En parlant de la Haute-Savoie, le peintre Charles Coppier (1866-1948) affirme que « cette région offre les plus beaux paysages du monde ». Sans être chauvin, je reconnais que « cette région » où je vis , a de quoi combler les amoureux de la nature, particulièrement ceux passionnés par les randonnées en montagne.
De l'adolescence à l'âge de trente ans (je dus ensuite partir à l'étranger pour raisons professionnelles) je passais, à la belle saison, la plupart de mes dimanches à gravir des sentiers qui conduisaient vers des sommets, « à l'altitude des dieux. »
Souvent, j'étais accompagné par deux amis d'enfance : Jean-François, mon meilleur copain du primaire, et celle que nous surnommions Zizou. Je ne rappelle plus, aujourd'hui, le véritable prénom de cette fille dont le père, pharmacien, passait pour le meilleur spécialiste en mycologie de la ville.
Quand ma mère n'était pas sûre à 100% de sa cueillette, elle se rendait à la pharmacie et le patron sans recourir à un livre, nommait précisément tous les champignons ramassés. Il donnait même des conseils pour la dégustation :
« Voyez cette coulemelle, vous pouvez manger crue la collerette, elle a un goût de noisette. »
Zizou et sa famille habitaient dans mon quartier.
Un dimanche de juillet 1971, nous avions fixé tous trois comme but de notre sortie commune « le balcon du Taillefer ».
-C'est presque de la montagne à vaches, ironisa Jean-François, mais j'prends quand même une corde et des mousquetons, on sait jamais !
Jean-François était le « pro » de l'équipe.
Zizou, elle, emportait toujours une trousse de premiers secours. Son père lui avait offert un modèle très complet qui comportait seringue et sérum contre les morsures de serpents.
D'ailleurs, notre copine était fière de nous rappeler fréquemment qu'elle avait réussi du premier coup son diplôme de secouriste.
Le balcon du Taillefer présente une particularité : à mi-parcours, on s'engage dans une espèce de défilé et le sentier se trouve à moins de 5 mètres d'une piste située, en face, sur un autre massif. Un à-pic de 500 mètres sépare, à cet endroit, les deux montagnes.
Nous étions partis tôt, pour éviter la chaleur estivale. Nous nous hâtions lentement, comme le conseillent les Savoyards, amusés par des néophytes qui partent comme des flèches et au bout de 3 heures ne peuvent plus avancer tant leurs cuisses « brûlent ». Nous arrivions au défilé. Je marchais en tête. Soudain j'entends :
« Ohé, ohé...arrêtez vous, s'il vous plaît. Ecoutez-moi ! »
En face, au bord de la piste, un homme est assis, le dos affalé contre un sapin. Il nous raconte qu'en recherchant des edelweiss au milieu des rochers voisins, il s'est fait mordre à la main par une vipère.
Depuis une demi-heure, il attend immobile, l'arrivée d'autres randonneurs.
« Est-ce que vous pouvez m'aider ? » supplie-t-il.
Evidemment, à cette époque, pas de portable !
Zizou prend la parole :
« Je vais traverser. Jean-François, tu lances de l'autre côté une partie de ta corde.Vous, monsieur, vous l'enroulez plusieurs fois autour du tronc du sapin et vous la bloquez par un nœud de cabestan . Vous savez faire ?...Bon.
Nous, nous avons ici un rocher qui assurera un bon arrimage. C'est moi la plus légère, mais j'ai des bras solides : en première et en terminale, à Raoul Blanchard, je faisais partie de l'équipe de hand du lycée. J'ai jamais raté un penalty. Alors, 5 mètres en singe, çà m' fait pas peur ! Le temps d'installer la corde, je place la trousse de secours à ma taille, je mets mes gants et c'est parti. »
-Mais faut t'assurer, dis-je, inquiet. Avec la corde inutilisée, on peut fabriquer, Jean -François et moi un harnais de fortune, on y attachera un mousqueton et tu pourras traverser sans danger.
-Pas de temps à perdre; je suis sûre de moi, dès que possible, j' y vais.
La corde, parfaitement tendue relia bientôt les deux côtés. Je proposai :
« Jean-François, tu restes sur place. Moi, je cours jusqu'à la ferme-auberge des Lindarets, à moins d'un kilomètre d'ici. Je sais qu'elle est ouverte. Ils ont le téléphone et je pourrai alerter les secours.
Quand je revins, ma mission accomplie, je vis Zizou aux côtés du randonneur. Elle avait fait la piqûre ; l'homme était tiré d'affaire.
Moins d' une heure après, les sauveteurs arrivaient en 4x4 par la piste. Zizou repartit avec eux.
Le lendemain, la presse locale lui consacra un article très élogieux, illustré d'une photo sur laquelle on la voyait entourée des sauveteurs et du Maire.
Je retrouvai Zizou dans la soirée. Elle s'amusait de son aventure :
« Désormais on ne pourra pas me reprocher d'avoir fait le singe. Tu te rappelles comme j'aimais çà, quand nous étions des mômes. »
Si je me rappelle ! Une vraie sauvageonne. Elle participait -à égalité avec nous- à tous nos jeux de garçons . Courses échevelées en forêt, escalade de rochers, batailles de pommes de pin, construction de cabanes, arbres-parachutes... Quand nous hésitions, c'est elle qui prenait la décision et nous, les durs du quartier, nous lui obéissions.
Un jour - nous avions 14 ans, je crois- elle me lança un défi à la lutte. Face aux copains, je ne pouvais me défiler. Nous roulâmes dans l'herbe du pré. Je combattis quelques instants, mais foudroyé par le contact de ses jeunes seins contre ma poitrine, je cessai bientôt toute résistance...et je la revois, un large sourire aux lèvres me plaquant les deux épaules au sol.
