C'était bel et bien réel...

Oliva, De Madagascar (Oui je suis Malagasy), Etudiante en sciences agronomiques (mais rêveuse à plein temps!) Passionnée de lecture et d'écriture (Bon hyper mega débutante pour la deuxième ... [+]

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Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extraterrestre. J'avais vu des choses que les autres ne voyaient pas. J'avais entendu des voix au beau milieu d'un silence absolu. Peut-être suis-je fou ? Mais jamais je n'aurais cru que cela me mènerait à sa perte. Mes pensées me ramènent souvent à cette nuit. Les souvenirs de ce cauchemar me hantent toujours. Les branches qui crépitent, les flammes qui dansent et puis l'obscurité qui règne. Parfois, dans mon sommeil, je crois encore entendre sa voix. Et pourtant, tout allait si bien au début. Les habitants du village nous avaient accueillis chaleureusement. Ils s'étaient fait une joie immense de nous aider dans notre stage. Joe et moi qui d'habitude à l'université ne s'entendaient guère avaient fini par trouver un point d'entente. Il avait un côté séducteur et arrogant que je ne supportais pas. Mais je lui en voulais personnellement parce qu'il ne pouvait s'empêcher de conter fleurette à ma bien aimée. Quant à Rina, rien n'était plus important pour lui que d'assouvir son besoin de sensation forte.
Hors de la civilisation, gisait, abandonné, dans les hautes terres malgaches, un modeste village Antalaha, situé au bas d'un versant d'une montagne ornée de forêt de Tapia. A l'entrée du village nous attendait un vieil homme maigre, certainement le plus âgé du village. Il nous installa dans une petite case fait de briques cuites. Le lendemain, le vieil homme nous présenta aux habitants et nous fit visiter les lieux. On traversa les champs et la forêt puis finit par franchir un seuil rocheux au-delà duquel se trouvait un lac. Une étrangeté particulière se dégageait de ce lieu. On n'entendait aucun bruit d'animaux et pourtant il m'ait semblé entendre des voix. Non, c'était plutôt des cris.
Vous entendez ça ? demandais-je. Ils se retournèrent tous vers moi en jetant des regards interlocuteurs.
Quoi ? me questionna Joe
Ces cris ? Vous n'entendez rien ?
Je crois que tu as besoin d'un bon sommeil mon pote parce que tu dégringoles un peu, retorqua Rina et ils finirent tous par se moquer de moi.
Mais j'entendais toujours les cris et il me semblait venir du lac. Depuis, je faisais le même cauchemar chaque nuit. On essayait de se rapprocher mais la distance qui nous séparait ne cessa de s'accroître. J'ai beau courir, c'était comme si je flottais sur place. Et je la vis aspiré par une obscurité fatale...

