, ne faisait que pleurer l'absence de notre mère. Devenue hystérique, elle se faisait violer le jour comme la nuit, ce qui engendrait souvent des bagarres entre ces violeurs et moi. C'est là que vient se présenter l'obligation de nous procurer un toit. Je suis devenu alors frustré, et je me suis lancé dans le vol. Je me suis mis à voler dans les tap-tap et les bus de diverses régions de la capitale. Je n'ai jamais fait de la prison, ce que je viens d'effleurer ce soir avec cette patrouille qui est au carrefour. Quel Saint vous a envoyée me sauver ? C'est peut-être ma mère là où elle se trouve.
Quand vous m'avez poussé à l'intérieur, fermé la porte et que j'ai entendu la foule arriver, j'ai failli m'évanouir. Je croyais que vous aviez utilisé ce moyen pour me livrer à eux. Au contraire, vous me protégez sans tenir compte du fait que je viens d'entrer chez votre voisin pour prendre ce qui ne m'appartient pas.
Pourquoi faîtes-vous tout ça ? À quelle fin ?
Je dois vous avouer que je suis gêné, embarrassé...je ne sais quoi penser face à cette présence,symbole de protection injuste.
Vous remercier, je dois le faire même si je ne vois pas comment.
Vous me sauvez des coups, d'une course de durée indéterminée, de la prison, même de la mort.
Vous venez de sauver la vie d'un voleur mademoiselle, la vie de ma sœur également. Deux pauvres enfants qui ont eu la malchance d'être nés dans une famille monoparentale qui allait avoir sa maison réduite en cendres, sans un sou ni personne pour l'assister. Pauvres enfants envers lesquels la vie a toujours été injuste.
Pauvre enfant que je suis, vous venez de me sauver la vie. Je ne cesse de me demander à quelle fin. Pardonnez-moi mademoiselle !
-Moi aussi je me pose des questions auxquelles je ne trouve aucune réponse,n'en cherchons pas. Vous pouvez manger, prendre un bain et passer la nuit ici pour te reposer un peu. Vous partirez demain à l'aube à bord d'un taxi qui viendra vous prendre dans la cour afin de garder la discrétion.
Cet homme dont je ne connais même pas le nom ne trouve rien à dire face à mon acte incompréhensible. Il me regarde avec les lèvres entr'ouvertes,impressionné,comme si c'était moi l'extraterrestre.