Tout se déroula dans un silence presque total. Ils firent irruption dans le dortoir au milieu de la nuit, cagoulés et armés jusqu’aux dents. Je comptais entre quinze et vingt hommes. Je compris très vite que leur but était de constituer de nouveaux otages.
Certaines tentèrent de s’enfuir, en vain. Ils étaient très bien préparés, habitués à ces attaques devenues trop fréquentes dans notre pays. Ils nous emmenèrent dans la forêt, vers leur base arrière où nous attendrions que les négociations avec les forces de l’ordre aboutissent. La plupart du temps, nous, jeunes filles, servions de monnaie d’échange. Notre libération était conditionnée au versement d’une rançon. Mais nous pourrions tout aussi bien être revendues comme une vulgaire marchandise et finir converties à une obscure religion quand nos ravisseurs étaient habités de desseins idéologistes.
Ma grande sœur Leah figurait parmi les victimes qui subirent ce sort en deux-mille- quatorze. La secte Boko Haram avait alors kidnappé deux-cent-soixante-seize jeunes filles à Chibok, pendant les épreuves du bac. J’avais à peine huit ans mais je me souviens très bien de la détresse de mes parents à l’annonce du kidnapping de leur enfant, de leur désespoir à mesure que le temps s’écoulait, de leur résignation quand nous comprîmes que nous ne la reverrions jamais.
A l’époque, la communauté internationale s’émut de cette situation. De nombreuses personnalités prirent position en faveur de la libération des captives : des politiques comme Michelle Obama ou Hillary Clinton mais aussi des artistes comme Jessica Alba, Angélina Jolie ou Wyclef Jean. Un hastag sur Twitter fut même lancé ! Bien malgré eux, ces gens débordant d’empathie offrirent une publicité inespérée aux ravisseurs... Et surtout quelle inspiration insufflèrent-ils à des terroristes avides d’argent ! J’en subis désormais les conséquences...
Aujourd’hui il n’y a plus d’échos dans le monde de ce que notre jeunesse vit et pourtant ces pratiques se multiplient. Mes camarades et moi sommes les victimes du quatrième enlèvement de ce type depuis le début de l’année. Personne ne s’y intéresse, le temps de l’indignation est bien loin. Certes, les médias de notre planète ont beaucoup d’autres préoccupations mais force est de constater que nos vies attirent moins d’audience que la propagation d’un virus grippal. Et nous ne pouvons pas compter sur notre Etat qui ne prend aucune mesure pour endiguer ce fléau. Nos dirigeants ont beau prétendre qu’ils ne cèdent pas au chantage, personne n’est dupe.
La veille de notre enlèvement, notre école participait aux qualifications pour la finale nationale du cross. Parmi les six-cents coureuses de la région, je validai mon ticket pour la finale d’Abuja, terminant au sprint à une honorable dix-huitième place, suffisante pour voir la capitale. La course à pied représentait pour moi beaucoup plus d’un simple hobby : dans les forêts luxuriantes de mon pays, je laissai mon esprit cavaler, m’imaginant une vie différente de celle de mes parents. J’imaginai parcourir la planète avec pour quête de m’extirper de ma condition : celle d’une jeune africaine mal née et tentant d’échapper à ce destin qui m’était promis, celui de générer une nombreuse descendance.
J’ai décidé de me battre. Hors de question d’endurer sans broncher le calvaire que ma sœur subit, peut-être même encore aujourd’hui. Nombreuses sont les otages de deux-mille- quatorze, mariées de force, enfermées malgré elles et sans doute converties à une idéologie d’un autre temps.
Notre enlèvement s’est produit il y a maintenant trois semaines. Nous ne sommes pas nombreuses dans ces cabanes de bric et de broc, quelques dizaines tout au plus. A force de discussions, liens, échanges, je suis parvenue à trouver des alliées prêtes, comme moi à s’extirper de ce piège. Inaya et Malya m’ont rejointe dans le projet que nous aimons appeler « La course ». Pas question d’attendre qu’on nous libère ou qu’on nous monnaye, nous trouverons le moyen de fuir de cet enfer.
Nous avons discuté chaque soir de la façon de nous y prendre, rassemblé assez d’éléments pour exécuter notre plan. La pleine lune arrive dans deux jours, nous bénéficierons d’un maximum de lumière pour traverser les bois. Nous avons relevé la fréquence des rondes de nos geôliers, noté que celles assurées par Soulayman ne sont pas des plus rigoureuses. Le penchant pour la boisson du bonhomme nous permettra de profiter de son sommeil d’ivrogne pour prendre la clé des champs.