C'était un soir de jeudi. Au début, j'en étais contre mais l'enthousiasme de Lila avait pris le dessus sur moi. J'étais jeune et naïf. Je l'aimais depuis les premiers instants où j'ai posé les yeux sur elle. L'amour ne m'avait pas donné raison. Après tout, ce stage méritait une nuit de détente disaient-ils. Plus j'y pense et plus la culpabilité et le regret me rongent au fil des années. Peut-être que j'aurais pu la sauver ? Ce ne fut pas le cas. J'étais un lâche... Il ne restait que deux nuits avant de quitter ce lieu. Profitant de la pleine lune, nous nous rendîmes près du lac pour un feu de camp. La clarté de la lune se mariait avec le paysage. Le calme régnait, on n'entendait que la poussée du vent qui sifflait dans les arbres. Joe alluma un grand feu de branches sèches et nous nous assîmes tout autour. Rina narrait des fausses anecdotes de balades en forêt terrifiante. Puis il s'est mis à faire des blagues pendant que les branches crépitaient. Je jetais des regards sur Lila. Elle était attentive aux récits, passant de peur à la joie. Nous l'étions tous. Pour une fois, j'ai cru passer un bon moment. Hélas ce n'était pas suffisant. L'envie irrésistible de se baigner hantait mes camarades. Étonnamment, cette même envie m'envahissait aussi. Je voulais goutter au bain de minuit de ce lac. Rina se tenait debout et s'étant rapidement débarrassé de ses vêtements, il se tourna vers nous.
Alors vous venez ?
Sans attendre notre réponse, il prit une profonde inspiration et plongea dans le lac. Les secondes passèrent sans le moindre remous ni frisselis. Nous étions ébahis par l'immobilité des eaux. Aucun de nous trois n'arrivait plus à placer un seul mot. Je senti la peur me gagner. Où étais passé Rina ? Pourquoi ne sortait-il pas ? J'allais m'approcher de la berge pour mieux voir quand soudain, le silence fut rompu par un bruit de rire éclatant. Le bruit venait derrière nous.
Bande de trouillard ! Vous aurez du voir vos têtes.
Ce fut la mauvaise blague qu'il n'ait fait mais ça, ce n'était encore qu'une blague. Il se remit aussitôt dans l'eau suivi de Joe et Lila. Je m'apprêtais à les suivre. Je voulais sentir l'eau sur mon corps. En n'entrant dans l'eau qu'à mis corps je ne risquais rien mais la peur de ce qui pouvait s'y cacher m'envahit. J'avais aussi peur de me ridiculiser devant elle. J'étais moins doué que les autres en natation. Ma décision fut prise. Les insultes des gars ne m'auraient pas fait changer d'avis.
Je m'assis donc sur l'herbe et me mis à contempler Lila. Elle s'ébroua et fit jaillir l'eau tout autour. Elle faisait balancer ses cheveux bruns mouillés étincelants accentués par l'éclat de la lune. Elle était belle, plus belle que jamais. Je l'aimais. Ses gestes étaient d'une délicatesse absolue. Et pour la dernière fois, je la vis sourire.
Pris par la fatigue, nous décidâmes de rejoindre chacun nos sacs de couchage. Une vague inquiétude me tenait éveillé. Je demeurais immobile plusieurs minutes, attentif au mystère angoissant de la nuit. Mais la fatigue a eu raison de moi et je finis par m'endormir. Soudain, je fus brusquement réveillé par un cri. Je vis aussitôt une lumière vacillée sur le lac. Je fis pris de panique quand un autre cri retenti. Je reconnaissais cette voix et mon sang se glaça dans mes veines. Elle provenait d'une source lumineuse qui s'éloigna peu à peu du rivage. Je discernais des cheveux bruns qui se balançaient partout et je la vis flotter au-dessus du lac. C'était Lila. Elle tenait une torche. Mais elle n'était pas seule. Une masse noire la tenait prisonnière, exactement comme dans mes cauchemars. Jamais je n'ai vu de truc pareil. Je tremblais comme une feuille mais je ne pouvais pas la laisser ainsi. Pas elle. Revenu à la raison, je me penchais la tête sur le côté. Joe et Rina avaient disparu. Mettant de côté mes craintes, je m'avançais sur la berge. Je fermais les yeux et fit un grand saut pour la rejoindre. L'eau était si froide et consuma le plus profond de mon être. Mais ce n'était pas mon seul obstacle, j'entendais de nouveau les cris de plus en plus forts à mesure que je m'approchais d'elle. Ces cris ressemblaient à des cris de femmes implorés secours. La terreur me gagna, d'où venait ces cris ? J'étais maintenant à quelques mètres de Lila. La masse noire l'enveloppait de plus en plus. Bientôt, la masse prit des formes plus ou moins humaines sauf qu'elle n'avait aucun membre distinct. Une sorte de robe noire l'enveloppait et je cru discerner deux yeux d'un noir verdâtre. C'était à ce moment que je vis pour la première fois un être maléfique. Dans son étreinte, Lila tenta de se détacher mais en vain. Je continuais de nager pour la secourir. La créature semblait ne pas s'apercevoir de ma présence. Lila se débattit et ouvris la bouche pour crier mais alors, la créature s'enroula une bonne fois pour toute autour d'elle et finit par l'immobiliser, l'emportant aussitôt dans les profondeurs. Je continuais à croire que je pourrais encore la sauver, que je pourrais la libérer de cette étreinte maléfique. Je voulais retrouver encore une fois son sourire. Je plongeais à mon tour dans les profondeurs. La lumière de la torche qu'elle tenait me donna encore espoir. Je la suivis. Je tentais de la rattraper mais elle s'éloigna de plus en plus vite et fini par s'éteindre à jamais. Bientôt je fis plonger dans un noir absolu... C'était mon dernier souvenir avant d'être réveillé par Rina et Joe sur la berge. Personne ne m'a jamais cru sur ce qui était arrivé réellement ce jour-là. Pour eux, elle était morte noyée. Mais une chose est sûre, c'était bel et bien réel...