Non, Zizou, jamais je ne t'oublierai.
De l'adolescence à l'âge de trente ans (je dus ensuite partir à l'étranger pour raisons professionnelles) je passais, à la belle saison, la plupart de mes dimanches à gravir des sentiers qui conduisaient vers des sommets, « à l'altitude des dieux. »
Souvent, j'étais accompagné par deux amis d'enfance : Jean-François, mon meilleur copain du primaire, et celle que nous surnommions Zizou. Je ne rappelle plus, aujourd'hui, le véritable prénom de cette fille dont le père, pharmacien, passait pour le meilleur spécialiste en mycologie de la ville.
Quand ma mère n'était pas sûre à 100% de sa cueillette, elle se rendait à la pharmacie et le patron sans recourir à un livre, nommait précisément tous les champignons ramassés. Il donnait même des conseils pour la dégustation :
« Voyez cette coulemelle, vous pouvez manger crue la collerette, elle a un goût de noisette. »
Zizou et sa famille habitaient dans mon quartier.
Un dimanche de juillet 1971, nous avions fixé tous trois comme but de notre sortie commune « le balcon du Taillefer ».
-C'est presque de la montagne à vaches, ironisa Jean-François, mais j'prends quand même une corde et des mousquetons, on sait jamais !
Jean-François était le « pro » de l'équipe.
Zizou, elle, emportait toujours une trousse de premiers secours. Son père lui avait offert un modèle très complet qui comportait seringue et sérum contre les morsures de serpents.
D'ailleurs, notre copine était fière de nous rappeler fréquemment qu'elle avait réussi du premier coup son diplôme de secouriste.
Le balcon du Taillefer présente une particularité : à mi-parcours, on s'engage dans une espèce de défilé et le sentier se trouve à moins de 5 mètres d'une piste située, en face, sur un autre massif. Un à-pic de 500 mètres sépare, à cet endroit, les deux montagnes.
Nous étions partis tôt, pour éviter la chaleur estivale. Nous nous hâtions lentement, comme le conseillent les Savoyards, amusés par des néophytes qui partent comme des flèches et au bout de 3 heures ne peuvent plus avancer tant leurs cuisses « brûlent ». Nous arrivions au défilé. Je marchais en tête. Soudain j'entends :
« Ohé, ohé...arrêtez vous, s'il vous plaît. Ecoutez-moi ! »
En face, au bord de la piste, un homme est assis, le dos affalé contre un sapin. Il nous raconte qu'en recherchant des edelweiss au milieu des rochers voisins, il s'est fait mordre à la main par une vipère.
Depuis une demi-heure, il attend immobile, l'arrivée d'autres randonneurs.
« Est-ce que vous pouvez m'aider ? » supplie-t-il.
Evidemment, à cette époque, pas de portable !
Zizou prend la parole :
« Je vais traverser. Jean-François, tu lances de l'autre côté une partie de ta corde.Vous, monsieur, vous l'enroulez plusieurs fois autour du tronc du sapin et vous la bloquez par un nœud de cabestan . Vous savez faire ?...Bon.
Nous, nous avons ici un rocher qui assurera un bon arrimage. C'est moi la plus légère, mais j'ai des bras solides : en première et en terminale, à Raoul Blanchard, je faisais partie de l'équipe de hand du lycée. J'ai jamais raté un penalty. Alors, 5 mètres en singe, çà m' fait pas peur ! Le temps d'installer la corde, je place la trousse de secours à ma taille, je mets mes gants et c'est parti. »
-Mais faut t'assurer, dis-je, inquiet. Avec la corde inutilisée, on peut fabriquer, Jean -François et moi un harnais de fortune, on y attachera un mousqueton et tu pourras traverser sans danger.
-Pas de temps à perdre; je suis sûre de moi, dès que possible, j' y vais.
La corde, parfaitement tendue relia bientôt les deux côtés. Je proposai :
« Jean-François, tu restes sur place. Moi, je cours jusqu'à la ferme-auberge des Lindarets, à moins d'un kilomètre d'ici. Je sais qu'elle est ouverte. Ils ont le téléphone et je pourrai alerter les secours.
Quand je revins, ma mission accomplie, je vis Zizou aux côtés du randonneur. Elle avait fait la piqûre ; l'homme était tiré d'affaire.
Moins d' une heure après, les sauveteurs arrivaient en 4x4 par la piste. Zizou repartit avec eux.
Le lendemain, la presse locale lui consacra un article très élogieux, illustré d'une photo sur laquelle on la voyait entourée des sauveteurs et du Maire.
Je retrouvai Zizou dans la soirée. Elle s'amusait de son aventure :
« Désormais on ne pourra pas me reprocher d'avoir fait le singe. Tu te rappelles comme j'aimais çà, quand nous étions des mômes. »
Si je me rappelle ! Une vraie sauvageonne. Elle participait -à égalité avec nous- à tous nos jeux de garçons . Courses échevelées en forêt, escalade de rochers, batailles de pommes de pin, construction de cabanes, arbres-parachutes... Quand nous hésitions, c'est elle qui prenait la décision et nous, les durs du quartier, nous lui obéissions.
Un jour - nous avions 14 ans, je crois- elle me lança un défi à la lutte. Face aux copains, je ne pouvais me défiler. Nous roulâmes dans l'herbe du pré. Je combattis quelques instants, mais foudroyé par le contact de ses jeunes seins contre ma poitrine, je cessai bientôt toute résistance...et je la revois, un large sourire aux lèvres me plaquant les deux épaules au sol.
Non, Zizou, jamais je ne t'oublierai.