Nous nous dirigerons vers l’ouest, puissent les forces du bien nous accompagner et nos jambes nous porter aussi loin et aussi vite que nécessaire !
Certaines tentèrent de s’enfuir, en vain. Ils étaient très bien préparés, habitués à ces attaques devenues trop fréquentes dans notre pays. Ils nous emmenèrent dans la forêt, vers leur base arrière où nous attendrions que les négociations avec les forces de l’ordre aboutissent. La plupart du temps, nous, jeunes filles, servions de monnaie d’échange. Notre libération était conditionnée au versement d’une rançon. Mais nous pourrions tout aussi bien être revendues comme une vulgaire marchandise et finir converties à une obscure religion quand nos ravisseurs étaient habités de desseins idéologistes.
Ma grande sœur Leah figurait parmi les victimes qui subirent ce sort en deux-mille- quatorze. La secte Boko Haram avait alors kidnappé deux-cent-soixante-seize jeunes filles à Chibok, pendant les épreuves du bac. J’avais à peine huit ans mais je me souviens très bien de la détresse de mes parents à l’annonce du kidnapping de leur enfant, de leur désespoir à mesure que le temps s’écoulait, de leur résignation quand nous comprîmes que nous ne la reverrions jamais.
A l’époque, la communauté internationale s’émut de cette situation. De nombreuses personnalités prirent position en faveur de la libération des captives : des politiques comme Michelle Obama ou Hillary Clinton mais aussi des artistes comme Jessica Alba, Angélina Jolie ou Wyclef Jean. Un hastag sur Twitter fut même lancé ! Bien malgré eux, ces gens débordant d’empathie offrirent une publicité inespérée aux ravisseurs... Et surtout quelle inspiration insufflèrent-ils à des terroristes avides d’argent ! J’en subis désormais les conséquences...
Aujourd’hui il n’y a plus d’échos dans le monde de ce que notre jeunesse vit et pourtant ces pratiques se multiplient. Mes camarades et moi sommes les victimes du quatrième enlèvement de ce type depuis le début de l’année. Personne ne s’y intéresse, le temps de l’indignation est bien loin. Certes, les médias de notre planète ont beaucoup d’autres préoccupations mais force est de constater que nos vies attirent moins d’audience que la propagation d’un virus grippal. Et nous ne pouvons pas compter sur notre Etat qui ne prend aucune mesure pour endiguer ce fléau. Nos dirigeants ont beau prétendre qu’ils ne cèdent pas au chantage, personne n’est dupe.
La veille de notre enlèvement, notre école participait aux qualifications pour la finale nationale du cross. Parmi les six-cents coureuses de la région, je validai mon ticket pour la finale d’Abuja, terminant au sprint à une honorable dix-huitième place, suffisante pour voir la capitale. La course à pied représentait pour moi beaucoup plus d’un simple hobby : dans les forêts luxuriantes de mon pays, je laissai mon esprit cavaler, m’imaginant une vie différente de celle de mes parents. J’imaginai parcourir la planète avec pour quête de m’extirper de ma condition : celle d’une jeune africaine mal née et tentant d’échapper à ce destin qui m’était promis, celui de générer une nombreuse descendance.
J’ai décidé de me battre. Hors de question d’endurer sans broncher le calvaire que ma sœur subit, peut-être même encore aujourd’hui. Nombreuses sont les otages de deux-mille- quatorze, mariées de force, enfermées malgré elles et sans doute converties à une idéologie d’un autre temps.
Notre enlèvement s’est produit il y a maintenant trois semaines. Nous ne sommes pas nombreuses dans ces cabanes de bric et de broc, quelques dizaines tout au plus. A force de discussions, liens, échanges, je suis parvenue à trouver des alliées prêtes, comme moi à s’extirper de ce piège. Inaya et Malya m’ont rejointe dans le projet que nous aimons appeler « La course ». Pas question d’attendre qu’on nous libère ou qu’on nous monnaye, nous trouverons le moyen de fuir de cet enfer.
Nous avons discuté chaque soir de la façon de nous y prendre, rassemblé assez d’éléments pour exécuter notre plan. La pleine lune arrive dans deux jours, nous bénéficierons d’un maximum de lumière pour traverser les bois. Nous avons relevé la fréquence des rondes de nos geôliers, noté que celles assurées par Soulayman ne sont pas des plus rigoureuses. Le penchant pour la boisson du bonhomme nous permettra de profiter de son sommeil d’ivrogne pour prendre la clé des champs.
Nous nous dirigerons vers l’ouest, puissent les forces du bien nous accompagner et nos jambes nous porter aussi loin et aussi vite que nécessaire !